: Vidéo Budget : "Avec un 49.3, vous faites avaler des couleuvres à votre propre majorité"
L'article 49.3 de la Constitution permet à l'exécutif de faire passer un texte sans vote, à moins qu'une motion de censure ne soit adoptée. Avec cet article, "vous risquez d'avoir une majorité non seulement relative mais en plus divisée, et c'est ça le vrai danger", alerte Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à Paris II.
Les débats autour du projet de loi de finances ont repris, lundi 17 octobre à l'Assemblée nationale. Ceux-ci pourraient cependant être écourtés rapidement par le gouvernement : la question n'est plus "si", mais "quand" le gouvernement dégainera l'article 49.3 de la Constitution pour permettre à l'exécutif de faire passer la première partie de son projet de loi sans vote, à moins qu'une motion de censure ne soit adoptée. L'utilisation du 49.3 est souvent vivement critiquée en raison de son caractère draconien.
"Avec un 49.3, vous faites avaler des couleuvres à votre propre majorité", estime Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris II, invité du Talk de franceinfo sur Twitch, lundi 17 octobre. "Regardez, il y a des amendements qui sont passés qui venaient du MoDem", poursuit-il, prenant exemple sur l’amendement qui prévoyait une hausse de la "flat tax" à 35% pour certains revenus d’actionnaires, et qui, selon Bruno Le Maire, ne sera pas conservé dans le projet de loi de finances 2023. "Si demain, vous enlevez cet amendement, à ce moment-là vous faites avaler des couleuvres à votre majorité, explique le maître de conférences. Et quand on avale trop de couleuvres, on a des aigreurs à l'estomac. Or il va falloir gérer cette majorité pendant cinq ans."
"Si jamais, à travers les coups de 49.3, vous créez des tensions au sein de votre propre majorité, vous risquez d'avoir une majorité non seulement relative mais en plus divisée, et c'est ça le vrai danger."
Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à Paris IIà franceinfo
"La réalité, c'est qu'au Parlement aujourd'hui, l'opposition a à peu près zéro chance de faire passer un amendement, acquiesce Gaspard Gantzer, ancien conseiller en communication du président François Hollande, fondateur de Gantzer Agency. C'est triste à dire, mais on n'a pas du tout une tradition collaborative en politique dans laquelle on peut accepter les amendements de l'opposition, c'est vraiment rarissime." En revanche, quand les députés figurent au sein de la majorité, leurs chances de faire passer leurs textes sont plus importantes "car l'exécutif a besoin de vous". Mais lorsque le gouvernement décide d'utiliser le 49.3, les députés de la majorité "se retrouvent de nouveau dans une opposition de soumission à l'exécutif, et ils n'ont pas d'autre choix que d'accepter en blanc-seing ce que l'exécutif a proposé."
"Chouchouter" les députés de la majorité
"Si jamais vos députés commencent à avoir du vague à l'âme, explique Benjamin Morel, s'ils décident que finalement, le jour de la réforme des retraites, ils ont aqua-poney et que voter n'est pas tout à fait leur priorité, à ce moment-là vous perdez sur les amendements, sur les propositions et projets de loi, et ça devient très, très difficilement gérable."
Pour le maître de conférences en Droit public, il faut "chouchouter" la majorité lorsqu'on est au gouvernement. "Si jamais vous ne les chouchoutez pas, ils vous manqueront au moment où vous en aurez besoin, poursuit-il. Avec le 49.3, vous prenez le risque de brusquer les groupes qui déjà ont des intérêts divergents, de brusquer vos députés qui voudraient bien être entendus et au moins avoir la paternité de vos amendements, même si, in fine, vous les intégrez à votre projet de loi. En ça, le 49.3 n'est pas forcément toujours de bonne politique."
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