"Saccager une permanence, c'est anormal et inadmissible" : les élus PS, visés pendant la loi Travail, solidaires des députés LREM
La dizaine de dégradations de permanences parlementaires de députés LREM a fait ressurgir le souvenir de celles qui se sont produites en 2016 pour les élus socialistes.
"Tout ce qui se passe avec LREM, on le condamne", soupire au bout du fil, Matthieu Brasse, secrétaire de la section du PS du Havre (Seine-Maritime). Depuis la ratification du Ceta, une dizaine de permanences de députés de la majorité ont été dégradées, "des actes délictueux qui doivent être condamnés", selon le patron de La République en marche, Stanislas Guerini.
Cette situation n'est pourtant pas nouvelle, elle replonge même les socialistes dans le passé. En 2016, la France connaît l'un des mouvements sociaux les plus longs depuis l'après-guerre. La contestation se met en place contre la loi Travail portée par la ministre Myriam El Khomri, pas moins d'une dizaine de journées d'action sont organisées. Pendant quatre mois, la mobilisation prend différentes formes, avec des grèves, des blocages de site et des manifestations.
"Les élus sont devenus des cibles"
Des dizaines de permanences parlementaires et de locaux du Parti socialiste sont alors pris pour cible, comme ce 12 mai 2016, au Havre (Seine-Maritime). "J'en garde un souvenir assez violent, se rappelle Matthieu Brasse. Une partie du cortège s'est arrêtée devant les locaux du PS, qui est aussi le lieu de la permanence de la députée, des individus ont pris une barrière métallique de chantier et ont défoncé la porte, raconte le secrétaire de la section socialiste. De là, ils ont saccagé les locaux, ils ont allumé un feu de détresse et les CRS ont chargé." Et le militant de souffler : "Heureusement, on avait pour habitude d'évacuer nos locaux lors de ces manifs. Il n'y avait personne à l'intérieur."
Pour Matthieu Brasse, les nouvelles dégradations des permanences de parlementaires LREM sonnent comme un aveu d'échec du politique. "Les modes d'expression traditionnelles ne suffisent plus. On n'a pas trouvé de solution pour permettre l'expression de chacun, on voit que les syndicats ne suffisent plus."
D'autres élus socialistes vont même jusqu'à établir un lien entre les dégradations de 2016 et celles de 2019. "Ce qui a existé en 2016 s'est désormais amplifié, les élus sont devenus des cibles", soutient Laurent Grandguillaume, ancien député PS de Côte-d'Or. Dans la nuit du 10 au 11 mai 2016, des individus étaient venus "casser la vitre" de sa permanence, "des imbéciles, pas très courageux", d'après l'ancien parlementaire.
Laurent Grandguillaume est rejoint par son ex-collègue de l'Isère, Erwann Binet. "Je crains que cela s'installe comme un moyen de protestation comme un autre", explique-t-il en référence à cette montée de la violence dans l'espace public.
On avait inauguré pendant ce débat sur la loi Travail quelque chose qui n'existait pas et là, ça se réitère, c'est particulièrement inquiétant.
Erwann Binet, ancien député PSà franceinfo
Dans la nuit du 22 au 23 mai 2016, la devanture du siège de la fédération socialiste de l'Isère, à Grenoble, avait été visée par des tirs d'armes à feu. Une douzaine d'impacts avaient été constatés sur le volet mécanique. "Ces coups de feu avaient été le paroxysme, mais nous avions déjà eu des dégradations. Nous avions dû, par exemple, remplacer des vitres cassées", se souvient Erwann Binet.
Sa voisine de l'Hérault, Anne-Yvonne Le Dain avait, elle, subi pas moins de quatre dégradations de sa permanence parlementaire. En octobre 2016, des manifestants "avaient été jusqu'à démonter une palette à laquelle ils avaient mis le feu pour la mettre dans une poubelle projetée ensuite sur ma porte". Une situation qui met encore aujourd'hui en colère l'ancienne parlementaire. "Les élus servent d'exutoire, je ferai un message de solidarité envers les députés LREM pour leur dire mon soutien et mon émotion, car c'est dur à vivre. Nous sommes tous des êtres humains." L'ex-députée a surtout en travers de la gorge le peu de suites judiciaires donnée à ces dégradations. "Ils ont seulement trouvé un petit jeune qui faisait des graffitis, mais pas les autres, comme ceux qui avaient coupé mon réseau électrique. Il y a une forme d'impunité, car ils savent qu'ils ne seront pas pris", lâche-t-elle.
La permanence de la députée Anne-Yvonne Le Dain vandalisée à #Montpellier @Ayledain https://t.co/kcIhorL8Jf pic.twitter.com/QTJt8Za9U5
— Romain Berchet (@RomainBerchet) October 9, 2016
"Cela devient banal"
Elle n'est pas la seule à dénoncer le peu de moyens judiciaires mis dans ces enquêtes. Hussein Bourgi, responsable du PS de l'Hérault, avait dû gérer de multiples dégradations dans des locaux du parti à Sète et Montpellier. "Des vitrines avaient été recouvertes d'autocollants et de stickers à Sète et des individus étaient venus uriner contre la façade. A Montpellier, c'était aussi du collage d'affiches et des jets de peinture", énumère-t-il, en regrettant lui aussi l'absence de suites judiciaires après les plaintes. Le militant déplore "ce sentiment d'impunité" : "Personne n'est inquiété."
La police ne s'est pas donnée les moyens de faire les enquêtes, la justice a traité ces plaintes avec beaucoup de légèreté.
Hussein Bourgi, responsable du PS dans l'Héraultà franceinfo
Dans l'Isère, chez Erwann Binet, même scénario : les individus n'ont pas été identifiés. Cela fait réfléchir l'ancien élu : "Je pense que l'on devrait prévoir dans nos dispositions pénales des peines aggravées lorsque ce sont des gestes qui se veulent politiques et attaquent des lieux de la démocratie, comme des permanences parlementaires ou syndicales." Car pour ce dernier, les dernières attaques de permanence doivent faire réfléchir tout le monde. "Cela devient banal dans un mouvement de protestation de venir saccager une permanence, c'est anormal et inadmissible". Et l'ancien député de conclure : "Une permanence dégradée doit toujours susciter l'indignation générale."
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