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De Mélenchon à Ardisson... La révolution de l'Insoumise Raquel Garrido

Margaux Duguet le samedi 23 septembre 2017

Raquel Garrido pose au QG de campagne de La France insoumise, Ă  Paris, le 26 janvier 2017. (WITT / SIPA)

"Il va falloir choisir." AttablĂ©e Ă  un cafĂ© près de la porte de Vincennes Ă  Paris, Raquel Garrido n’hĂ©site pas très longtemps : "Ce sera Ruth." Ruth pour Ruth Elkrief, l’une des stars de BFMTV. La porte-parole de La France insoumise vient de recevoir sur son portable deux invitations mĂ©diatiques pour la soirĂ©e, Ă  la veille de la grande manifestation contre la loi Travail du samedi 23 septembre. Elle sait qu’elle ne pourra pas rĂ©pondre aux deux car "ça ne se fait pas"Dans les mĂ©dias, "il y a des codes, c’est comme ça, c’est comme chez les mafieux", rit-elle.

Les codes mĂ©diatiques, elle les connaĂ®t dĂ©sormais sur le bout des doigts. Au point d’avoir acceptĂ© une proposition peu commune : devenir chroniqueuse de l’émission "Les Terriens du dimanche", animĂ©e par Thierry Ardisson sur C8, chaĂ®ne du groupe Canal+, propriĂ©tĂ© du milliardaire Vincent BollorĂ©. ImmĂ©diatement, la nouvelle est abondamment commentĂ©e. "Une Insoumise Ă  la tĂ©lé… qui plus est de BollorĂ© ?", s'Ă©tonne ArrĂŞt sur images"'Une insoumise payĂ©e par un oligarque' : l'arrivĂ©e de Raquel Garrido sur C8 amuse", rĂ©sume Closer. DĂ©signĂ©e "meilleur espoir de la rentrĂ©e tĂ©lĂ©" par Vanity Fair, Raquel Garrido dĂ©tonne autant qu'elle agace. Elle s’en moque et assume. Et continue de tracer sa route.

Chili, Canada, France… Une enfance à l’international

Raquel Garrido Ă  Toronto (Canada), en 1975. (RAQUEL GARRIDO)

La pourfendeuse du capitalisme a forgé ce caractère bien loin de Paris. Née le 23 avril 1974 à Valparaiso (Chili), elle aime raconter que l’hôpital dans lequel elle a vu le jour a depuis été remplacée par le Parlement chilien. Ses parents sont jeunes, mais vivent l’humiliation et la torture. Engagés "dans l’aventure d’Allende", ces militants voient leur monde s’écrouler le 11 septembre 1973, jour du coup d’Etat de Pinochet.

Quelques jours plus tard, tout le monde est raflé. Ma mère est emprisonnée à l’école de la marine, alors qu’elle est enceinte de moi. Elle a fait un black-out, elle ne se souvient plus de ce qui lui est arrivé.

Raquel Garrido

Son père, emprisonné ailleurs dans la ville de Valparaiso, subit "des séances de torture, de l’humiliation, de la violence physique". Une fois libéré, il organise le départ de sa famille et de voisins En mars 1975, à seulement 11 mois, Raquel Garrido arrive au Canada. Elle y reste treize ans.

Sa sĹ“ur Tatiana vient agrandir la famille deux ans plus tard. Connue pour avoir participĂ© Ă  l'Ă©mission "The Voice" au QuĂ©bec, cette dernière, dĂ©sormais de retour au Chili, raconte Ă  franceinfo une enfance heureuse oĂą "l’on chantait beaucoup Ă  la maison". Avec sa sĹ“ur Raquel, qu’elle considère comme son "idole", elles font beaucoup de sport. "On faisait du baseball et surtout de la ringuette, un sport sur glace oĂą ma sĹ“ur Ă©tait arbitre", raconte-t-elle. La petite Raquel dĂ©couvre aussi le théâtre d’improvisation en primaire et au collège. Une rĂ©vĂ©lation. "Ça m’a fait sortir de ma bulle, ça m’a vraiment transformĂ©", confie-t-elle. Pendant quatre ans, elle goĂ»te aux applaudissements sur les planches.

La vie canadienne prend fin en 1988. Le père de Raquel et Tatiana, ingĂ©nieur, est mutĂ© en France. Raquel a 14 ans et aucune envie de partir. "Ma sĹ“ur a dĂ» abandonner son petit ami", glisse Tatiana. Le 8 septembre, la petite famille dĂ©barque dans un hĂ´tel des Yvelines, avant de trouver un appartement trois semaines plus tard Ă  Marly-le-Roi. "On aimait la tour Eiffel, les baguettes et la crème chantilly", sourit Tatiana. Les premières impressions de Raquel sont plus mitigĂ©es. Ironiquement, celle qui squatte aujourd'hui le petit Ă©cran trouve la tĂ©lĂ© française "nulle, affligeante" : "J’ai Ă©tĂ© biberonnĂ©e aux sĂ©ries amĂ©ricaines et en France, ils diffusaient HĂ©lène et les garçons." L’Hexagone lui rĂ©serve quand mĂŞme une bonne surprise. "J’ai Ă©tĂ© très Ă©tonnĂ©e par la capacitĂ© des ados Ă  parler politique. En octobre, les jeunes parlaient encore du vote de leurs parents Ă  la prĂ©sidentielle de mai", se rappelle-t-elle. Elle s'engage pour la première fois, en 1990, au lycĂ©e international de Saint-Germain-en-Laye, lors d’un mouvement lycĂ©en contre le ministre de l’Education de l’époque, Lionel Jospin. La jeune Raquel Garrido fait le lien avec les autres lycĂ©es du dĂ©partement et participe aux grandes manifs parisiennes. Le grand bain du militantisme politique lui tend les bras.

“Ambitieuse”, “brillante” et “Grande Gueule”

Raquel Garrido au tribunal de Béthune (Pas-de-Calais), avec Jean-Luc Mélenchon, le 10 décembre 2013. (DENIS CHARLET / AFP)

Raquel Garrido atterrit Ă  la fac de Nanterre, sa "fac de secteur", en septembre 1993 pour y Ă©tudier le droit et embrasser une carrière d’avocate. Dès octobre, l’étudiante replonge dans le combat politique : "Il y a eu un mouvement contre Balladur, qui voulait supprimer une allocation logement, l’ALS." Elle fait voter la grève dans son amphi, puis devient animatrice du mouvement, avant d’être prise en charge par les Ă©quipes de l’Unef-ID. "J’ai un souvenir très prĂ©cis de la première fois oĂą j’ai vu Raquel, relate Philippe Campinchi, alors prĂ©sident du syndicat. Elle est intervenue lors d'un dĂ©bat sur l'ALS Ă  la Sorbonne et m’a surpris. C’était une passionaria. On la sentait très investie, c’était dĂ©jĂ  une très bonne oratrice, avec une expĂ©rience politique forte." "C’était une bonne militante, mais j’ai dĂ» lui mettre des coups de pieds aux fesses pour qu’elle finisse ses Ă©tudes",  juge Isabelle Thomas, eurodĂ©putĂ©e PS, Ă©galement engagĂ©e Ă  l'Unef-ID Ă  l'Ă©poque.

Elle était très ambitieuse, même si ce n’est pas forcément un défaut. Elle cherchait les responsabilités, la reconnaissance. Et elle était plutôt brillante.

Isabelle Thomas, eurodéputée PS, ancienne de l'Unef-ID

Très vite, Raquel Garrido intéresse les médias. Le 22 octobre 1994, elle fait sa première télé dans "Chela ouate", une émission de débat de France 2. Les cheveux courts, Raquel parle des jeunes et de leurs problèmes d’argent. Aux manettes de l'émission, Christian Spitz, "Le Doc" de Fun Radio, lui demande si les jobs étudiants ne sont pas aussi "une sorte d’apprentissage à la vie”. "L’apprentissage de la vie, on le fait à l’université, à l’école, on n’a pas besoin de la faire au Pizza Hut", rétorque Raquel Garrido. Première punchline à la télévision et premiers applaudissements.

Raquel Garrido sa premiere tele
Raquel Garrido sa premiere tele Raquel Garrido sa premiere tele

En parallèle du syndicalisme étudiant, Raquel Garrido adhère à la gauche socialiste, un courant du PS fondé en 1988 par Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon. Elle rencontre pour la première fois son futur mentor lors d’une convention sur le temps de travail organisée par Michel Rocard. "Ils voulaient réduire le temps de travail, mais avec une baisse de salaire. J’ai demandé à intervenir et devant les poids-lourds du parti comme [Pierre] Mauroy ou [Bernard] Kouchner, je leur ai dit qu’ils étaient perchés." Une fois la tribune quittée, Pascal Troadec, désormais Insoumis, lui présente Jean-Luc Mélenchon.

Jean-Luc MĂ©lenchon m’a fĂ©licitĂ© pour mon discours et moi, je lui ai rĂ©pondu un truc fayot du genre : 'Je n’ai fait que mon devoir'.

Raquel Garrido

Jean-Luc MĂ©lenchon est un des hommes de sa vie – "C'est le meilleur de sa gĂ©nĂ©ration", "en train de changer l'histoire du pays" avec les Insoumis, "je sais Ă  peu près tout ce qu’il pense", assure-t-elle. Alexis Corbière en est bien entendu un autre. Elle le croise d’abord au siège de l’Unef-ID mais prend vraiment "conscience de son existence lorsqu’il est emprisonnĂ©" en 1995, accusĂ© d’avoir hĂ©bergĂ© des membres de l’ETA. "Je fais campagne pour sa libĂ©ration et quand il est libĂ©rĂ© [il a Ă©tĂ© relaxĂ©], je le rencontre plus sĂ©rieusement. On est sortis ensemble en mai 1997", explique-t-elle. Le couple, qui a trois filles, se marie trois ans plus tard. Ensemble, "les petits chĂ©ris" de Jean-Luc MĂ©lenchon vont militer pour le non au rĂ©fĂ©rendum sur la Constitution europĂ©enne de 2005, le scrutin qui fait Ă©merger leur mentor au niveau national. En 2008, toujours ensemble, ils quittent le PS pour fonder quelques mois plus tard le Parti de gauche.

Le nouveau statut de Jean-Luc Mélenchon ouvre à ses portes-flingues les portes des plateaux télé. Raquel Garrido est de plus en plus sollicitée. Olivier Truchot, animateur des "Grandes Gueules" sur RMC, explique l'avoir "repéré" à ce moment-là : "C’est une vieille histoire entre Garrido et les 'Grandes Gueules'."

Raquel Garrido détonnait, elle avait du bagou et elle aimait beaucoup la télé. C’est d’ailleurs toute l'ambiguïté de sa démarche, se poser comme antisystème et apprécier le système, en redemander. Elle y a pris goût, ce n’est pas d’ailleurs une bonne idée qu’elle se démultiplie.

Olivier Truchot, animateur des "Grandes Gueules"

Porte-parole de Mélenchon et chroniqueuse sur la télé de Bolloré

Raquel Garrido dans "Les Terriens du dimanche" sur C8. (C8)

Pendant la campagne présidentielle, Raquel Garrido est partout et accepte tout. Durant un an et demi, la porte-parole de Jean-Luc Mélenchon se donne corps et âme pour son candidat : "Nos enfants ont été dans un état d'abandon", explique-t-elle. Aujourd’hui, elle reçoit toujours "20 à 30 textos de journalistes par jour", mais affirme vouloir lever le pied, reprendre des clients comme avocate et laisser sa place à d'autres figures du mouvement. Cette résolution n'empêche pas Raquel Garrido d'être chaque semaine sur un plateau télé. Celui des "Terriens du dimanche", le talk-show de Thierry Ardisson sur C8.

On avait besoin d’une femme, on ne voulait pas une potiche, on la voulait forte en gueule et de gauche, car on avait déjà [Natacha] Polony.

Stéphane Simon, producteur des "Terriens du dimanche"

Raquel Garrido est en haut de sa liste. Elle accepte tout de suite sa proposition. "J’en ai parlĂ© Ă  Alexis [Corbière], il m’a dit que ça serait super", assure-t-elle. Cette fois, elle est rĂ©munĂ©rĂ©e. "Je ne peux plus travailler gratuitement pour les mĂ©dias, je l’ai dĂ©jĂ  fait avec Hondelatte sur BFMTV pendant un an. Mais, cette annĂ©e, j’ai mis l’équilibre financier de ma famille en pĂ©ril." Elle refuse toujours de dĂ©voiler sa rĂ©munĂ©ration. Ne comprend pas la polĂ©mique. "Pourquoi y a-t-il ce voyeurisme sur ma personne ? Il y a un sous-entendu comme quoi il faudrait qu’un Insoumis vive pauvrement pour dĂ©fendre les pauvres, mais c’est de la folie, c’est discriminatoire", s’énerve-t-elle.

Au-delà de la question de l’argent, Raquel Garrido suscite aussi la polémique pour sa présence sur une chaîne de Vincent Bolloré, le patron milliardaire dont la gestion de la crise à i-Télé (devenue CNews depuis) avait été critiquée par La France insoumise.

On s'était déjà posés la question après la grève : fallait-il continuer à aller sur les plateaux d’i-Télé et de Canal + ? On a décidé qu’on y allait. Il faut exister, on n’a pas d’états d’âmes. La réalité c’est que l’on a pas assez d’Insoumis dans les débats à la télé.

Raquel Garrido

"Raquel n’a jamais rencontré Bolloré, il n’a pas assisté à la composition du casting de l’émission. On est une entité économique avec une grande indépendance", défend de son côté le producteur Stéphane Simon.

Autre souci : le ton un peu trop people de certains sujets. Sur le plateau, Raquel Garrido côtoie notamment Jeremstar, connu sur internet pour recevoir bimbos et starlettes de la téléréalité dans sa baignoire. "Jeremstar, c’est quelqu’un qui a un discours très intéressant sur la téléréalité, par exemple, sur les contrats précaires. Il faut écouter ce qu’il dit”, confie-t-elle à propos de celui qui l’a surnommée “baby” sur Twitter. La chroniqueuse se retrouve ainsi à écouter son comparse parler de la pénoplastie, la chirurgie du sexe. Et pour elle, le sujet a sa place : "C’est quoi ce monde où des gamins pensent que pour aller dans la téléréalité il faut se faire charcuter les parties les plus intimes ?" Le principal intéressé lui est ravi de côtoyer Raquel Garrido. "J’aime beaucoup cette femme, j’admire son éloquence, c’est un peu comme une maman, ça m’amuse de la voir débattre, et je reçois parfois des postillons de leurs débats", assure-t-il. Les deux chroniqueurs ont même immortalisé leur nouvelle complicité sur les réseaux sociaux avec un selfie.

Pour l’instant, le nouveau rôle de Raquel Garrido semble bien accueilli par les militants et les cadres du mouvement. "Elle a l’intelligence de la situation, elle arrive à comprendre les failles du système médiatique dans lesquels elle s’insère", estime Manuel Bompard, ancien directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Malgré tout, les premières critiques commencent à fuser. "Devenir la chroniqueuse d’un tycoon médiatique, ça fait jaser dans les rangs", explique au Point Danielle Simonnet, conseillère de Paris.

J’ai eu des retours, je sais que bon, dans notre famille politique, certains sont heurtés par cette posture trop people.

Un cadre des Insoumis

"Elle a réussi la première partie de son opération : sortir de l’anonymat et devenir un objet de polémique, mais ce statut va-t-il pouvoir tenir ? Je suis dubitatif", confie Julien Dray qui l’a si souvent côtoyée dans le passé. Raquel n’en a cure et revendique même le mélange des genres. "Je suis moi-même un mélange. Depuis quand c’est malsain ? Tout ça, c’est des prétextes des censeurs qui ne veulent pas que j’y sois."

Mais, depuis les polĂ©miques s'enchaĂ®nent. Le 26 septembre, LibĂ© DĂ©sintox rĂ©vèle que la chroniqueuse a vantĂ©, lors de l'Ă©mission du 24 septembre, la manifestation de la veille qui a, selon elle, bien marchĂ©". Or, l'enregistrement a lui eu lieu le jeudi 21 septembre, soit deux jours avant que les Insoumis ne manifestent. Le soir de la publication de l'article, Raquel Garrido se lance sur Twitter dans une vĂ©ritable "battle" avec LibĂ© DĂ©sintox et campe sur ses positions. 

Quelques jours plus tard, rebelote. Raquel Garrido suscite de nouveau la controverse, cette fois-ci avec un tweet Ă  propos de l'effondrement d'une barrière au stade de La Licorne d'Amiens. "J'ai assistĂ© ce soir au match PSG-Bordeaux, Ă©vĂ©nement qui coĂ»te des millions, tandis qu'Ă  Amiens-Lille une tribune s'effondre. Cherchez l'erreur", Ă©crit-elle. Face aux rĂ©actions indignĂ©es, elle est contrainte d'effacer son message. 

A-t-elle vu venir la dernière polĂ©mique ? Cette fois pourtant, elle n'en est pas Ă  l'origine. Dans son Ă©dition du mercredi 4 octobre, Le Canard enchaĂ®nĂ© rĂ©vèle que Raquel Garrido n'a pas payĂ© ses cotisations sociales Ă  la caisse de retraite des avocats depuis six ans. La note est salĂ©e : il y en a pour 32 215 euros. L'avocate n'a pas non plus rĂ©glĂ© ses cotisations Ă  l'Ordre des avocats depuis un an, ajoute l'hebdomadaire. ContactĂ©e par franceinfo, cette dernière n'a pas rĂ©pondu. Son compte Twitter est Ă©tonnament silencieux. Comment se dĂ©fendra-t-elle ? La suite au prochain Ă©pisode. 

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