La grossesse de la maire de Poitiers, illustration du vide juridique autour de la maternité des élues

Léonore Moncond'huy, maire EELV de Poitiers dans la Vienne, est enceinte et compte être en congé maternité, une disposition qui n'est pourtant pas prévue par la loi pour les élues, qu'elles soient maires ou parlementaires.
Article rédigé par Camille Laurent, Willy Moreau
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
La grossesse de Léonore Moncond'huy, maire EELV de Poitiers (ici en novembre 2022), met en lumière la difficulté de concilier maternité et mandat politique. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Pas facile de devenir mère quand on est maire, comme l'illustre la situation de Léonore Moncond'huy. La maire EELV de Poitiers, dans la Vienne, est enceinte et entend bien prendre un congé maternité. Mais la loi ne prévoit pas de telles dispositions pour les élues, qu'elles soient maires ou parlementaires. Léonore Moncond'huy va s'arrêter deux mois dès la mi-mars, mais elle signale qu'elle a dû bricoler pour se faire remplacer et qu'elle va perdre en rémunération. Les parlementaires sont, elles, confrontées à un autre problème : la Constitution les empêche d'être remplacées par leur suppléant le temps de leur congé maternité. Deux situations qui démontrent la prise en charge difficile de la maternité des femmes politiques.

Léonore Moncond'huy admet avoir "bricolé" pour partir en congé maternité. Car la loi ne prévoit aucun mécanisme pour compenser les pertes de revenus des maires et rien n'est pensé non plus pour garantir leur intérim. Résultat, pour accoucher, la maire de Poitiers va s'arrêter entre le 15 mars et le 15 mai prochain, elle va être remplacée par deux de ses adjoints, mais à mi-temps chacun. Et elle va perdre en salaire puisqu'elle ne touchera plus ses indemnités de fonction, mais seulement celles de l'Assurance maladie. En alertant sur sa situation, l'élue souhaite faire évoluer les congés maternité, paternité et d'adoption des élus.

"On a là une situation d'inégalité totale entre les hommes et les femmes", a réagi Johanna Rolland, invitée sur franceinfo mercredi 21 février. La maire socialiste de Nantes, également présidente de France urbaine, l'association des grandes villes, a été saisie par Léonore Moncond'huy pour faire évoluer la loi. Justement, deux propositions de loi transpartisanes sont sur la table de l'Assemblée nationale et du Sénat pour renforcer le statut de l'élu local. "Nous ferons des propositions d'amendements pour permettre enfin de régler cette situation qui semble en réalité assez ubuesque", a assuré Johanna Rolland. L'Association des maires de France (AMF), elle aussi alertée par Léonore Moncond'huy, dit soutenir la maire de Poitiers et travailler pour mieux concilier vie professionnelle et vie privée dans l'exercice d'un mandat.

La loi est aussi muette pour les femmes parlementaires

Au Parlement aussi, les femmes élues qui souhaitent devenir mères doivent s'adapter. Comme la députée Renaissance de la Sarthe, Julie Delpech, qui a travaillé jusqu'à la veille de son accouchement en juillet dernier : "Je ne faisais plus de déplacements trop loin et je faisais pas mal de réunions en visioconférence." Il lui était impossible d'être remplacée par son suppléant, car la maternité ne fait pas partie des motifs de remplacement prévus par la Constitution. Elle a donc dû se débrouiller et envoyer chaque semaine une délégation de vote pour garder sa voix à l'Assemblée. "Ça s'est géré au mieux, convient la députée, et même si c'est parfois du bricolage, il y a certaines choses qui ont été mises en place pour nous permettre de ne pas perdre cette voix importante dans l'hémicycle, qui plus est en majorité relative."

Une proposition de loi constitutionnelle a été déposée à l'Assemblée en mars 2023 pour pallier ce problème. Mais Julie Delpech n'y est pas favorable. "Nos suppléants sont des gens, pour la plupart, qui ont des métiers et donc les faire tout lâcher pour siéger cinq mois à notre place, c'est difficile", soutient-elle.

"Une parité inachevée"

La législation ne permet pas une vraie égalité entre les sexes, rappelle Fiona Texeire, cofondatrice de l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. "Cela fait 80 ans que les femmes sont éligibles en France et la question de la maternité des élus n'est toujours pas réglée, indique l'enseignante en sciences politiques. Cela souligne que le fonctionnement des institutions a été pensé par et pour des hommes. C'est pour ça qu'aujourd'hui on a encore 60% de parlementaires et plus de 80% de maires qui sont des hommes", souligne Fiona Texeire.

"Il faut être volontariste, s'il n'y a pas un engagement fort de l'exécutif ces questions-là n'aboutiront pas. Si elles n'aboutissent pas, ça veut dire que les femmes sont empêchées de faire de la politique dans les mêmes conditions que leurs collègues masculins. Et ça veut dire qu'on a une parité inachevée, qu'on a une démocratie inachevée."

Fiona Texeire, cofondatrice de l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles

à franceinfo

Mais pour la députée Julie Delpech, la question soulevée va bien au-delà de la politique. "Il ne faut pas dire que c'est plus dur quand on est élue que pour d'autres, souligne-t-elle. Ce que j'ai remarqué en étant enceinte et députée, c'est que la problématique est celle de quand tout repose sur nous. Et c'est le cas d'une femme cheffe d'entreprise, d'une agricultrice à son compte..." L'élue a d'ailleurs soumis le sujet à la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale pour améliorer cette situation.

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