De Mélenchon à Ardisson... La révolution de l'Insoumise Raquel Garrido
"Il va falloir choisir." Attablée à un café près de la porte de Vincennes à Paris, Raquel Garrido n’hésite pas très longtemps : "Ce sera Ruth." Ruth pour Ruth Elkrief, l’une des stars de BFMTV. La porte-parole de La France insoumise vient de recevoir sur son portable deux invitations médiatiques pour la soirée, à la veille de la grande manifestation contre la loi Travail du samedi 23 septembre. Elle sait qu’elle ne pourra pas répondre aux deux car "ça ne se fait pas". Dans les médias, "il y a des codes, c’est comme ça, c’est comme chez les mafieux", rit-elle.
Les codes médiatiques, elle les connaît désormais sur le bout des doigts. Au point d’avoir accepté une proposition peu commune : devenir chroniqueuse de l’émission "Les Terriens du dimanche", animée par Thierry Ardisson sur C8, chaîne du groupe Canal+, propriété du milliardaire Vincent Bolloré. Immédiatement, la nouvelle est abondamment commentée. "Une Insoumise à la télé… qui plus est de Bolloré ?", s'étonne Arrêt sur images. "'Une insoumise payée par un oligarque' : l'arrivée de Raquel Garrido sur C8 amuse", résume Closer. Désignée "meilleur espoir de la rentrée télé" par Vanity Fair, Raquel Garrido détonne autant qu'elle agace. Elle s’en moque et assume. Et continue de tracer sa route.
Chili, Canada, France… Une enfance à l’international
La pourfendeuse du capitalisme a forgé ce caractère bien loin de Paris. Née le 23 avril 1974 à Valparaiso (Chili), elle aime raconter que l’hôpital dans lequel elle a vu le jour a depuis été remplacée par le Parlement chilien. Ses parents sont jeunes, mais vivent l’humiliation et la torture. Engagés "dans l’aventure d’Allende", ces militants voient leur monde s’écrouler le 11 septembre 1973, jour du coup d’Etat de Pinochet.
Quelques jours plus tard, tout le monde est raflé. Ma mère est emprisonnée à l’école de la marine, alors qu’elle est enceinte de moi. Elle a fait un black-out, elle ne se souvient plus de ce qui lui est arrivé.
Son père, emprisonné ailleurs dans la ville de Valparaiso, subit "des séances de torture, de l’humiliation, de la violence physique". Une fois libéré, il organise le départ de sa famille et de voisins En mars 1975, à seulement 11 mois, Raquel Garrido arrive au Canada. Elle y reste treize ans.
Sa sœur Tatiana vient agrandir la famille deux ans plus tard. Connue pour avoir participé à l'émission "The Voice" au Québec, cette dernière, désormais de retour au Chili, raconte à franceinfo une enfance heureuse où "l’on chantait beaucoup à la maison". Avec sa sœur Raquel, qu’elle considère comme son "idole", elles font beaucoup de sport. "On faisait du baseball et surtout de la ringuette, un sport sur glace où ma sœur était arbitre", raconte-t-elle. La petite Raquel découvre aussi le théâtre d’improvisation en primaire et au collège. Une révélation. "Ça m’a fait sortir de ma bulle, ça m’a vraiment transformé", confie-t-elle. Pendant quatre ans, elle goûte aux applaudissements sur les planches.
La vie canadienne prend fin en 1988. Le père de Raquel et Tatiana, ingénieur, est muté en France. Raquel a 14 ans et aucune envie de partir. "Ma sœur a dû abandonner son petit ami", glisse Tatiana. Le 8 septembre, la petite famille débarque dans un hôtel des Yvelines, avant de trouver un appartement trois semaines plus tard à Marly-le-Roi. "On aimait la tour Eiffel, les baguettes et la crème chantilly", sourit Tatiana. Les premières impressions de Raquel sont plus mitigées. Ironiquement, celle qui squatte aujourd'hui le petit écran trouve la télé française "nulle, affligeante" : "J’ai été biberonnée aux séries américaines et en France, ils diffusaient Hélène et les garçons." L’Hexagone lui réserve quand même une bonne surprise. "J’ai été très étonnée par la capacité des ados à parler politique. En octobre, les jeunes parlaient encore du vote de leurs parents à la présidentielle de mai", se rappelle-t-elle. Elle s'engage pour la première fois, en 1990, au lycée international de Saint-Germain-en-Laye, lors d’un mouvement lycéen contre le ministre de l’Education de l’époque, Lionel Jospin. La jeune Raquel Garrido fait le lien avec les autres lycées du département et participe aux grandes manifs parisiennes. Le grand bain du militantisme politique lui tend les bras.
“Ambitieuse”, “brillante” et “Grande Gueule”
Raquel Garrido atterrit à la fac de Nanterre, sa "fac de secteur", en septembre 1993 pour y étudier le droit et embrasser une carrière d’avocate. Dès octobre, l’étudiante replonge dans le combat politique : "Il y a eu un mouvement contre Balladur, qui voulait supprimer une allocation logement, l’ALS." Elle fait voter la grève dans son amphi, puis devient animatrice du mouvement, avant d’être prise en charge par les équipes de l’Unef-ID. "J’ai un souvenir très précis de la première fois où j’ai vu Raquel, relate Philippe Campinchi, alors président du syndicat. Elle est intervenue lors d'un débat sur l'ALS à la Sorbonne et m’a surpris. C’était une passionaria. On la sentait très investie, c’était déjà une très bonne oratrice, avec une expérience politique forte." "C’était une bonne militante, mais j’ai dû lui mettre des coups de pieds aux fesses pour qu’elle finisse ses études", juge Isabelle Thomas, eurodéputée PS, également engagée à l'Unef-ID à l'époque.
Elle était très ambitieuse, même si ce n’est pas forcément un défaut. Elle cherchait les responsabilités, la reconnaissance. Et elle était plutôt brillante.
Très vite, Raquel Garrido intéresse les médias. Le 22 octobre 1994, elle fait sa première télé dans "Chela ouate", une émission de débat de France 2. Les cheveux courts, Raquel parle des jeunes et de leurs problèmes d’argent. Aux manettes de l'émission, Christian Spitz, "Le Doc" de Fun Radio, lui demande si les jobs étudiants ne sont pas aussi "une sorte d’apprentissage à la vie”. "L’apprentissage de la vie, on le fait à l’université, à l’école, on n’a pas besoin de la faire au Pizza Hut", rétorque Raquel Garrido. Première punchline à la télévision et premiers applaudissements.
En parallèle du syndicalisme étudiant, Raquel Garrido adhère à la gauche socialiste, un courant du PS fondé en 1988 par Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon. Elle rencontre pour la première fois son futur mentor lors d’une convention sur le temps de travail organisée par Michel Rocard. "Ils voulaient réduire le temps de travail, mais avec une baisse de salaire. J’ai demandé à intervenir et devant les poids-lourds du parti comme [Pierre] Mauroy ou [Bernard] Kouchner, je leur ai dit qu’ils étaient perchés." Une fois la tribune quittée, Pascal Troadec, désormais Insoumis, lui présente Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon m’a félicité pour mon discours et moi, je lui ai répondu un truc fayot du genre : 'Je n’ai fait que mon devoir'.
Jean-Luc Mélenchon est un des hommes de sa vie – "C'est le meilleur de sa génération", "en train de changer l'histoire du pays" avec les Insoumis, "je sais à peu près tout ce qu’il pense", assure-t-elle. Alexis Corbière en est bien entendu un autre. Elle le croise d’abord au siège de l’Unef-ID mais prend vraiment "conscience de son existence lorsqu’il est emprisonné" en 1995, accusé d’avoir hébergé des membres de l’ETA. "Je fais campagne pour sa libération et quand il est libéré [il a été relaxé], je le rencontre plus sérieusement. On est sortis ensemble en mai 1997", explique-t-elle. Le couple, qui a trois filles, se marie trois ans plus tard. Ensemble, "les petits chéris" de Jean-Luc Mélenchon vont militer pour le non au référendum sur la Constitution européenne de 2005, le scrutin qui fait émerger leur mentor au niveau national. En 2008, toujours ensemble, ils quittent le PS pour fonder quelques mois plus tard le Parti de gauche.
Le nouveau statut de Jean-Luc Mélenchon ouvre à ses portes-flingues les portes des plateaux télé. Raquel Garrido est de plus en plus sollicitée. Olivier Truchot, animateur des "Grandes Gueules" sur RMC, explique l'avoir "repéré" à ce moment-là : "C’est une vieille histoire entre Garrido et les 'Grandes Gueules'."
Raquel Garrido détonnait, elle avait du bagou et elle aimait beaucoup la télé. C’est d’ailleurs toute l'ambiguïté de sa démarche, se poser comme antisystème et apprécier le système, en redemander. Elle y a pris goût, ce n’est pas d’ailleurs une bonne idée qu’elle se démultiplie.
Porte-parole de Mélenchon et chroniqueuse sur la télé de Bolloré
Pendant la campagne présidentielle, Raquel Garrido est partout et accepte tout. Durant un an et demi, la porte-parole de Jean-Luc Mélenchon se donne corps et âme pour son candidat : "Nos enfants ont été dans un état d'abandon", explique-t-elle. Aujourd’hui, elle reçoit toujours "20 à 30 textos de journalistes par jour", mais affirme vouloir lever le pied, reprendre des clients comme avocate et laisser sa place à d'autres figures du mouvement. Cette résolution n'empêche pas Raquel Garrido d'être chaque semaine sur un plateau télé. Celui des "Terriens du dimanche", le talk-show de Thierry Ardisson sur C8.
On avait besoin d’une femme, on ne voulait pas une potiche, on la voulait forte en gueule et de gauche, car on avait déjà [Natacha] Polony.
Raquel Garrido est en haut de sa liste. Elle accepte tout de suite sa proposition. "J’en ai parlé à Alexis [Corbière], il m’a dit que ça serait super", assure-t-elle. Cette fois, elle est rémunérée. "Je ne peux plus travailler gratuitement pour les médias, je l’ai déjà fait avec Hondelatte sur BFMTV pendant un an. Mais, cette année, j’ai mis l’équilibre financier de ma famille en péril." Elle refuse toujours de dévoiler sa rémunération. Ne comprend pas la polémique. "Pourquoi y a-t-il ce voyeurisme sur ma personne ? Il y a un sous-entendu comme quoi il faudrait qu’un Insoumis vive pauvrement pour défendre les pauvres, mais c’est de la folie, c’est discriminatoire", s’énerve-t-elle.
Au-delà de la question de l’argent, Raquel Garrido suscite aussi la polémique pour sa présence sur une chaîne de Vincent Bolloré, le patron milliardaire dont la gestion de la crise à i-Télé (devenue CNews depuis) avait été critiquée par La France insoumise.
On s'était déjà posés la question après la grève : fallait-il continuer à aller sur les plateaux d’i-Télé et de Canal + ? On a décidé qu’on y allait. Il faut exister, on n’a pas d’états d’âmes. La réalité c’est que l’on a pas assez d’Insoumis dans les débats à la télé.
"Raquel n’a jamais rencontré Bolloré, il n’a pas assisté à la composition du casting de l’émission. On est une entité économique avec une grande indépendance", défend de son côté le producteur Stéphane Simon.
Autre souci : le ton un peu trop people de certains sujets. Sur le plateau, Raquel Garrido côtoie notamment Jeremstar, connu sur internet pour recevoir bimbos et starlettes de la téléréalité dans sa baignoire. "Jeremstar, c’est quelqu’un qui a un discours très intéressant sur la téléréalité, par exemple, sur les contrats précaires. Il faut écouter ce qu’il dit”, confie-t-elle à propos de celui qui l’a surnommée “baby” sur Twitter. La chroniqueuse se retrouve ainsi à écouter son comparse parler de la pénoplastie, la chirurgie du sexe. Et pour elle, le sujet a sa place : "C’est quoi ce monde où des gamins pensent que pour aller dans la téléréalité il faut se faire charcuter les parties les plus intimes ?" Le principal intéressé lui est ravi de côtoyer Raquel Garrido. "J’aime beaucoup cette femme, j’admire son éloquence, c’est un peu comme une maman, ça m’amuse de la voir débattre, et je reçois parfois des postillons de leurs débats", assure-t-il. Les deux chroniqueurs ont même immortalisé leur nouvelle complicité sur les réseaux sociaux avec un selfie.
Avec mon acolyte Raquel Garrido sur le plateau de #LTD Jolie rencontre pic.twitter.com/AZFKuUUeF7
— JEREMSTAR (@jeremstar) 17 septembre 2017
Pour l’instant, le nouveau rôle de Raquel Garrido semble bien accueilli par les militants et les cadres du mouvement. "Elle a l’intelligence de la situation, elle arrive à comprendre les failles du système médiatique dans lesquels elle s’insère", estime Manuel Bompard, ancien directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Malgré tout, les premières critiques commencent à fuser. "Devenir la chroniqueuse d’un tycoon médiatique, ça fait jaser dans les rangs", explique au Point Danielle Simonnet, conseillère de Paris.
J’ai eu des retours, je sais que bon, dans notre famille politique, certains sont heurtés par cette posture trop people.
"Elle a réussi la première partie de son opération : sortir de l’anonymat et devenir un objet de polémique, mais ce statut va-t-il pouvoir tenir ? Je suis dubitatif", confie Julien Dray qui l’a si souvent côtoyée dans le passé. Raquel n’en a cure et revendique même le mélange des genres. "Je suis moi-même un mélange. Depuis quand c’est malsain ? Tout ça, c’est des prétextes des censeurs qui ne veulent pas que j’y sois."
Mais, depuis les polémiques s'enchaînent. Le 26 septembre, Libé Désintox révèle que la chroniqueuse a vanté, lors de l'émission du 24 septembre, la manifestation de la veille qui a, selon elle, bien marché". Or, l'enregistrement a lui eu lieu le jeudi 21 septembre, soit deux jours avant que les Insoumis ne manifestent. Le soir de la publication de l'article, Raquel Garrido se lance sur Twitter dans une véritable "battle" avec Libé Désintox et campe sur ses positions.
Aucune Desintox Ă l'horizon vu qu'au moment de leur diffusion Dimanche, les propos sont tout simplement exacts. J'avais raison.
— Raquel Garrido (@RaquelGarridoFI) 26 septembre 2017
Quelques jours plus tard, rebelote. Raquel Garrido suscite de nouveau la controverse, cette fois-ci avec un tweet à propos de l'effondrement d'une barrière au stade de La Licorne d'Amiens. "J'ai assisté ce soir au match PSG-Bordeaux, événement qui coûte des millions, tandis qu'à Amiens-Lille une tribune s'effondre. Cherchez l'erreur", écrit-elle. Face aux réactions indignées, elle est contrainte d'effacer son message.
Bon les amis je vais supprimer mon tweet évoquant l'inégalité financière entre clubs car l'émotion est forte ce soir. Ms ns en reparlerons.
— Raquel Garrido (@RaquelGarridoFI) 30 septembre 2017
A-t-elle vu venir la dernière polémique ? Cette fois pourtant, elle n'en est pas à l'origine. Dans son édition du mercredi 4 octobre, Le Canard enchaîné révèle que Raquel Garrido n'a pas payé ses cotisations sociales à la caisse de retraite des avocats depuis six ans. La note est salée : il y en a pour 32 215 euros. L'avocate n'a pas non plus réglé ses cotisations à l'Ordre des avocats depuis un an, ajoute l'hebdomadaire. Contactée par franceinfo, cette dernière n'a pas répondu. Son compte Twitter est étonnament silencieux. Comment se défendra-t-elle ? La suite au prochain épisode.