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La semaine où Laurent Wauquiez a été forcé de démissionner de la présidence des Républicains

Article rédigé par Margaux Duguet - Marjorie Lafon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Laurent Wauquiez, le 16 mars 2019, à Lyon, lors du conseil national des Républicains. (ROMAIN LAFABREGUE / AFP)

Après l'échec historique du parti de droite aux européennes, son chef n'a pas eu d'autres choix que de quitter son poste après une semaine de coups de pression.

"Cette élection, c'est un échec." Il est 20h10, dimanche 2 juin, quand Laurent Wauquiez prononce, sur le plateau de TF1, ses premiers mots depuis son discours au soir des résultats des élections européennes. L'interview n'a été annoncée que deux heures auparavant par la première chaîne. Que va faire le patron du parti Les Républicains ? S'accrocher à son poste ou lâcher prise après une semaine d'intenses pressions ? La réponse tombe, quelques secondes plus tard. "J'ai décidé de prendre du recul, je me retire de mes fonctions de président des Républicains", déclare un Laurent Wauquiez au visage grave et visiblement marqué. 

Après un week-end en famille dans son fief du Puy-en-Velay, l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy a finalement décidé de jeter l'éponge. Peu de personnes sont dans la confidence, pas même ses proches à la région Auvergne-Rhône-Alpes qu'il préside. "J'étais dans la rue et on m'a téléphoné pour me prévenir, raconte ainsi à franceinfo l'un de ses collaborateurs. Je pense qu'il ne voulait pas participer à la division et à une guerre des chefs et puis ici dans la région, les gens sont plutôt satisfaits, ils vont pouvoir le retrouver plus." Ils ne sont pas les seuls à applaudir le choix de Wauquiez. Les cadres et ténors de LR ont tous salué unanimement cette démission. Elle n'était pourtant pas gagnée.

Valérie Pécresse ouvre le feu (des critiques)

Une semaine auparavant, l'ambiance n'était pas vraiment à la démission. Ni à la fête d'ailleurs. Aux européennes, Les Républicains réalisent leur pire score à une élection nationale en obtenant 8,48% des voix. Une déculottée électorale magistrale qui fragilise considérablement Laurent Wauquiez. Pourtant, ce dernier semble croire qu'il est encore possible de sauver sa place. D'abord en chargeant Emmanuel Macron qui "n'a pas été un rempart contre le Rassemblement national" mais "un artisan de leur progression", puis en assurant que la droite a "trois ans pour faire naître de l'espoir". Le chef du parti consent seulement à lâcher, dans ce court discours de deux minutes, que "ce résultat n'est évidemment pas à la hauteur des espoirs soulevés dans cette campagne".

Emmanuel Macron a été "l'artisan de la progression" du RN, selon Laurent Wauquiez
Emmanuel Macron a été "l'artisan de la progression" du RN, selon Laurent Wauquiez Emmanuel Macron a été "l'artisan de la progression" du RN, selon Laurent Wauquiez

Mais, déjà en coulisses, les critiques pleuvent. "Pour Laurent Wauquiez, c'est un désaveu cinglant de sa ligne, de sa stratégie et de sa personne, tance un élu LR auprès de franceinfo. Et ça vaut pour tous ses amis qui ont réussi l'exploit de diviser par deux ou par trois le socle de la droite républicaine." Le premier appel à la démission est lancé dans la foulée par le député des Bouches-du-Rhône, Eric Diard. "Pour nous, Les Républicains, c'est un échec cinglant, déclare ce dernier sur Europe 1. Laurent Wauquiez doit en tirer ce soir les conséquences." 

La première grosse charge contre Laurent Wauquiez ne viendra cependant qu'au petit matin. Et elle porte un nom qui a toujours sonné comme une menace pour le patron de LR : Valérie Pécresse. La toute-puissante présidente de la région Ile-de-France, qui n'a pratiquement aucun contact avec le camp Wauquiez depuis deux ans, lâche sur RTL la petite phrase que certains guettaient.

Si j'étais à sa place, et vu la situation, sans doute que je démissionnerais.

Valérie Pécresse

sur RTL

Mais, Laurent Wauquiez a un plan et pense pouvoir obtenir l'assentiment de ses collègues du bureau politique qui doit se tenir lundi soir.

Un bureau politique aux airs de "veillée funèbre"

Il s'en ouvre d'abord à certains élus. C'est le cas de Julien Aubert, député LR du Vaucluse, qui s'entretient avec Laurent Wauquiez dans l'après-midi. "Il était plutôt calme et résolu et m'a décrit sa solution d'organiser des états généraux à la rentrée", raconte le parlementaire à franceinfo. Il répond à Laurent Wauquiez qu'il existe de fortes divergences sur sa ligne et que le seul moyen de régler ce problème est de retourner au vote. "Si les pressions s'intensifient, je n'hésiterais pas à remettre en jeu la présidence", lui aurait assuré Laurent Wauquiez.

Quelques heures plus tard, le bureau politique s'ouvre. La tension est à son maximum et certains craignent un pugilat. Il n'en sera finalement rien. "On est des gens civilisés, on ne lave pas son linge sale comme ça surtout que l'on sait que ça va se retrouver sur les ondes 5 minutes après", assure à franceinfo le sénateur Alain Houpert.

Valérie Pécresse, à la sortie du bureau politique des Républicains, organisé le lendemain des résultats des élections européennes, le 27 mai 2019.  (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Effectivement, des échos du bureau politique sont retranscrits en temps réel et le ton est plutôt policé, selon le compte-rendu de la journaliste du Figaro, Marion Mourgue. Tandis que Laurent Wauquiez propose des "états généraux à la rentrée en mettant tous les thèmes sur la table", Valérie Pécresse plaide pour un élargissement des Républicains. Personne ne réclame la tête du patron du parti.

Les réunions des groupes LR au Sénat et à l'Assemblée nationale sont plus mouvementées le lendemain matin. "J'ai assisté hier au bureau politique à une veillée funèbre sauf que le mort continuait de parler", lâche à la sortie Pierre Charon, le sénateur de Paris. Sur Europe 1, le patron du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, confirme lui qu'il a demandé la veille à Laurent Wauquiez de démissionner : "A échec exceptionnel, mesure exceptionnelle, sinon nous disparaîtrons."

Mais, c'est surtout l'initiative de Gérard Larcher qui fait perdre la main au président des Républicains. Sur franceinfo, le président du Sénat balaye l'idée des états généraux – "Est-ce que cette démarche suffira ?" – et propose de "reconstruire un projet qui rassemble la droite et le centre". Pour cela, il suggère aux présidents des groupes parlementaires et aux présidents des trois grandes associations d'élus de se retrouver dès la semaine prochaine "pour faire un point".

La tentative de reconquête en interne

Si les ténors ont lâché les premiers coups, les jeunes loups du parti de droite ne vont pas tarder à entrer eux aussi dans la danse. "Les Français ne nous regardent plus. Ils ne te regardent plus Laurent. Ils nous considèrent comme insincères, ils te considèrent comme insincère Laurent. Tu es le reflet de ce que nous sommes devenus collectivement", lance en réunion de groupe Aurélien Pradié, député du Lot. Sentant la menace venir, Laurent Wauquiez demande à le voir avec son comparse, Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calais.

La rencontre a lieu mardi à 17 heures. Dès lundi, les deux jeunes députés ont en fait échangé et sont parvenus à la conclusion qu'il fallait créer un outil au sein du parti pour reconstruire Les Républicains. "Il a accueilli cet outil avec bienveillance mais aussi inquiétude car il voit bien qu'il n'a pas trop le choix et que cet outil, il ne l'aura pas sous son contrôle", décrit Aurélien Pradié à franceinfo.

Il était secoué, y compris physiquement. Il était fatigué à tous les égards.

Aurélien Pradié

à franceinfo

Durant cette heure et demi de discussion, la question de la démission arrive aussi sur la table. "Il a dit qu'il y réfléchirait mais que cela présentait beaucoup d'inconvénients car personne ne voulait de sa place et que ça ne résoudrait pas le problème de LR", rapporte à franceinfo Pierre-Henri Dumont. "Et nous, on a lui a dit : 'Chaque jour que tu passes sur le poste l'abîme un peu plus'." Les deux jeunes députés ne renoncent pas à leur initiative et lancent jeudi avec neuf autres collègues un appel à la création d'un comité de renouvellement.

Des menaces et des départs

Si en interne, la pression monte de plus en plus, en externe, les coups de boutoir commencent à pleuvoir. Dans un texte publié mardi par Le Monde, Agir, le parti de centre-droit allié à Emmanuel Macron, appelle les maires des Républicains à quitter le parti pour rejoindre la majorité en vue des élections municipales. "Il est de notre responsabilité de ne pas laisser la droite se recroqueviller sur sa frange la plus conservatrice et identitaire et ainsi faire le jeu du Rassemblement national", écrivent-ils.

Dans Le Journal du dimanche, Sébastien Lecornu, le ministre chargé des Collectivités territoriales, issu des Républicains, enfonce le clou. "Mettez votre énergie à nous aider à reconstruire le pays plutôt que votre parti. La prochaine proie des populistes, ce sera les mairies et les régions. S'ils veulent être des remparts utiles et efficaces au RN, il faut que les maires issus de LR fassent preuve de clarté", affirme-t-il.

La plus grande preuve de clarté, pour ces maires de droite, c'est de quitter LR, c'est ce que je les appelle à faire.

Sébastien Lecornu

dans "Le Journal du dimanche"

Un appel visiblement entendu puisque vendredi, le maire de Quimper, Ludovic Jolivet, fait savoir qu'il quitte LR pour rejoindre Agir. Plusieurs édiles lui emboîtent le pas et claquent la porte de leur parti, notamment dans les Hauts-de-Seine. A ses démissions individuelles, s'ajoute le risque d'une scission du groupe LR à l'Assemblée nationale. Vendredi, une vingtaine de députés annoncent qu'ils réfléchissent à créer un nouveau groupe à l'Assemblée nationale, comme le révèle franceinfo.

Depuis plusieurs mois, l'orientation prise par le parti les dérange. Ils ont d'ailleurs du mal à se faire entendre. "On était surtout dans la volonté de prendre une initiative et de contribuer à la refondation des Républicains", explique à franceinfo Stéphane Viry, député des Vosges. Evidemment, la démarche inquiète l'état-major du parti. "J'ai reçu quelques appels pour connaître l'état de nos avancées de la part de membres de l'équipe dirigeante", indique à franceinfo Arnaud Viala, député de l'Aveyron. Pour autant, l'idée sonne plus comme un effet d'annonce que comme une véritable menace. Mais, elle est un nouveau caillou dans la chaussure de Laurent Wauquiez.

"J'ai vu le danger du retour de la guerre des chefs"

Le week-end arrive et le patron des Républicains prend le large. Direction le Puy-en-Velay pour se ressourcer en famille. Si la coupe est pleine, Laurent Wauquiez essaye néanmoins de renouer le fil avec plusieurs ténors. Selon nos informations, il tente ainsi d'échanger avec Valérie Pécresse. "Elle lui a expliqué que la situation était trop grave pour régler ça par un coup de téléphone", rapporte un membre de LR. Acculé, Laurent Wauquiez comprend qu'il n'a plus le choix.

Il a fait une analyse froide de la situation et s'est rendu compte qu'il risquait de tout perdre en s'accrochant.

Julien Aubert

à franceinfo

Sa décision est prise, Laurent Wauquiez l'annonce dimanche aux 20 heures de TF1. Le lendemain, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes accorde une interview au Figaro dans laquelle il précise les circonstances de sa démission. "Je me suis demandé au cours de cette semaine qui a été difficile quelle était la meilleure solution pour la reconstruction de la droite, assure l'ancien ministre. J'ai vu le danger du retour de la guerre des chefs, le désir de revanche et au fond un état d'esprit que j'ai connu par le passé et qui m'a écœuré, comme pendant l'affrontement Copé-Fillon ou pendant la présidentielle. Je me suis dit tout sauf ça car je sais à quel point cela est mortel."

J'en ai tiré la conclusion que si ma présence était un obstacle, alors il fallait partir.

Laurent Wauquiez

dans "Le Figaro"

Désormais, Laurent Wauquiez entend "prendre du recul" et espère une chose, que sa sincérité soit enfin reconnue. "Depuis des années, je porte les mêmes convictions. J'aimerais que cette part de vérité me soit reconnue", dit-il. Sur le chemin de la rédemption qui s'annonce long, il peut au moins se targuer d'avoir réussi la première marche. "Dans son bureau mardi, je lui avais dit que je serais curieux de voir le moment où il retrouvera sa sincérité car je le connais bien. Et bien dimanche, il l'a été, il y avait une vraie dignité", conclut Aurélien Pradié.

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