ENQUETE FRANCEINFO. "Il est minuit moins cinq avant notre disparition" : comment le PS s'empoigne sur un champ de ruines
Peut-être que ça va mourir, peut-être que ça va renaître. Peut-être que le PS est déjà mort et qu'on ne s'en est pas encore rendu compte..." L'ambiance est morose chez les socialistes à la veille de se choisir un nouveau chef. Longtemps considérée comme favorite, Najat Vallaud-Belkacem a jeté l'éponge début janvier. Une occasion ratée pour le parti, empêtré dans une querelle d'egos dont il a le secret. Depuis le début de l'année, les prétendants au poste de premier secrétaire se bousculent. Et en coulisses, les tractations s'accélèrent à l'approche de la date limite de dépôt des candidatures, fixée au 27 janvier.
Franceinfo s'est plongé au cœur d'un réacteur socialiste au plus mal, miné par ses défaites électorales et ses luttes de clans. Un parti au pied du mur qui tente de se reconstruire, mais dont l'existence même semble aujourd'hui menacée.
La déflagration Najat Vallaud-Belkacem
Si elle y allait, il n'y avait pas match." Cette confidence, lâchée par une proche de Najat Vallaud-Belkacem, résume bien l'état d'esprit ambiant au Parti socialiste. Jeune, populaire chez les militants et connue du grand public, l'ancienne ministre de François Hollande avait le CV idéal pour prendre la tête du parti.
"Pour moi, le prochain boss, ça sera une [boss], et j'espère que ça sera une incarnation forte, quelqu'un qui pourra donner le sentiment que le 'PS is back'", indiquait dans un sourire entendu Olivier Faure au cours d'un entretien accordé à Konbini à la mi-décembre, alors qu'il n'était lui-même pas encore candidat au poste de premier secrétaire.
Face à Najat Vallaud-Belkacem, Delphine Batho a expliqué qu'elle "n'aurait en aucun cas été candidate", et il y a fort à parier que Stéphane Le Foll ne s'y serait pas risqué.
L'hypothèse "NVB" a tenu en haleine le parti durant de longs mois. Dès la fin du quinquennat de François Hollande, l'encore ministre de l'Education réunit autour d'elle une équipe de quadragénaires pour discuter politique et préparer l'avenir. Parmi les habitués de ces dîners et apéros, Olivier Faure, patron des députés socialistes, Johanna Rolland, maire de Nantes, Carole Delga, présidente de la région Occitanie, Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, Matthias Fekl, éphémère ministre de l'Intérieur, ou encore Jean-François Debat, le trésorier du parti.
Le "groupe des quadras", comme il est surnommé, survit aux déboires électoraux, et continue de se voir après le mois de juin. "Ce qui les rassemble, c'est avant tout des liens d'amitié et une certaine aversion pour les coups de billard à huit bandes : ils se disent les choses sans fard", glisse l'entourage de Najat Vallaud-Belkacem.
Réunis sur le groupe WhatsApp "Socialists forever" qu'elle a créé pour faciliter les échanges, ils planchent durant l'automne sur la reconstruction du PS. Certains imaginent déjà leur "Najat" porter la contradiction à Wauquiez et à Macron. "Ça aurait de la gueule !" s'enthousiasment-ils.
L'ancienne ministre, elle, prend son temps. Elle a prévu de s'exprimer dans un entretien à L'Obs pour dévoiler son nouveau projet : la direction d'une collection d’essais au sein de la maison d'édition Fayard, dans laquelle publieront des chercheurs attachés au "progressisme". Fin décembre, la quasi-totalité de l'interview est prête, mais NVB ne donne pas encore sa réponse à la dernière question : va-t-elle se lancer dans la course au Parti socialiste ?
Le 3 janvier, les espoirs des "quadras" sont douchés. A la fameuse dernière question de L'Obs, Najat Vallaud-Belkacem répond n'avoir "jamais voulu d'une vie réduite à la politique".
Mon entretien à @LObs
— Najat Belkacem (@najatvb) 9 janvier 2018
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Je sais que cela peut paraître étrange de ne pas céder à l’amicale pression de ses amis, (...) mais je veux vraiment réfléchir, travailler et comprendre d'autres mondes que le seul monde politique.
Pour ses soutiens, ce choix est une déception, mais pas vraiment une surprise. Dans l'entourage de certains quadras, on remarque que Najat Vallaud-Belkacem n'a pas fait preuve d'un "enthousiasme franchement débordant".
Depuis plusieurs semaines, elle prend soin, en effet, de ne laisser filtrer aucun indice sur ses intentions. En pleine hésitation, elle consulte ses plus proches collaborateurs, eux-mêmes partagés. Après lui avoir conseillé de "souffler", son désormais ex-conseiller François Pirola l'aurait bien vue se lancer dans la bataille, comme l'expliquait Libération en novembre. Son ancienne cheffe de cabinet au ministère, Eleonore Slama, raconte quant à elle avoir été tiraillée : "En tant que militante socialiste, j'avais envie de la voir relever le défi. Mais en tant qu'amie, je comprenais et respectais son aspiration à prendre du recul et à s'engager sur des champs qui lui tiennent à cœur."
Ses proches veulent aussi la protéger. Ils restent marqués par le climat de fake news, de rumeurs malveillantes et d'attaques sexistes qu'elle a eu à affronter lors son passage au gouvernement. La question de la rémunération se pose aussi : le poste de premier secrétaire du PS demande un engagement intense, mais est honoré à titre gratuit. Pas évident à gérer quand on n'a plus aucun mandat... donc aucune indemnité.
L'ancienne ministre, qui va pouvoir enfin passer son permis de conduire et profiter de ses jumeaux de 9 ans, laisse un vide au PS. Du côté de la rue de Solférino, son renoncement a en tout cas un effet immédiat.
"Personne ne veut de toi !"
Depuis l'été, ils agissent dans l'ombre. Inconnus du grand public, ces trois "messieurs bons offices", comme ils se surnomment, s'activent dans les couloirs de Solférino. Laurent Azoulai, président de la commission nationale des conflits, Alain Bergounioux, historien "maison" du PS, et Philippe Doucet, l'une des figures de l'aile droite du parti, œuvrent pour que la majorité issue du dernier congrès, en 2015, accouche d'un candidat unique au poste de premier secrétaire.
Coups de fil, cafés, déjeuners, dîners… Durant des mois, le trio consulte tous azimuts, et propose aux ténors du courant majoritaire de se réunir le 12 décembre au Concorde, un café situé à deux pas du Palais-Bourbon. Le jour J, une vingtaine de personnes sont présentes : Rachid Temal, qui coordonne le parti depuis la démission de Jean-Christophe Cambadélis, des "hollandais" historiques comme Stéphane Le Foll ou François Rebsamen, et des visages de la jeune garde comme le tout nouveau patron des députés PS, Olivier Faure. Najat Vallaud-Belkacem est absente, mais représentée par une de ses proches.
Pétris de beaux sentiments, tous s'engagent tacitement à rester unis. Le moment venu, un seul nom devra sortir du chapeau. A la fin de la réunion, on ouvre les agendas. Rendez-vous est pris à la rentrée, le mardi 9 janvier, pour poursuivre les discussions. Mais le 3 janvier, le renoncement de Najat Vallaud-Belkacem dans L'Obs fait voler ce plan en éclats. Deux noms, ceux d'Olivier Faure et de Stéphane Le Foll, sont sur toutes les lèvres. Le premier a le soutien inconditionnel des quadras.
Pour nous, si ce n'était pas Najat, il était évident que ce serait Olivier.
Consensuel et rassembleur, Olivier Faure, 49 ans, dirige sans faire de vagues le groupe – pourtant très hétéroclite – des 31 députés socialistes rescapés du naufrage électoral.
Stéphane Le Foll, lui, possède l'atout de la notoriété. Habitué des plateaux télé, ce grand échalas de 57 ans n'a pas l'habitude de reculer devant l'adversité, comme en février 2016, lorsque le ministre n'avait pas hésité à débattre, en bras de chemise, face à des agriculteurs en colère venus le défier dans le jardin de sa maison du Mans. "Il faudra quelqu'un qui ait de l'autorité. Lui, il est capable de cogner Wauquiez ou Castaner", plaide l'un de ses soutiens.
Sur le fond, difficile de voir ce qui sépare les deux prétendants. "Entre eux, il n'y a qu'une feuille de papier à cigarette", reconnaît-on de part et d'autre. Pourtant, chacun se prépare à se lancer. Les deux hommes, qui se connaissent par cœur (ils ont travaillé ensemble pendant huit ans au cabinet de François Hollande à Solférino), se téléphonent le vendredi 5 janvier. "Personne ne veut de toi", lance Olivier Faure à Stéphane Le Foll, selon Le Figaro. "C'est ce qu'on verra !" répond l'ancien ministre.
Dans les deux camps, on confirme l'existence du coup de fil, pas l'exactitude des propos rapportés. Toujours est-il que ce duel a un fort accent générationnel. Quand Olivier Faure peut se targuer d'incarner une forme de renouvellement, Stéphane Le Foll est immédiatement renvoyé à son passé de porte-parole du gouvernement. "Il défend le bilan du quinquennat de Hollande sans discernement, sans nuance", tacle un ancien député. Ses détracteurs instruisent aussi son procès en macronisme supposé, relevant que s'il a réussi à se faire réélire en juin, il le doit en partie à La République en marche, qui ne lui avait opposé aucun candidat.
Il est difficile de demander à des troupes de suivre un général qui n'a pas combattu.
La date du mardi 9 janvier approche à grands pas. La réunion de la majorité programmée ce soir-là est plus que jamais d'actualité. Depuis quelques jours, chacun sait qu'Olivier Faure s'apprête à saisir cette occasion pour officialiser sa candidature. Plutôt que d'attendre, Stéphane Le Foll sort du bois plus tôt que prévu : "J'ai décidé de relever le défi", annonce-t-il dans une interview au Maine libre publiée le lundi soir. Le mardi matin, il assure le service après-vente sur BFMTV, chez Jean-Jacques Bourdin.
Stéphane Le Foll confirme sa candidature à la tête du PS pic.twitter.com/86SZvfKaIA
— BFMTV (@BFMTV) 9 janvier 2018
En fin d'après-midi, avant la grande explication qui doit se tenir le soir, les quadras se retrouvent dans un bar pour préparer l'annonce d'Olivier Faure. Signe de l'importance du moment : Najat Vallaud-Belkacem est parmi eux, comme le révèle Libération. Stéphane Le Foll et les siens, eux, se retrouvent dans un bâtiment qui jouxte le siège du PS.
Une heure plus tard, tout le monde se retrouve à Solférino. Sauf Stéphane Le Foll, aperçu devant la grille, qui laisse François Rebsamen et Patrick Kanner prendre sa défense face à une salle peu acquise à sa cause. A l'intérieur, certains ne sont pas tendres avec le député de la Sarthe. "Normal, commente un participant sous couvert d'anonymat. Le mec annonce sa candidature dans la presse le matin, et il ne vient même pas en parler à ses camarades le soir…"
"A ce rythme-là, on va finir avec dix candidats…"
Quand on égrène devant lui la liste des candidats, un ancien ministre du quinquennat Hollande lève les yeux au ciel. "C'est sûr qu'on n'a pas en stock un Mitterrand, un Jospin ou un Mauroy…" En l'absence de Najat Vallaud-Belkacem ou de Bernard Cazeneuve, qui a adressé une fin de non-recevoir polie aux sollicitations dont il faisait l'objet, tout le monde ou presque reconnaît qu'aucun leader ne s'impose. Pendant que Stéphane Le Foll et Olivier Faure se disputent en coulisses, d'autres candidats fourbissent d'ailleurs leurs armes.
Premier déclaré, dès le mois de novembre, Luc Carvounas souhaite incarner un Parti socialiste ancré à gauche, et ouvert aux alliances avec les écologistes et les communistes. Une stratégie qui laisse dubitatifs nombre de ses camarades, qui ne se privent pas de rappeler que cet ancien proche de Manuel Valls avait cosigné une tribune favorable à la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. De quoi lui valoir le surnom de "F-35", "car c'est le seul avion de chasse à être capable de virer aussi rapidement".
Autre prétendant à la tête du parti, l'eurodéputé Emmanuel Maurel officialise sa candidature dans Le Point le 5 janvier. Pourfendeur du hollandisme et soutien d'Arnaud Montebourg lors des primaires, il incarne l'aile gauche du parti, traditionnellement présente lors des votes internes. Candidat malheureux face à Harlem Désir en 2012, il compte bien, cette fois, faire plus que de la figuration.
S'ils comptent sur moi pour faire le gentil garçon de l'aile gauche, qui est là pour témoigner mais jamais pour diriger, ils seront déçus parce que ce n'est pas du tout mon projet.
La candidature de Delphine Batho surprend au contraire tout le monde. En annonçant ses intentions dans Le Parisien, le 15 janvier, l'ancienne ministre de l'Ecologie en profite pour dézinguer l'ensemble de ses camarades. Critiquant les modalités de l'élection, qui impose aux candidats d'être soutenus par 16 membres du conseil national du parti, elle dénonce un "verrouillage" mis en place par "une petite mafia politique avec ses parrains, ses lieutenants, ses exécutants". La députée des Deux-Sèvres a aussi assigné en référé, quatre jours plus tard, le PS auprès du tribunal de grande instance (TGI), estimant être empêchée de briguer la tête du parti.
#PS Elle l'a annoncé ce midi dans les #GGRMC... @delphinebatho a décidé de saisir la justice "pour qu'il y ait un coup d'arrêt au coup d'Etat au @partisocialiste"https://t.co/C7LvOHNqqZ pic.twitter.com/nBxm8GDYpo
— Les Grandes Gueules (@GG_RMC) 19 janvier 2018
Et ce n'est peut-être pas fini : Julien Dray ménage le suspense sur sa propre candidature… Rachid Temal, le coordinateur du parti, laisse aussi planer le doute. "A ce rythme-là, on va finir avec dix candidats !" soupire un responsable socialiste.
En coulisses, d'autres manœuvres se trament. Le patron de la fédération PS de Haute-Garonne, Sébastien Vincini, allié à une trentaine de cadres, dont l'influente députée Valérie Rabault, menace de présenter sa propre motion. Autoproclamé porte-voix des territoires, le groupe veut en finir avec le "verrouillage" qu'imposerait Rachid Temal à la tête du parti. Et oblige Olivier Faure à lui donner des gages. Le 19 janvier, le ralliement est mis en scène : le député de Seine-et-Marne est accueilli dans les locaux toulousains du PS. Ça sent bon pour Faure. La veille, il avait déjà reçu un soutien de poids : celui de Martine Aubry.
Mais dans ce paysage post-débâcle de 2017, difficile de s'y retrouver. Aubrystes, royalistes, hollandais, montebourgeois… Les chapelles qui structuraient le parti ont volé en éclats. Impossible aussi de deviner comment l'exode de militants partis garnir les rangs du nouveau parti de Benoît Hamon ou de La République en marche influencera les rapports de force internes.
Un responsable local préfère rester prudent : "A l'époque, quand Jean-Noël Guérini disait 'Je soutiens Royal', vous pouviez être sûr que 5 000 militants des Bouches-du-Rhône suivraient. Aujourd'hui, quand Patrick Kanner dans le Nord appelle à soutenir Le Foll, derrière, vous pouvez peut-être compter sur 200 voix supplémentaires..."
La peur du vide
Et si cette multiplication de candidatures cachait un immense vide ? Les derniers soubresauts d'un grand malade prêt à succomber ? Cette guerre d'egos sur un champ de ruines suscite en tout cas l'inquiétude au sein du PS. "Ce n'est ni sérieux, ni à la hauteur des enjeux", commente un membre de la direction collégiale du parti. D'autres tirent carrément la sonnette d'alarme.
Il est minuit moins cinq avant notre disparition. On a cinq minutes pour agir.
S'il n'a pas encore disparu, le PS végète après ses défaites successives aux municipales de 2014, aux départementales et aux régionales de 2015, et surtout après la débâcle de 2017. Nombre de députés divisé par dix, finances au plus bas, plan social visant à licencier 55 permanents sur 97… Tous les voyants sont au rouge. La ligne politique du parti reste, elle, inaudible, coincée entre le "ni droite ni gauche" de Macron et l'insoumission de Mélenchon. "On n'est même plus au fond de la piscine, on est carrément dans le siphon !" reconnaît un ancien ministre de François Hollande.
La perspective d'une disparition du PS est désormais prise au sérieux. "Au mieux ce sera un congrès de survie, au pire le prélude à une disparition", observe l'ancien député Christian Paul, ex-leader des frondeurs, qui regarde désormais d'un peu plus loin ses camarades s'écharper.
Et l'agonie peut être longue. Regardez le Parti communiste ou les Radicaux de gauche !
Que reste-t-il à espérer dans un tel marasme ? Un peu perdu, un ancien député confie avoir demandé ces derniers jours à Najat Vallaud-Belkacem si elle ne voulait pas changer d'avis, et revenir mettre tout le monde d'accord. L'intéressée a fait savoir que sa décision était irrévocable. Les candidats au poste de premier secrétaire, eux, doivent encore y croire. Ou au moins "faire comme si", confie l'un d'eux à un membre du bureau national.
Dépité mais pas totalement résigné, l'ancien député de l'Hérault Sébastien Denaja voit dans cette période quelque chose de "romantique". "On essaie de tenir levé le flambeau de Jaurès et de Blum, d'une pensée qui s'est forgée depuis plus d'un siècle et qui a apporté des choses à la France, explique-t-il. Ça peut faire rigoler, mais c'est comme ça qu'on le vit."
"C'est une séquence où il ne reste que ceux qui sont capables de traverser le désert et de manger du sable, philosophe Sébastien Denaja. Nous, on pense qu'il y a un peu de noblesse à ne pas abandonner."