Récit "Tout le monde est allé trop loin", "c'est plié" : on vous raconte la journée historique où le gouvernement de Michel Barnier a été renversé

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel, Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le Premier ministre, Michel Barnier, juste après son discours en amont du vote d'une motion de censure, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 4 décembre 2024. (ALAIN JOCARD / AFP)
Le Premier ministre a été censuré par l'Assemblée nationale mercredi soir, après seulement trois mois passés au pouvoir. Une première depuis 1962.

"Je n'ai pas peur. J'ai rarement eu peur dans mon engagement politique". Jusqu'au bout, il a tenté d'y croire. Mais ces mots, prononcés mercredi après-midi à l'Assemblée nationale par Michel Barnier, sonnent désormais comme son épitaphe symbolique en tant que Premier ministre. L'Assemblée nationale a voté une motion de censure contre son gouvernement, mercredi 4 décembre. Une première depuis 1962, devenue inéluctable face aux forces combinées des députés du Nouveau Front populaire (NFP) et du Rassemblement national (RN). Le Premier ministre, le plus éphémère de la Ve République, doit présenter jeudi matin sa démission au président Emmanuel Macron. L'issue d'un vote et d'une journée sans surprise, mais malgré tout historique.

Elle débute au Palais-Bourbon dans une ambiance inhabituelle. Rarement autant de journalistes, français et internationaux, se sont déplacés jusque dans les couloirs de l'Assemblée nationale. Le vote de deux motions de censure est programmé. L'une, déposée par le NFP. La deuxième, par le RN. Parmi les députés, rares sont ceux qui pensent alors que Marine Le Pen peut changer d'avis à la dernière minute, ou que les socialistes peuvent se détacher du NFP. Mais la plupart sentent déjà que le sort du gouvernement Barnier est scellé. "La motion est inéluctable, tout le monde est allé trop loin", souffle un proche de l'ancien Premier ministre Edouard Philippe à France Télévisions. 

La gauche et le RN raillent le Premier ministre

La tension monte au fil de l'après-midi et les élus du "socle commun" se résignent. Peu après 16h30, et l'adoption du budget de fin de gestion pour 2024, l'insoumis Eric Coquerel ouvre la séance pour défendre la motion de censure du NFP. Il invoque la réforme des retraites pour justifier sa position. "Aujourd'hui, nous votons la censure de votre gouvernement, mais, plus que tout, nous sonnons le glas d'un mandat : celui du président", lance-t-il à la tribune, sous les applaudissements de la gauche et les huées du bloc central.

Puis c'est au tour de Marine Le Pen de défendre la motion de son parti. "La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget", répond-elle aux élus du socle commun qui l'accusent de vouloir créer le chaos. "Vous vous êtes dit surpris de cet épilogue", lance-t-elle à Michel Barnier, qui écoute sans ciller en relisant ses notes. "Ce qui est surprenant dans cette affaire, c'est la surprise d'un Premier ministre qui sait, mieux que nous, que c'est dans ses rangs que l'intransigeance, le sectarisme et le dogmatisme lui ont interdit la moindre concession", raille la patronne des députés RN.

Si le poste de Michel Barnier est en jeu, c'est à Emmanuel Macron que s'adresse finalement la députée du Pas-de-Calais. Face à la "défiance populaire", c'est à "l'intéressé lui-même de conclure s'il est en mesure de rester ou pas". Boris Vallaud, le chef des socialistes, embraye. Remonté, il se projette déjà dans l'après-Barnier et demande aux soutiens d'Emmanuel Macron s'ils préfèrent "négocier avec une gauche au pouvoir que certains jugent imparfaite, mais avec laquelle [ils partagent] la plupart des combats républicains, ou [continuer] à courber l'échine aux injonctions de Marine Le Pen".

"De quel côté de l'histoire voulons-nous être ?"

En réponse, le "socle commun" tente de mettre la pression sur les députés RN et socialistes pour les dissuader de voter cette censure. Laurent Wauquiez s'adresse directement à la cheffe de file des députés RN. "Ressaisissez-vous (...) parce que sinon, nous nous souviendrons longtemps de ce jour désolant. Nous nous souviendrons longtemps, madame Le Pen, d'une alliance des contraires portée par le cynisme à plonger notre pays dans l'instabilité"

Alors que Cyrielle Chatelain, pour les écologistes, puis Marc Fesneau, pour le MoDem, se succèdent ensuite au micro, l'hémicycle se vide peu à peu, tandis que Michel Barnier, impassible, écoute tout en apportant les dernières touches à son discours. Les orateurs sont plusieurs à faire référence au caractère historique de cette journée. La dernière motion de censure adoptée remonte à 1962. "De quel côté de l'histoire voulons-nous être ?, interroge le macroniste Gabriel Attal. L'heure est venue de mettre de côté ce qui nous divise. L'heure est venue pour l'ensemble des députés de notre pays de se hisser à la hauteur du moment et à la hauteur de leurs responsabilités", lance-t-il dans un discours presque lyrique. En vain.

"Je suis ennuyé de vous avoir entraînés dans cette aventure"

C'est enfin au tour de Michel Barnier de monter à la tribune de l'Assemblée. Celui qui fut le négociateur en chef du Brexit pour l'Union européenne prend son temps et détaille sur un ton monocorde les bénéfices de son projet de budget de la Sécurité sociale, tout en remerciant ses ministres. Avant de conclure, il tacle les socialistes, qu'il accuse d'avoir voulu le censurer a priori, "avant même [qu'il] ouvre la bouche". Un vrai "discours d'adieu", juge la députée RN Alexandra Masson.

Une fois son intervention terminée, les députés du bloc central se lèvent. Certains huent les socialistes. Le Premier ministre a droit à une ovation debout de son "socle commun", comme un baroud d'honneur. L'Assemblée est enfin appelée à voter sur la motion de censure.

"C'est plié, ça devrait faire 320 pour", calcule un député du bloc central. Entre-temps, le Premier ministre retourne à Matignon, où il est accueilli par les applaudissements de l'équipe gouvernementale. "Je suis ennuyé de vous avoir entraînés dans cette aventure", regrette-t-il lors d'un bref discours, rapporte une source proche du septuagénaire.

"L'histoire suit son cours !"

Un peu plus de 45 minutes plus tard, les résultats sont annoncés par la présidente de l'Assemblée. Finalement, 331 députés se prononcent pour la censure, loin des 288 voix nécessaires pour son adoption. Michel Barnier encaisse, le visage fermé, la sentence synonyme de chute de son gouvernement. Des vivats se font entendre du côté de LFI. Personne n'applaudit sur les bancs du RN. Très rapidement, l'hémicycle se vide.

Une foule rarement observée, composée d'élus et de journalistes, prend possession des couloirs du Palais-Bourbon. Le ministre de l'Intérieur, qui doit s'exprimer dans la salle des Quatre Colonnes, est forcé d'annuler son point-presse. L'endroit est déjà occupé par la cheffe des députés LFI, Mathilde Panot, qui s'exprime à la télévision.

"L'histoire suit son cours ! C'est une victoire pour nous, pour le NFP et LFI, je pense pour les millions d'électeurs qui ont voté pour nous", s'exclame le député insoumis Paul Vannier. Sa collègue socialiste Béatrice Bellay parle d'un "moment de responsabilité et d'un message passé au président"

La plupart des députés, comme l'élu RN Thomas Ménagé, se projettent déjà dans l'avenir : "le président a trois options : d'abord le remaniement, la dissolution – mais pas avant six mois – ou sa démission". Une option que Marine Le Pen, invitée quelques minutes plus tard sur TF1, se garde bien de pousser. Elle promet de "laisser travailler" le futur Premier ministre, alors que la gauche appelle à nommer à Matignon une personne issue de ses rangs.

De leur côté, les représentants du bloc central sont abattus. "Le RN et le NFP ont mêlé leurs voix pour déstabiliser le pays", dénonce sur X le ministre de l'Economie sortant, Antoine Armand. Les soutiens d'Emmanuel Macron espèrent une réaction rapide de sa part, le président étant rentré d'Arabie saoudite quelques minutes avant le vote. L'information tombe sans tarder : le chef de l'Etat s'adressera au pays jeudi à 20 heures, avec, peut-être, le nom du futur locataire de Matignon. Quelques heures plus tôt, dans la matinée, Michel Barnier lui présentera sa démission, signant la fin du plus court passage d'un Premier ministre à Matignon de l'histoire de la Ve République.

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