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Le successeur de Jean-Marie Le Pen sera proclamé officiellement dimanche 16 janvier lors du XIV Congrès du parti

L'extrême droite française clôt un chapitre de près de 40 ans ce week-end avec le départ de Jean-Marie Le Pen de la tête du Front national (FN).Quels sont les enjeux de cette passation de pouvoir ? Bruno Gollnisch a-t-il une chance face à Marine Le Pen, fille du chef historique du FN ?
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). (DR)

L'extrême droite française clôt un chapitre de près de 40 ans ce week-end avec le départ de Jean-Marie Le Pen de la tête du Front national (FN).

Quels sont les enjeux de cette passation de pouvoir ? Bruno Gollnisch a-t-il une chance face à Marine Le Pen, fille du chef historique du FN ?

Jean-Yves Camus, spécialiste de l"extrême droite française nous avait accordés une interview, il y a quelques semaines, détaillant les points forts des deux candidats et l"avenir du Front national.

Comment est désigné le nouveau Président du FN ?

JY. C. C"est une élection ouverte aux adhérents à jour de leur cotisation en 2010.

Sur le plan interne, l"élection est contrôlée par un ancien du Front National, Jean-François Jalkh chargé de veiller à l'équité de la campagne et à ce que les deux candidats soient traités de manière égale.

L"intérêt pour le Front en terme d"image, et pour Marine Le Pen, c"est que cet exercice de démocratie se déroule le plus correctement possible.

Y-a-t-il un réel suspense ?

JY. C. Le rapport de force est pour Marine Le Pen, 60% contre 40%, peut-être plus serré encore, mais Bruno Gollnisch est loin d"être uniquement un candidat de témoignage.

Quels sont les atouts de ces deux candidats ?

JY. C. Pour Marine Le Pen, il y a d"abord son âge, un atout pour les adhérents les plus jeunes.

Et il y a surtout son patronyme synonyme pour beaucoup d'adhérents de continuité même si le père et la fille n"ont pas les mêmes personnalités, ni exactement les mêmes idées, ni la même manière de faire de la politique.

Bruno Gollnisch a aussi plusieurs qualités. La première, c"est sa relative discrétion médiatique qui tient sans doute autant à un trait de caractère qu"à la volonté des médias.

Il jouit d"une réputation de sérieux dans le milieu universitaire et le milieu du barreau et fait preuve d"une constance dans ses idées, quitte parfois à s"entourer d"alliés un peu encombrants à l"intérieur et à l"extérieur du Front National.

Dans la campagne actuelle, il laisse se fédérer autour de lui les sensibilités les plus radicales. Ces militants vont aller voter. Les ostraciser serait pour lui imprudent et contre-productif.

Sur le plan idéologique, la continuité idéologique avec Jean-Marie Le Pen est-elle assurée ?

JY. C. Pour l"instant, Marine Le Pen n"a pas dévié par rapport aux fondamentaux du FN sur la préférence nationale, la volonté de sortir de l"Europe, l"opposition à l"immigration, la dénonciation du système de la "bande des quatre", la protection sociale de l"Etat pour les plus démunis à condition qu"ils soient Français de souche entre guillemets, et l"opposition à "l"islamisation".

Ces fondamentaux se retrouvent chez les trois frontistes (ndlr Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, Bruno Gollnisch).

Marine Le Pen n"a pas entamé à ce jour de repositionnement du FN. Elle y songe sans doute mais sa capacité à le faire dépendra de l"ampleur de son éventuelle victoire. Si celle-ci est étroite, s"il y a des départs, voire une scission, cela sera plus compliqué que si la transition se fait dans la douceur.

Ce repositionnement du FN peut-il s"opérer sur des valeurs morales ? Ce thème distingue-t-il les deux candidats ?

JY. C. Je crois qu"il y a mal donne sur les valeurs morales. Les électeurs du Front national sont profondément "déchristianisés", surtout l"électorat populaire.

Autant la question de l"avortement peut faire clivage chez les cadres entre ceux encore empreints d"une culture catholique traditionnaliste et les autres, autant personne n"ira s"affronter au FN sur l"abolition de la loi de Simone Veil.

Sur les thèmes de la peine de mort et du patriotisme, il n"y pas de différence entre les candidats qui partagent par ailleurs le sentiment de la décadence du pays.

Alors qu"est-ce qu"il reste ? Les questions de morales privées

Cela joue à la marge, tout simplement parce que ces questions ne mobilisent pas les électeurs.

Quel est l"avenir pour le FN selon l"issu de ce scrutin interne ?

JY. C. Le Front national progresse dans l"opinion beaucoup plus par l"air du temps, par la façon dont certains thèmes se diffusent dans la société que par l"action de terrain de ses militants.

Songez à 2002 et à la séquence des événements qui avaient précédé le scrutin: la série des faits divers particulièrement sordides et le retour sur le devant de la scène des sujets comme la lutte contre la délinquance, l"éventuel rétablissement de la peine de mort.

L"avenir du FN est aussi déterminé par la manière dont évolue le paysage politique c'est-à-dire par l"existence ou non d"un espace à droite de l"UMP, dû au désamour entre une partie de ses électeurs et le parti ou son candidat à la présidentielle.

Marine Le Pen n"est donc pas totalement maitre du jeu même si elle accède à la tête du FN.

Quant à Bruno Gollnish, s"il revient sur le devant de la scène, il vaudrait mieux qu"il conseille à ses fidèles d"éviter d"expliquer que les "Protocoles des Sages de Sion"* déterminent la marche du monde. Je ne pense pas que cela soit un thème extrêmement porteur d"avenir.

Le climat des affaires et le fossé de plus en plus grand existant entre la classe dirigeante et la "France des gens ordinaires" pour reprendre l'expression d"Arnaud Montebourg, fait-il le jeu du Front National ?

JY. C. L"ennemi principal du Front national dans ce contexte, c"est l"abstention. Un certain nombre de citoyens considérant en effet que leur vie quotidienne ne changera pas parce que la classe politique est vue dans son ensemble comme participant à ce type d"affaires.

Songez au taux de participation particulièrement bas, de l"ordre de 20 à 25%, des couches populaires et des populations les plus sensibles dans certains bureaux lors des régionales.

Pour les électeurs qu"elle n"amènera pas à s"abstenir, la succession des affaires est évidemment de nature à favoriser le Front national.

L"abstention est l"ennemi de tous les partis ?

JY. C. Elle l"est davantage pour les partis protestataires.

Il n"y pas de système proportionnel. Une partie de l"électorat du Front national est donc toujours un peu sur le fil par rapport à la nécessité d"aller voter.

Aux élections européennes, législatives et présidentielles, il y toujours, notamment au deuxième tour, cette tentation des électeurs frontistes de se dire que de toute façon, leur vote ne changera pas les choses.

C"est ce qui s"est passé en 2002. Le Pen a très peu progressé entre le premier et le second tour.

Sur son site le Front National fait référence à une "authentique communauté, soudée face à l"ennemi commun". De quel ennemi s"agit-il ?

JY. C. Il y a deux catégories à distinguer.

Ceux qui assimilent l"ennemi commun à tous ceux qui se positionnent contre le FN, c"est-à-dire la "bandes des quatre" et les médias.

Il y a aussi une petite minorité de militants d"ultra-droite pour lesquels l"ennemi n"est pas l"immigré mais celui qui est allé le chercher, en clair le "capitalisme apatride", nom de code pour désigner les juifs et les financiers internationaux qui voudraient promouvoir le métissage pour émousser les consciences nationales et ethniques et gouverner le monde.

Comment se porte le FN sur le plan financier ?

JY. C. Pas bien. Mais les moyens et les locaux plus que modestes du FN de 1981 n"ont pas empêché le démarrage en fanfare de 1983/1984.

Les moyens ne sont pas une condition indispensable pour ce type de parti pour réussir des scores honorables.

Cela devient un problème et un obstacle dans le cadre d"un second tour d"une présidentielle où là véritablement l"argent est déterminant.

Et en 2012 ?

JY. C. Le FN peut faire un bon score mais il lui manquera toujours cette capacité de rassemblement au second tour.

Le résultat de 2002 est éloquent: 16,9% au premier tour, autour de 17% au second, soit une marge de progression très très faible - et 82 % pour Jacques Chirac ; je ne suis pas persuadé que tous les Français qui ont voté pour Jacques Chirac soient partis voter en chantant…

Ce parti reste malgré tout celui auquel s"opposent les ¾ de la population française.

Jean-Yves Camus est l"auteur de nombreux ouvrages, dont Extrémismes en France. Faut-il avoir peur ?publié aux éditions Milan en 2006 ainsi que du Dictionnaire de l"extrême droite, co-écrit avec Erwan Lecoeur, Sylvain Crépon, Nonna Mayer et édité chez Larousse en 2007.

*(1) Rivarol: Hebdomadaire français d"extrême droite fondée en janvier 1951 par René Malliavin (plus connu sous le pseudonyme de Michel Dacier) et l"équipe fondatrice de la revue “Ecrits de Paris”. Son sous-titre initial, « Hebdomadaire de l'opposition nationale », est devenu ensuite « Hebdomadaire de l'opposition nationale et européenne ».
Le nom du journal fait référence au pamphlétaire contre-révolutionnaire français Antoine de Rivarol et porte en exergue l"une de ses citations : « Quand les peuples cessent d'estimer, ils cessent d'obéir ».

* (2) Les Protocoles des Sages de Sion: faux document écrit à la fin du XIX siècle à Paris par un faussaire russe et diffusé dans toute l"extrême-droite au-delà de l"Europe. Il se compose de récits supposés être les comptes-rendus de fausses réunions secrètes exposant un plan secret de domination mondial des juifs. C"est le pilier de l"idéologie antisémite nazi.

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