Henri Guaino : "François Hollande n'est pas le porte-parole d'une gauche républicaine"
A l'occasion d'un chat sur le site Présidentielle 2012 de France Télévisions, jeudi 26 janvier, Henri Guaino, conseiller spécial du chef de l'Etat, a dit ressentir "un désarroi" dans l'opinion mais pas "un rejet hargneux" de Nicolas Sarkozy.
Nestor : Contrairement à 2007, Nicolas Sarkozy a un bilan. Les Français le jugent sévèrement. Le défendre n'est-ce pas mission impossible ?
Henri Guaino : Comment pourrais-je être cohérent avec moi-même si je ne défendais pas une politique à laquelle j'ai contribué depuis cinq ans ? Y a-t-il lieu d'en voir honte ? Non, je ne pense pas. Au contraire.
Je suis plutôt fier de ce qui a été accompli, même si, évidemment, tout n'est pas parfait et s'il n'y a pas lieu de faire d'autosatisfaction, tant les Français sont confrontés à d'immenses difficultés.
Ludovic : Ne pensez-vous pas que les décisions et les attitudes de Nicolas Sarkozy au début de son quinquennat ont irrémédiablement plombé son image ?
Qu'une bataille de la communication ait été perdue au début du quinquennat, c'est une évidence. Mais si l'on juge sur les faits, les décisions, les actes, alors, je crois que justice lui sera rendue.
La manière dont il a affronté la crise, les combats qu'il a engagés, en Europe et sur la scène internationale, plaident largement en sa faveur.
La question fondamentale est : que se serait-il passé s'il n'avait pas été là, s'il n'avait pas agi avec autant d'énergie, autant d'audace parfois, autant de détermination ?
On peut être en accord ou en désaccord avec ce qu'il a entrepris, mais il a pleinement rempli son mandat de président dans des circonstances d'une difficulté inouïe qu'aucun autre président n'avait eu à assumer.
Juju : Quelle est, à votre sens, la mesure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?
Il y en a beaucoup. J'en citerai au moins trois : l'autonomie des universités, le grand emprunt pour financer les investissements d'avenir, le projet du Grand Paris.
Bévue : "Rien de ce que fait Claude Guéant en matière d'immigration ne me convient", dit Alain Minc. Et vous, ça vous convient ?
Je suis par définition solidaire de l'action du gouvernement. Claude Guéant remplit le mieux possible une mission terriblement difficile.
startom : Vous parlez d'une "mission terriblement difficile" pour justifier les actions de Claude Gueant. Est-ce sur un plan technique ou moral ?
Dans la question de l'immigration, puisque c'est ce sujet dont il est question, les dimensions politique, technique et morale sont inextricablement liées.
Momo2 : Pourriez-vous, sans vous défausser, citer une erreur commise par le chef de l'Etat pendant son quinquennat ?
D'avoir peut-être trop tardé à défaire le bouclier fiscal, alors que la crise le rendait incompréhensible dès lors qu'elle exigeait des efforts de la part de tous, dont les plus fortunés ne pouvaient pas moralement se trouver exonérés.
Mais reconnaissons qu'il a eu le courage de prendre quand même cette décision, et ce courage-là n'est pas si courant en politique.
cyrille : Comment convaincre les Français du bien fondé des décisions et actions mises en oeuvre depuis le début de la crise, sur fond incessant de polémique orchestré par la gauche ?
Il est vrai qu'à ma connaissance, depuis le début de la Ve République, jamais l'action d'un président de la République n'a été aussi caricaturée. Que jamais un président de la République n'a fait l'objet d'un tel procès en illégitimité. Il est vrai aussi que la caisse de résonance médiatique a atteint une puissance qu'elle n'avait jamais atteinte dans le passé.
Mais c'est la crise, qui a obligé à se battre en même temps sur de multiples fronts, dans l'urgence, qui a sans doute le plus brouillé le sens de l'action conduite.
Pétroleuse : Comment faites-vous pour ne pas sentir le rejet du chef de l'Etat dans l'opinion ? N'avez-vous aucun capteur ?
Il me semble que je vis moi aussi dans la vie réelle, et je sens plus un désarroi face à la crise et aux difficultés quotidiennes qu'un rejet hargneux contre le président de la République. Mais chacun a son expérience de la vie.
Les Français diront ce qu'ils en pensent le jour des élections, quand ils auront à choisir leur président pour affronter les épreuves à venir. Et ce jour-là, ce ne sera pas l'opinion d'un échantillon, représentatif ou non, mais celle de tous les Français qui s'exprimera.
Ventru : En 2007, vous disiez que la campagne d'un candidat se joue sur une "histoire" qu'il raconte au peuple. Quelle sera celle du président sortant ?
Je ne sais pas encore quelle histoire il proposera aux Français d'écrire avec lui pour l'avenir s'il fait le choix de se représenter.
Mais ce que je sais, c'est qu'il y a une histoire qui a commencé en 2008 et qui continue et qui porte en elle non seulement l'avenir de la France et de l'Europe, mais aussi celui du monde. C'est la crise sans précédent que nous vivons et qui, d'une manière ou d'une autre, va accoucher d'une époque nouvelle.
Aujourd'hui, on ne peut concevoir aucun projet politique sérieux, aucun projet de société, qui ne parte d'un diagnostic de cette crise, de l'état du monde et de la société.
Calimero : Depuis un mois, Nicolas Sarkozy fait campagne quotidiennement sans être officiellement candidat. Trouvez-vous ça très démocratique et très républicain ?
Oui, je trouve qu'un président de la République qui accomplit son mandat jusqu'au bout, c'est très démocratique et c'est très républicain. Qu'un président de la République réponde quand on attaque la politique qu'il conduit, c'est la moindre des choses. C'est ça, la démocratie, non ?
hervé : Nicolas Sarkozy ne devrait-il pas mettre fin au pseudo suspense actuel en se déclarant candidat dimanche soir lors de son intervention télévisée ?
M. Sarkozy est président de la République. C'est en tant que tel qu'il va s'adresser aux Français. Dans les circonstances actuelles, celles d'une crise grave, il n'a qu'un seul devoir, c'est de consacrer toute son énergie à protéger les Français, et non de battre la campagne.
Le temps du débat démocratique viendra.
Nicolas S. : Le président commentera-t-il le programme de François Hollande dans son allocution de dimanche soir?
Cela dépendra des questions que les journalistes lui poseront. Mais il ne s'adresse pas aux Français pour commenter les programmes des uns et des autres, mais pour présenter les mesures qu'à ses yeux la crise appelle de toute urgence.
Gaston : Les primo-électeurs de 2002 ont aujourd'hui la trentaine. Ils n'ont connu que la droite au pouvoir. Comprenez-vous leur souhait de changement ?
Je n'ai jamais regardé la politique comme un affrontement entre la droite et la gauche, entre des camps ou des partis.
Au demeurant, pour moi, qui suis un peu plus âgé, et qui ai connu quinze ans de majorité de droite et quinze ans de majorité de gauche sur les trente dernières années, je ne vois pas bien en quoi M. Hollande, qui a été plus de dix ans premier secrétaire du Parti socialiste, son programme et ceux qui le soutiennent incarnent avec la force de l'évidence le changement.
Tout cela me paraît au contraire bien vieux et bien usé. Dans son discours du Bourget, M. Hollande a-t-il une seule fois parlé du monde nouveau qui nous attend ? A-t-il une seule fois parlé de ce que la crise allait changer ?
Bref, a-t-il une seule fois parlé de sa vision de l'avenir ? Alors, le changement, je ne le vois pas de ce côté-là.
oliver : On parle souvent d'une cristallisation dans les sondages à partir de la mi fevrier. Pensez vous vraiment que cela est jouable pour votre candidat ?
Je pense que les Français ne se sont jamais laissé voler une élection présidentielle. Que les jeux ne sont jamais faits d'avance. Et que les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons sont assez inédites pour qu'aucun précédent puisse nous renseigner sur ce qui va se passer dans les mois qui viennent.
67 : Avez-vous été sensible à la fibre républicaine et patriote du discours de François Hollande au Bourget ?
Pardon de vous dire que malgré les mots employés, je n'ai pas du tout trouvé cette fibre à laquelle je suis très attaché. Il ne suffit pas de prononcer le mot "République" pour porter le projet républicain, les valeurs républicaines, le programme républicain.
Quand M. Chevènement parle de la République, je discerne clairement la fibre républicaine et patriotique.
Quand M. Hollande parle de l'école de la République sans se démarquer, par exemple, des pédagogistes qui en ont ruiné les principes depuis trente ans, avec le soutien d'une partie de la gauche ; quand je l'entends parler de l'autorité de l'Etat républicain sans se démarquer de la gauche post-soixante-huitarde qui a ruiné le principe d'autorité, je cherche en vain la conversion républicaine sincère et assumée.
Comment M. Hollande peut-il être crédible sur le refus du communautarisme quand il ne condamne pas ce qui se passe dans certaines municipalités de gauche qui ont pris des mesures de nature communautariste, comme sur les horaires de piscine ou les menus dans les cantines ?
Comment peut-il être crédible quand il vote contre l'interdiction de la burqa ? Et quand M. Jospin faisait campagne, jadis, contre l'interdiction du foulard à l'école ? M. Hollande renie-t-il tout cela ? Je ne l'ai pas entendu.
M. Hollande est peut-être le porte-parole d'une gauche démocrate, mais certainement pas le porte-parole d'une gauche républicaine, pour reprendre les termes du débat posé jadis par Régis Debray.
Oreo : En parlant de la nation, en invoquant une République forte et puissante, François Hollande a rompu avec la gauche technocrate et communautariste. Nicolas Sarkozy a avoué avoir changé. Vous pouvez concevoir que la gauche ait, elle aussi, accompli une mutation ?
Merlot : Et quand il parle de renouer avec le "récit républicain", avec la France des grands acquis sociaux ?
J'aimerais bien, mais dans son discours il n'a cessé de marteler que précisément, il n'avait pas changé.
En politique, quand on veut rompre avec le passé, a fortiori avec son passé, on l'assume totalement et on le dit. Il n'a à aucun moment récusé les dérives d'une partie de la gauche qui, pendant des décennies, s'était éloignée des fondements du modèle républicain.
Max Personne : Vous avez écrit beaucoup de discours du président de la République. En existe-t-il un seul dont vous n'êtes pas très fier ?
Non. Je ne peux écrire des discours que lorsque je suis sincèrement fidèle à mes convictions et à mes principes les plus profonds.
Colombe : Comment un souverainiste comme vous - opposé à Maastricht, opposé à la monnaie unique, opposé au sarkozysme à la fin des années 1990 - a-t-il pu trahir à ce point ses idéaux et son mentor Philippe Seguin ?
Mais qui êtes-vous donc, qu'avez-vous donc fait dans votre vie pour vous permettre de juger ainsi la mienne ?
Comme l'avait dit le regretté Philippe Seguin après le référendum sur Maastricht : "Quel démocrate serais-je si je n'acceptais pas le verdict du peuple ?".
Et quel imbécile serais-je si je ne changeais jamais, si je n'évoluais jamais pour tirer les leçons de l'expérience, pour prendre l'histoire là où elle en est, pour essayer - vieux principe gaullien - d'asseoir la politique sur les réalités ?
J'ai voté contre Maastricht, je ne suis pas devenu un adepte aveugle de l'euro, mais le 1er janvier 1999, j'ai cessé de signer des pétitions contre l'euro, parce que l'euro était devenu un fait.
Et aujourd'hui, sortir de l'euro provoquerait un cataclysme dont les plus vulnérables paieraient un prix incalculable. Parce que je sais cela, je considère comme un devoir moral de tout faire pour éviter que cela arrive, que l'euro explose, que l'Europe explose, et qu'une crise économique et sociale terrible en résulte.
C'est ma conception de la morale en politique comme dans la vie. Elle est différente de la vôtre ? Tant pis, c'est la mienne, et je l'assume.
vincent : Prévoyez-vous de vous faire élire et d'arrêter d'être le conseiller spécial du président de la République ?
Jusqu'à l'élection présidentielle, la seule chose qui me préoccupe, c'est la campagne présidentielle. Après, je réfléchirai à ce que je veux faire de la suite de ma vie.
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