RECIT FRANCEINFO. "C'est un traître qui a organisé son départ" : les coulisses du divorce entre Marine Le Pen et Florian Philippot
Longtemps inséparable de Marine Le Pen et décrit comme son plus proche collaborateur, Florian Philippot a fini par quitter celle qui l'a propulsé sur le devant de la scène. Le vice-président du FN a annoncé, jeudi 21 septembre, son départ du parti, après plusieurs semaines de guerre larvée avec les cadres du Front. En réalité, tout s'est accéléré ces derniers jours lorsque Marine Le Pen lui a posé un ultimatum : quitter la présidence de son association Les Patriotes ou s'en aller du Front national. Franceinfo vous raconte les coulisses de ce psychodrame qui a (re)plongé le FN dans ses vieux démons.
Au bureau politique du FN, l'après-midi des longs couteaux
Le tweet se veut enjoué. "En avant pour un nouveau front", écrit sur Twitter le Front national. Lundi 18 septembre, en début d'après-midi, le parti se réunit lors d'un bureau politique. Une quarantaine de cadres de premier plan y participent. Officiellement, l'ordre du jour porte sur le questionnaire qui doit être envoyé aux militants concernant tant le projet que la stratégie et l'organisation future du parti. Mais autour de la table, les esprits sont ailleurs. L'eurodéputé Gilles Lebreton choisit de mettre les pieds dans le plat. "J'ai décidé d'aborder la question, raconte-t-il à franceinfo. Je l'avais déjà fait lors du précédent bureau en juillet. A ce moment-là, je pensais que les choses pouvaient encore s'améliorer. Mais là, je l'ai interpellé en lui demandant ce que ça signifiait."
Lui, bien sûr, c'est Florian Philippot. L'ancien chevènementiste de 35 ans est depuis des semaines le vilain petit canard du FN. Son association Les Patriotes, fondée juste après la présidentielle, crée la zizanie. Nombre de poids lourds frontistes y voient une concurrence directe au FN. Et donc, à Marine Le Pen. La présidente, elle, a espéré jusqu'au bout que son bras droit fasse marche arrière. A tort. Le bureau politique se focalise donc ce jour-là sur son seul cas.
Je lui ai demandé de clarifier sa position, de choisir entre Les Patriotes et le parti. C'était un problème de déloyauté.
"Il a cultivé l'ambiguïté, en disant que c'était un think tank, une boîte à idées. Or, là, c'était différent, avec un système d'encartement des adhérents", poursuit-il. A la fin de l'exposé, "quasiment tout le bureau acquiesce à mes propos de façon très calme", raconte l'eurodéputé.
Nos cadres sont réunis aujourd'hui, en bureau politique élargi, pour travailler à la refondation du mouvement !???? #EnAvantPourUnNouveauFront pic.twitter.com/We48bd5pBu
— Front National (@FN_officiel) 18 septembre 2017
Sur les photos diffusées sur le compte Twitter du FN, Florian Philippot est au bout de la salle, en plein échange avec sa seule alliée au bureau politique, Sophie Montel, eurodéputée et conseillère régionale en Bourgogne-Franche-Comté. A ce moment-là, toujours selon Gilles Lebreton, le vice-président du FN lui "répond des propos incohérents" et "l'attaque pour des raisons personnelles". "Il nous a dit : 'Vos adhérents sont de moins en moins nombreux.' Et quelqu'un lui a répondu : 'Nos adhérents sont aussi les tiens'", soupire l'eurodéputé. Ajoutant : "Il se situait déjà à l'extérieur du parti".
Faux, répondent les partisans de Florian Philippot. "Il a très sereinement expliqué que Les Patriotes participaient à la refondation du FN et qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts, soutient Joffrey Bollée, directeur de cabinet du désormais ex-vice président frontiste. Il a dit qu'il se consacrait à son association lors de son temps libre. Il a aussi réaffirmé qu'il y avait une volonté de s'en prendre à lui, que c'était un prétexte pour s'en prendre à lui", insiste de son côté Cyril Martinez, un autre proche de Florian Philippot.
A la fin de la discussion, Marine Le Pen prend la parole, pour lui demander de choisir entre son association et le parti.
Si tu dois partir, le Front national n'en mourra pas. J'en ai vu d'autres.
"C'est comme dans un divorce, ça peut se passer bien ou ça peut se passer mal", poursuit la patronne du FN, toujours selon Libération. "Elle reprend nos positions et lui accorde un délai de réflexion en lui disant qu'on ne peut plus continuer comme ça, précise Gilles Lebreton. Mais en aucun cas, elle l'a poussé dehors." Le bureau politique se clôt dans cette ambiance délétère, mais en réalité, rien n'est décidé. "Rien n'avait été tranché", abonde Joffrey Bollée.
Un départ planifié ?
Si, lundi en fin d'après-midi, le divorce n'est pas encore acté, la rupture couve en fait depuis plusieurs semaines. La question des Patriotes est accessoire, estime Gilbert Colllard. Pour le député FN du Gard, le vrai problème, c'est l'omniprésence médiatique de Florian Philippot. "On ne peut pas accepter que la parole de Marine Le Pen soit submergée par la parole d'un cadre." Pour beaucoup de figures frontistes, Florian Philippot a, en réalité, organisé son départ depuis plusieurs semaines.
Sa décision de quitter le mouvement a été prise avant l'été. C'était une opération parfaitemement organisée.
Gilles Lebreton parle d'"un traître qui a organisé son départ" : "C'était pensé, c'est un homme très intelligent. Il a voulu être numéro un et il a quitté le parti." Pour le secrétaire national aux fédérations, Jean-Lin Lacapelle, Florian Philippot "est entré dans un bras de fer" ces dernières semaines. Pourquoi ne pas être parti plus tôt ? "C'est mieux de partir en foutant un peu le bordel", lâche le secrétaire national.
"Le bordel", justement, se manifeste déjà lors du débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle. Le 3 mai, face à Emmanuel Macron, Marine Le Pen sidère de nombreux téléspectateurs et commentateurs par son agressivité et son manque de précisions, notamment et surtout sur la question de la monnaie unique européenne. Le sujet de prédilection de Florian Philippot. "Sa ligne souverainiste anti-euro est arrivée au bout", commente Nicolas Lebourg, historien spécialiste du FN. Or, c'est sur cette ligne que Florian Philippot a préparé la candidate au débat. Au sein du parti, les critiques fusent à son encontre.
Quelques jours après, le responsable de la stratégie et de la communication au FN annonce donc à L'Opinion la création de son association, Les Patriotes. "Il a prévenu Marine Le Pen par un texto la veille !", s'étrangle Jean-Lin Lacapelle. Cette version n'est pas contestée par les pro-Philippot, à un détail près.
Il a toujours été très loyal envers Marine Le Pen. Elle lui a donné son approbation pour l'association, même si elle a été prévenue la veille pour le lendemain.
Puis, survient l'affaire Montel. Très proche de Florian Philippot, la présidente du groupe FN en Bourgogne-Franche-Comté est démise de ses fonctions le 30 juin. On lui reproche notamment de continuer à soutenir deux élus frontistes coupables d'un "comportement inacceptable lors de la campagne des élections législatives" et de "propos très hostiles à la direction du mouvement". "Ça a été assez violent pour nous, confie Nathalie Desseigne, conseillère régionale FN de Bourgogne-Franche-Comté. Je ne veux pas citer des noms, mais des cadres de Nanterre sont à l'origine de tout ça." Florian Philippot vole immédiatement au secours de sa protégée, assurant qu'elle "est une élue exemplaire, une cadre professionnelle, une militante fidèle et moderne".
Dernier rebondissement en date : la polémique sur le couscous. Le 13 septembre, Florian Philippot retrouve ses fidèles dans un restaurant à Strasbourg. Au menu : du couscous. Jusque-là, rien de très spectaculaire. Sauf que l'une des participantes du dîner, Kelly Betesh, poste la photo sur Twitter. L'effet est immédiat. Des militants frontistes et nationalistes s'en prennent au vice-président du FN, l'accusant de préférer le couscous à la "gastronomie française", alors que Strasbourg propose de nombreuses spécialités "du terroir", notamment la choucroute. "Le #couscousgate montre que notre famille politique a encore beaucoup à faire avant la victoire", rétorque sur Twitter Sophie Montel. Sur France Inter lundi 18 septembre, Florian Philippot réagit lui en traitant ses détracteurs de "crétines et des crétins".
Au meilleur couscous de Strasbourg ???????? @_LesPatriotes pic.twitter.com/U3NmqM9v4d
— Kelly Betesh (@K_Betesh) 13 septembre 2017
Règlements de comptes par médias interposés
Le ton est maintenant donné, la guerre va se jouer par médias interposés. Invitée mardi 19 septembre sur RTL, à 7h45, Marine Le Pen tente d'abord la méthode douce ou Coué. "Il n'y a pas de crise au Front national, affirme-t-elle, jouant sur la sensibilité de Florian Philippot. Il est évident que s'il passe son temps à faire la communication des Patriotes, les adhérents du Front national vont se sentir orphelins." Florian Philippot lui répond à 8h30 sur RMC. Le linge sale est déballé en public. "On m'a mis un pistolet sur la tempe", explique-t-il à propos du bureau politique, au cours duquel on lui a demandé de choisir entre Les Patriotes et le FN. Le spécialiste de la communication frontiste fait aussi remarquer que Louis Aliot, président du think tank Idées Nation n'a pas eu à subir ce genre d'ultimatum. Qu'à cela ne tienne, le compagnon de Marine Le Pen annonce sur Twitter qu'il démissionne de la présidence de l'association "par souci d'apaisement et pour mettre fin à un faux procès".
Au Front national, les cadres sont derrière la présidente. Florian Philippot n'a pas constitué de réseaux d'élus et s'est fait beaucoup d'ennemis. "Il a humilié des gens pendant des années, remarque l'historien spécialiste du FN Nicolas Lebourg. ll y a des tonnes d’histoires entre lui et des élus, il n’est vraiment pas doué pour se faire aimer. Il a toujours pratiqué la politique du 'avec moi ou contre moi'". Pourtant, certains tentent de calmer le jeu. Etonnament, Bruno Gollnisch est de ceux-là. Les deux hommes ne sont pourtant pas connus pour être sur la même ligne politique. "Il vient du gaullisme ; moi, de l'antigaullisme", résume sobrement l'eurodéputé qui s'était également opposé à Florian Philippot lors de l'éviction de Jean-Marie Le Pen. Mais Bruno Gollnisch sent que les choses dérapent. "J'aurais voulu que ce soit circonscrit entre lui et Marine Le Pen et là, c'est monté au clash", confie-t-il à franceinfo.
J'ai envoyé un texto à Philippot mardi vers 11 heures pour lui demander de ne pas porter ce débat sur la place publique et je lui ai proposé un entretien amical.
Peine perdue : Bruno Gollnisch explique ne pas avoir reçu de réponse à son SMS. Le lendemain, mercredi 20 septembre, les dissensions reprennent. Toujours au grand jour. "Il y a très peu de différence entre ce qu'il y a eu dans les coulisses et ce qui s'est dit publiquement", confirme Joffrey Bollée. Invitée de CNews à 7h30, Marine Le Pen passe la seconde : "J'ai demandé à Florian Philippot de choisir [entre Les Patriotes et le FN]. Et rapidement. Je vais le rencontrer, et s'il ne choisit pas, je le ferai pour lui". Selon Le Monde, la présidente du FN déjeune ce jour-là avec son allié du second tour de la présidentielle, Nicolas Dupont-Aignan. Le président de Debout la France prévient : se passer de Florian Philippot est une erreur car le vice-président incarne la dédiabolisation du parti.
Plusieurs cadres frontistes assurent que l'ancien duo, autrefois inséparable, ne s'est pas physiquement rencontré pendant ces quatre jours. En tout cas, le ton n'est toujours pas à l'apaisement. Mercredi soir, à 19h30, c'est au tour de Florian Philippot de répliquer, là encore sur CNews. Les coups sont désormais lâchés.
Si le Front national fait un drame pour une association, c'est qu'il est mort. Le visage qu'il renvoie en ce moment est épouvantable.
Une heure plus tard, le couperet tombe dans un communiqué lapidaire : Florian Philippot est démis de sa délégation à la stratégie et à la communication. Il conserve son titre de vice-président, mais sans aucune attribution. Florian Philippot refuse l'humiliation. Jeudi 21 septembre, sur le plateau des "4 Vérités" sur France 2, il jette l'éponge et annonce sa démission. "Je n'ai pas le goût du ridicule et je n'ai jamais eu le goût de ne rien faire", se justifie-t-il.
Le départ de Florian Philippot n'inquiète pas outre mesure les dirigeants du Front. Ils sont nombreux à comparer la situation actuelle avec la scission de 1998 et le départ de Bruno Mégret. "C'était toute autre chose, là ça va rester très circonscrit", assure Bruno Gollnisch. Un avis partagé par l'historien Nicolas Lebourg pour qui le souverainisme, la ligne de Philippot, ne "fonctionne pas". "Chevènement a fait 5% à la présidentielle de 2002, personne n'a fait mieux." Et puis, Florian Philippot est isolé. Ses alliés ? "Ils sont inconnus du grand public. Il n’y aura pas de survie hors du Front", assure Nicolas Lebourg.
Quelques instants après l'annonce de sa démission, Marine Le Pen répond à Florian Philippot. "Je respecte sa décision, mais je conteste formellement l’habillage et les accusations qu’il porte. C’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace", lui répond-elle sur LCP. Jeudi en fin d'après-midi, la patronne du Front a nommé David Rachline, sénateur-maire de Fréjus (Var) à la communication. Pour tourner la page, vite.