"Nous en avons parlé ensemble" : pourquoi Elisabeth Borne a-t-elle répété cette phrase lors de son discours de politique générale ?
C'était presque une anaphore, un gimmick à tout le moins. La Première ministre a fait savoir à plusieurs reprises qu'elle avait eu des discussions avec les présidents des différents groupes politiques de l'Assemblée. A l'exception du Rassemblement national et de La France insoumise.
Elisabeth Borne savait qu'elle était attendue au tournant. Dans son discours de politique générale, mercredi 6 juillet, la Première ministre a donc opté pour la stratégie de la main tendue. Pour tenter de vendre ses priorités aux 577 députés pour le quinquennat qui s'ouvre, et surtout rendre plus concrète sa volonté "d'entrer dans l'ère des forces qui bâtissent ensemble", la cheffe du gouvernement a cité, chacun leur tour, les présidents des différents groupes politiques. Sauf ceux du Rassemblement national et de La France insoumise. "Nous en avons beaucoup parlé ensemble, Monsieur le président Marcangeli, Monsieur le président Chassaigne", a ainsi lancé Elisabeth Borne en référence à ses rencontres avec l'ensemble des représentants politiques des groupes parlementaires quelques jours auparavant.
"Il ne faut rien en conclure"
Un "name-dropping" qui a surpris les intéressés sur le moment, mais aussi à la sortie de l'Hémicyle. "Lors de notre discussion, je lui aurais dit visiblement que l'épidémie de Covid-19 montait, mais en fait, elle nous a convoqués à une réunion du comité de liaison sur la question. Donc oui, on a parlé de la situation épidémique, mais je vous assure que ma contribution au débat sera plus riche que cela", a réagi Boris Vallaud, le patron des députés socialistes, qui a été interpellé par Elisabeth Borne durant son discours sur la situation de l'hôpital public.
Pour Julien Bayou, le co-président du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, cette volonté affichée par la Première ministre de "redonner du sens à la valeur compromis" ne change rien. "Il ne faut rien en conclure. Le gouvernement continue à donner le change", analyse le député d'Europe Ecologie-Les Verts. André Chassaigne, le patron du groupe communiste, également mentionné par la cheffe du gouvernement, préfère ironiser :
"Le petit jeu consistant à citer les uns et pas les autres sur la base de prétendues valeurs républicaines, c'est plutôt puéril... mais amusant.".
André Chassaigne, député PCFà franceinfo
Même du côté de certains députés de la majorité, on n'a pas vraiment compris quel était le but recherché par la Première ministre.
"Cela n'apporte pas grand-chose de citer les présidents de groupe comme ça, on fait ça quand on est président de collectivité pour remercier tout le monde mais là... C'est un artifice de discours."
Un député de la majoritéà franceinfo
Du côté de Matignon, on veut calmer le jeu et rappeler qu'il n'y pas forcément de tactique politicienne derrière. "La Première ministre a eu l'occasion de le dire dans sa déclaration de politique générale : nous serons à la recherche de compromis sans compromission sur nos valeurs", explique son entourage. Le MoDem, partenaire historique de la macronie, dit également "comprendre" l'intention de la locataire de Matignon. "Lors de mon entretien avec Elisabeth Borne, on a échangé et posé des problématiques et j'ai senti une grande écoute de sa part", assure Jean-Paul Mattei, le président du groupe centriste à l'Assemblée.
"Elle croit avoir fait le coup de l'année"
Mais un autre problème se pose pour les parlementaires du Rassemblement national et de La France Insoumise : le choix d'Elisabeth Borne de ne pas citer Marine Le Pen et Mathilde Panot, les présidentes de groupe de ces deux partis. Au RN, plusieurs parlementaires crient à la "discrimination".
"Nous sommes la première force d'opposition politique mais Elisabeth Borne décide de qui sont les gentils et qui sont les méchants."
Un député RNà franceinfo
"Elle croit avoir fait le coup politique de l'année avec son sourire en coin, mais je crois qu'elle a surtout bien fait de citer Edith Cresson, car je lui vois le même destin", tacle encore ce député RN anonyme. Chez LFI, les critiques sont toutes aussi acerbes. "Je ne comprends pas ce choix. Mais vu que pour Gérald Darmanin, nous sommes des ennemis, cela ne me surprend pas", peste Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône.
"Elisabeth Borne a peut-être senti qu'avec certains groupes, il n'y avait pas d'écoute possible, mais je n'y vois ni un signe politique ni un signe d'une marginalisation du RN ou de LFI."
Jean-Paul Mattei, président du groupe MoDem à l'Assemblée nationaleà franceinfo
Cette décision d'exclure ces deux familles politiques de son discours et donc l'éventualité de travailler avec eux durant le quinquennat, l'entourage de la Première ministre l'assume. La raison : la motion de censure déposée par la coalition de gauche contre le gouvernement, une demi-heure seulement avant la déclaration de politique générale d'Elisabeth Borne. "La motion de censure de la France insoumise avant même que la prise de parole de la Première ministre ne soit prononcée ne vous a pas échappé", confie l'entourage d'Elisabeth Borne.
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