Le gouvernement veut-il prendre le contrôle de la Cour de cassation ? Trois questions sur un décret polémique
Avant de quitter Matignon, Manuel Valls a signé un décret pour placer la plus haute juridiction française "sous le contrôle direct" du gouvernement. Les magistrats sont inquiets.
Tout juste nommé, et déjà un courrier de mécontentement sur son bureau à Matignon. A peine arrivé à son nouveau poste, le Premier ministre Bernard Cazeneuve va devoir calmer la colère des magistrats de la Cour de cassation. Dans une lettre ouverte publiée mercredi 7 décembre, la plus haute Cour de l'ordre judiciaire dénonce son placement "sous le contrôle direct du gouvernement". En cause, un décret publié en début de semaine qui annonce la création d'une "inspection générale de la justice." Le but de cette nouvelle structure : contrôler le fonctionnement de toutes les juridictions. Du jamais vu.
Pourquoi ce décret pose-t-il problème ?
Ce décret a été publié lundi 5 décembre au Journal officiel. A l'initiative, Manuel Valls, qui vivait alors ses dernières heures à Matignon, et Jean-Jacques Urvoas, le Garde des Sceaux.
Jusqu'à maintenant, seules les juridictions judiciaires de premier et second degré (c'est-à-dire les tribunaux d'instances et les cours d'appel) avaient obligation de rendre des comptes à une instance rattachée au ministère de la Justice.
La Cour de cassation, elle, en était exemptée. Elle se contrôlait seule, et avait comme unique obligation de rendre une fois par an un rapport sur son fonctionnement lors de sa rentrée solennelle.
Comment réagit la Cour de cassation ?
Très mal. Son premier président, Bertrand Louvel, et son procureur général, Jean-Claude Marin, ont écrit une lettre ouverte, mercredi 7 décembre, dans laquelle ils dénoncent "une rupture avec la tradition républicaine observée jusqu'à ce jour." Dans ce courrier, les deux hommes demandent à être reçus par le nouveau Premier ministre, Bernard Cazeneuve.
Courrier du Premier président de la Cour de cassation et du Procureur général au Premier ministre @BCazeneuve https://t.co/PivyAo8vfc pic.twitter.com/OryQUaEtzr
— Cour de cassation (@Courdecassation) 7 décembre 2016
Les hauts magistrats de la Cour de cassation n'interpellent que très rarement l'exécutif. Ils ont pourtant déjà pris la plume récemment. C'était mi-octobre. Ils reprochaient à François Hollande ses propos sur la "lâcheté" des magistrats, cités dans le livre Un président ne devrait pas dire ça, écrit par les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Ils avaient alors été reçus par le chef de l'Etat le 12 octobre, mais leur colère n'était pas retombée.
#DirectCc "Notre entretien d'hier n'a pas atténué le sentiment que la magistrature a ressenti face à une nouvelle humiliation" JC Marin
— Cour de cassation (@Courdecassation) 13 octobre 2016
Hier, c'est le député Pouria Amirshahi (ancien membre du PS) qui a volé à leur secours. Lui aussi a écrit au Premier ministre, en lui demandant de revenir sur ce décret. "Ce dernier cadeau de Manuel Valls à son successeur est un signe supplémentaire de la fragilisation continue de notre Etat de droit, dont la séparation des pouvoirs est l’un des piliers. Ce serait le signe, après des mois de brutalité gouvernementale de son prédécesseur, d’un changement d’état d’esprit dans le rapport du gouvernement à la société et aux institutions."
Comment réagit le gouvernement ?
Pour l'instant, Matignon n'a fait aucun commentaire. En revanche, le Garde des Sceaux a déjà répondu aux deux magistrats. C'était hier. Dans ce courrier que Le Lab s'est procuré, le ministre de la Justice réfute les accusations de vouloir contrôler la Cour de cassation. "L'inspecteur général des services judiciaires exerçait déjà une mission permanente d'animation, de coordination et de réalisation de l'audit interne de l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire sans exclusion de la Cour de cassation."
Selon lui, "nul n'a jamais soutenu que la réalisation des inspections de fonctionnement dans les juridictions de premier ou de second degrés conduisait à placer ces dernières sous le contrôle direct ou indirect du gouvernement." Ce décret "a simplement procédé à une mise en cohérence des anciens textes".
Tous les trois auront l'occasion de se rencontrer "dans les prochains jours", promet Jean-Jacques Urvoas, qui promet de leur "redire" son "attachement indéfectible à l'indépendance de l'autorité judiciaire".
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