En 2008, l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon dans le paysage de la gauche radicale a profondément changé la donne. Au contraire d’un NPA en perdition et d’un PCF à bout de souffle, le Front de gauche, dont il est à l’initiative, a su remobiliser les électeurs de la gauche de la gauche. En 2012, avec 11,1%, sa candidature à la présidentielle a recueilli presque six fois plus de suffrages que les 1,9% de Marie-George Buffet en 2007. Depuis, Mélenchon apparaît comme le nouveau père de la famille rouge. Mais sa volonté de changer de stratégie électorale et la place que son personnage occupe dans le mouvement font aussi grincer de nombreuses dents.
Comme à la Fête de l’Huma, le 14 septembre, le leader du Parti de gauche fait perpétuellement siffler "la trahison" des socialistes. Son objectif : forcer le Front de gauche à ne plus tisser d’alliance électorale avec eux, notamment lors des municipales de 2014. Jusqu’ici, le PCF avait pour tradition de négocier des listes communes avec le PS pour s’assurer des postes. "Sanctionnez ceux qui nous ont trahis !" leur répond Mélenchon. Il entend faire passer son mouvement au rang de première force de gauche en siphonnant l’hégémonie du PS.
Pour y parvenir, il compte sur son arme principale : l’électorat populaire. "Terra Nova, le think tank du PS, a dit qu’il fallait abandonner la classe populaire. Ça tombe bien, moi, elle m’intéresse." Il mise en effet sur ces "oubliés", terme qu’il dispute à Marine Le Pen, pour forcer la "révolution citoyenne". Le plan est simple : la finance va pousser le peuple à se révolter contre le système. Le Front de gauche, vierge de toute compromission avec le pouvoir, s’imposera alors comme le seul parti légitime pour gouverner.
Cette version du "grand soir" n’enchante pas tous les communistes. A la Fête de l’Huma, le 14 septembre, Robert Baldes, maire PCF de Gauriac, un village de Gironde, s’inquiète de faire campagne sans socialistes, de "se priver de gens de gauche", et de perdre nombre de places dans les mairies. Un argument pas vraiment du goût du patron du PG.
Mais sur sa route se dresse Pierre Laurent. Le secrétaire national du PCF qualifie d’"irresponsable" la position mélenchonienne. La question donne lieu à un duel de petites phrases entre les deux hommes, ponctué de brèves scènes d’unité, bras dessus-bras dessous à l’heure d’entonner L’Internationale.
Ces fins de réunions publiques se terminent souvent par un constat implacable : la popularité de Mélenchon n’a pas d’égal au Front de gauche. A Rennes, c’est en véritable rock-star qu’il s’offre un bain de foule. Une jeune fille aux joues peinturlurées d’étoiles hurle "Jeaaan-Luuuc !!!", en tentant de lui toucher la main. Pierre Laurent s’y essaye à son tour. Un jeune homme se retourne et demande en désignant le leader communiste : "Et lui, c’est qui ?" N’est pas Mélenchon qui veut...
Le 5 mai, à la Bastille, dans le cortège de la "Marche pour la VIe République", la popularité du leader du Parti de gauche est au zénith chez deux militantes qui discutent : "Mélenchon, je le vois bien Premier ministre", avance l’une. "Oh, mais il peut assurer dans n’importe quel ministère ! Et encore plus président !", assure l’autre.
A l’extérieur de la halle où se tient le meeting de Rennes, trois étudiants concèdent que c’est bien Jean-Luc Mélenchon qui les a convaincus de venir au meeting. "Il rallume une flamme", explique Léo, 22 ans. Derrière le jeune supporter, des dizaines d’affiches du Parti de gauche sont placardées. Sur chacune d’elles, le visage du leader accompagne les slogans entre guillemets appelant à la révolte. Le message et la voix du chef sont indissociables.
Cette personnification de la cause par le tribun à la "grande gueule" inquiète aussi. "Ce n’est pas le sensationnel qui transforme la réalité", lâche Jean, militant communiste breton de 79 ans, franchement agacé. Même s’il appelle au rassemblement, Jean-Luc Mélenchon, avec sa stratégie du cavalier seul, appâte, interloque, mais surtout divise son camp.