Primaire de la gauche : cinq moments où le Premier ministre Manuel Valls a divisé son propre camp
L’ancien chef du gouvernement est l’un des sept candidats à la primaire de la gauche. De son arrivée à Matignon à l’annonce de sa candidature à la présidentielle, il a à plusieurs reprises divisé le Parti socialiste.
"Rassembler la gauche." Manuel Valls en a fait la promesse, lundi 5 décembre, lors de l'annonce de sa candidature à l'Elysée. L’équation est complexe pour le socialiste, qui promet en parallèle d'"assumer" son bilan à Matignon : son passage à la tête du gouvernement en a déplu à plus d’un dans son camp politique. Loi Macron puis loi Travail, déchéance de nationalité, débat sur le burkini : plusieurs de ses idées ont particulièrement divisé – même chez ses propres ministres. Retour sur ces épisodes très clivants pour la gauche.
1La scission avec les frondeurs
C’est l’une des premières fractures affichées du gouvernement Valls. Fin août 2014, le ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, ne cache plus ses désaccords avec la politique économique engagée par François Hollande et Manuel Valls. Il demande l’arrêt de la politique de réduction des déficits et est vite rejoint par le ministre de l’Education, Benoît Hamon. Dans une interview au Parisien, ce dernier affirme que lui et le chef de Bercy ne sont "pas loin des frondeurs" du Parti socialiste. Ceux qui, précisément, s’opposent aux politiques menées par le couple exécutif.
La Fête de la rose, organisée par Arnaud Montebourg dans son fief de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), le 24 août 2014, est le point culminant de ces tensions. Le ministre de l’Economie et son collègue de l’Education réitèrent leurs critiques frontales. "L’entêtement et l’obstination à poursuivre les politiques de réduction des déficits est une erreur qui risque d’être mortelle", martèle Arnaud Montebourg. Pour l’entourage de Manuel Valls, une "ligne jaune a été franchie". "C'est lui ou moi !" aurait-il lancé à François Hollande, selon Le Parisien. Il présente dès le lendemain la démission de son gouvernement. Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti s’en vont, trop en désaccord avec le Premier ministre.
2Le passage en force de la loi Macron
Au lendemain du départ de ces trois ministres, Manuel Valls donne un discours remarqué lors de l’université d’été du Medef.
J’aime l’entreprise.
Manuel Valls face au Medefen août 2014
Le chef du gouvernement assume sa ligne économique, en affirmant que "ce sont les entreprises qui créent de la valeur, génèrent des richesses qui doivent profiter à tous" et en promettant d’"alléger certaines règles", par exemple celles régissant le travail du dimanche.
La loi Macron va dans ce sens. Mais quand le projet de loi est présenté fin 2014, nombreux sont ceux qui, à gauche, s’opposent au texte. La maire PS de Lille, Martine Aubry, évoque même une "régression de la société". Le 17 février 2015, Manuel Valls admet que le texte risque de ne pas être adopté à l’Assemblée. Plusieurs dizaines de députés socialistes sont prêts à voter contre ou à s'abstenir. Pour éviter une déconvenue dans l'hémicycle, le Premier ministre use trois fois en cinq mois de l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force le texte.
3Le débat sur la déchéance de nationalité
Après les attentats du 13-Novembre, François Hollande propose d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français. Jusqu’à présent, elle ne s’appliquait qu’aux binationaux ayant acquis la nationalité française. L’idée du chef de l’Etat, soutenue par Manuel Valls, cristallise rapidement les divisions de la gauche. Une nouvelle fois, l'unité du gouvernement est mise à mal.
Le 22 décembre, alors en visite en Algérie, Christiane Taubira assure que cette disposition ne sera pas retenue dans le projet de révision constitutionnelle. Pour la garde des Sceaux de l’époque, "c’est une décision qui ne peut avoir d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme". Mais Manuel Valls reste ferme. Le lendemain, il affirme que cette proposition tiendra bon. Les critiques frontales d’anciens ministres se multiplient. Cécile Duflot et Benoît Hamon parlent même d’une idée proche du Front national.
Nous irons jusqu’au bout et que chacun à gauche en soit bien convaincu.
Manuel Vallsdans le "JDD", le 27 décembre 2015
Début 2016, l’idée d’une déchéance de nationalité concernant l’ensemble des Français (et pas seulement les binationaux) séduit une partie de la majorité socialiste. Mais Manuel Valls s’y oppose : "La France ne peut pas créer d'apatrides", justifie-t-il. Le maintien de la position du couple exécutif entraînera la démission de Christiane Taubira le 27 janvier. Avant le renoncement de François Hollande, fin mars 2016, à la réforme constitutionnelle.
4La fronde contre la loi Travail
"Trop, c’est trop !" C’est avec ces mots que Martine Aubry, Benoît Hamon et d’autres personnalités de gauche taclent la politique menée par François Hollande et Manuel Valls, dans une tribune publiée dans Le Monde en février 2016. "Pas ça, pas nous, pas la gauche !" s’exclament les signataires. Ces derniers évoquent, entre autres, la déchéance de nationalité, mais aussi le projet de réforme du Code du travail – la loi El Khomri, qui donne la primauté aux accords d’entreprise et assouplit les règles d’embauche et de licenciement.
De la présentation de l’avant-projet de loi, le 17 février, à son adoption définitive le 21 juillet, le texte suscite cinq mois de vives contestations politiques et syndicales. Douze journées de mobilisation nationale – émaillées de violences – sont organisées. Et face à l’usage répété du 49.3 pour faire passer le texte, les frondeurs socialistes tentent à deux reprises de déposer une motion de censure "de gauche" contre leur gouvernement. Ils échouent finalement à deux voix près.
5La polémique sur le burkini
Sous les parasols, le vêtement est devenu la polémique politique de l’été 2016. Trente-et-une communes prennent des arrêtés "anti-burkini", s’opposant au port de ce maillot de bain couvrant le corps et les cheveux sur leurs plages. Le sujet provoque alors de vifs débats, particulièrement à gauche. Manuel Valls se retrouve isolé, dans son camp politique comme au sein du gouvernement, en défendant la décision de ces communes d’interdire le burkini.
Le 25 août 2016, alors que le Premier ministre soutient ces arrêtés sur BFMTV, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, critique vivement leur "prolifération" sur Europe 1. Marisol Touraine, ministre de la Santé, exprime également des réserves. Pour elle, ces arrêtés pouvaient être "la porte ouverte à toutes les stigmatisations". Après la décision du Conseil d’Etat d’invalider l’arrêté anti-burkini de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), Manuel Valls ne revient pas sur sa position. Pour lui, l’ordonnance "n’épuise pas le débat".
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