Qui sont les Roms (1/5)? "On est ici parce que là-bas on meurt de faim"
Francetv info publie une série de portraits de Roms en France. Dorina, 38 ans, est une mère de famille qui habite un campement de fortune dans un bois de Seine-et-Marne.
Pour trouver le camp, il faut quitter la route et pénétrer dans le bois qui borde ce quartier résidentiel de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). A quelques dizaines de mètres de là, au bout d'un chemin boueux, se trouve une petite clairière. C'est ici, à l'abri des regards, que Dorina, 38 ans, et une vingtaine de personnes de sa famille se sont installées il y a trois semaines. Menacés d'expulsion, ils ont quitté un campement plus important. "La police nous a dit qu'ils allaient casser le camp, explique Dorina, dans un mélange de roumain et de français. Ils nous ont dit 'préparez vous. Si vous ne partez pas, vous ne retrouverez rien'."
Alors, ils se sont préparés. Il a d'abord fallu trouver l'emplacement, puis construire leurs six baraques de fortune. "Il faut déménager petit à petit, couverture par couverture, bagage par bagage. Nous avons mis 4 heures pour ramener la cuisinière d'un camp à l'autre. Nous n'avons pas de voiture", explique Dorina.
Trois semaines après, le chantier est toujours en cours. Hache à la main, la mère de famille s'affaire pour terminer la grande baraque, une pièce à vivre d'une dizaine de mètres carrés. La charpente est faite de branches d'arbres, les murs de bâche bleue et le sol est recouvert de quelques tapis. Il faut faire vite, avant que le soleil de cette fin octobre ne se couche. "Quand on a de l'argent, on met de l'essence dans le groupe électrogène. Mais ce soir, on a rien", s'excuse Dorina.
Ferraille et mendicité
Lorsqu'ils le peuvent, Dorina et sa famille préfèrent anticiper l'expulsion, pour ne pas perdre leurs quelques biens dans la destruction du campement. Il y a les sommiers, les matelas, les télévisions, le groupe électrogène, le vieux frigo, les ustensiles de cuisine, les chariots, les poêles de fortune bricolées dans des bidons métalliques... Même les toiles de plastique bleues qui couvrent les six baraques de la clairière s'avèrent précieuses. "Cette bâche pour la grande baraque nous a coûté 80 euros, c'est 10 jours de ferraille", estime Dorina.
Comme pour beaucoup de familles dans leur situation, la ferraille et la mendicité sont les deux principales sources de revenus. Les hommes se lèvent très tôt le matin à la recherche de bouts de métal pour les revendre. Les femmes font la manche dans les rues de la ville pour 5 à 6 euros par jour. Avant, Dorina faisait le ménage au "black" et gagnait, une fois de temps en temps, 15 euros pour trois heures de travail. "Quand je faisais la manche, une femme m’a remarquée. Elle m’a dit 'plutôt que de faire la manche, tu vas faire le ménage chez moi'", se souvient-elle. Mais cela n'a pas duré. "Elle a trouvé une Africaine qui avait des papiers", se désole Dorina.
"Ici, au moins, ils mangent des fruits"
Les papiers en règle ou les mesures transitoires, abandonnées le 1er janvier 2014, ne sont pas les seuls obstacles entre les Roms de Champs-sur-Marne et le travail. Il y a d'abord la langue, que la plupart maîtrisent mal. Il y a ensuite la présentation. "Ici, tu es obligé d'avoir de beaux habits pour travailler, il faut une veste. Mais là, c'est la misère", constate Dorina, vêtue ce jour-là d'un pull rose à peluche et d'un pantalon de pyjama bleu. Sans eau courante, avec peu d'électricité et de moyens, difficile de soigner son apparence. "Ils récupèrent de l'eau à la gare RER, à 4 kilomètres", explique François Loret, membre du collectif de soutien aux Roms du Val Maubuée, avant de confier, dépité : "La mairesse a fait couper tous les accès à l’eau. Et ça se dit communiste..."
Malgré toutes ces difficultés, le manque de couvertures et de vêtements pour les enfants, Dorina n'envisage pas de rentrer en Roumanie. "On est ici parce que là-bas, on meurt de faim", lance-t-elle. En France, elle se nourrit en faisant les poubelles des supermarchés, en veillant à ne pas "prendre des trucs trop périmés". Son amie, Elena, intervient. "En Roumanie, on ne pourrait pas leur donner des bananes. Ici, au moins, ils ont goûté des bananes" résume-t-elle, en montrant le bébé joufflu qu'elle tient dans ses bras. "Les enfants qui viennent de Roumanie, on dirait qu'ils ont le sida. Ils ne mangent pas de fruits", ajoute Dorina, mère d'un petit Emmanuel, 3 ans.
"Je veux qu'il vive comme le fils d'un Français"
A les écouter, leurs enfants, qui jouent dans la forêt en cet après-midi de vacances scolaires, sont l'une des principales raisons de leur venue en France. Ceux qui ont l'âge d'être en primaire sont scolarisés. "Dans ma vie, je veux travailler, vivre bien pour mon fils, martèle Dorina. Je ne veux pas que mon fils vive mal comme moi. Je veux qu’il aille à l’école, qu’il ait une maison. Je veux qu'il vive comme le fils d’un Français".
Les propos de Manuel Valls ne la découragent pas. "Je suis venu pour travailler, pas pour voler. Chez nous, nous avons un proverbe qui dit qu'il n'y a pas de forêts sans branches sèches. Dans chaque pays, il y a des gens bien et moins bien", philosophe-t-elle. L'image de sa communauté auprès des habitants –fin septembre, six Roms de Champs-sur-Marne ont été arrêtés pour vol de câbles – ne l'inquiète pas plus que cela. Du campement, elle n'a pas entendu le voisin qui vocifère contre "ces Roms qui dégueulassent tout" devant deux matelas abimés qui trainent sur le trottoir.
Non, ce qui inquiète le plus Dorina, c'est une nouvelle expulsion. Lorsqu'on lui demande combien de fois elle a dû changer de camp, elle lève les yeux au ciel et lâche un sonore "olalala, beaucoup". En quatre ans en France, elle a dû faire ses valises une dizaine de fois. "J'en peux plus de déménager, je n'ai plus la force de tout reconstruire après, de refaire les baraques", soupire-t-elle, en moulinant l'air avec un bout de bois. Si je pars d'ici, j'aimerais partir pour quelque chose de meilleur".
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