Soutenir Benoît Hamon ou rejoindre Emmanuel Macron : le dilemme qui divise les socialistes
Benoît Hamon a remporté la primaire de la gauche haut la main. Mais le rassemblement des socialistes derrière lui s'annonce difficile.
"La gueule de bois." Dans son dernier meeting de campagne, jeudi 26 janvier à Alfortville (Val-de-Marne), Manuel Valls avertissait ainsi les socialistes, à quelques jours d'une probable victoire de Benoît Hamon : "Je ne veux pas que lundi, il y ait la gueule de bois." En vain. Dimanche 29 janvier, l'ancien ministre de l'Education nationale a nettement remporté la primaire de la gauche et, depuis, toute une partie de l'appareil socialiste se sent déboussolée. Comment soutenir Hamon, un des frondeurs en chef du quinquennat, quand on a été un député loyal à Hollande et au gouvernement ? Comment faire la campagne de la figure de l'aile gauche du PS, quand on se revendique de la social-démocratie ? Faut-il rejoindre Macron, quitte à trahir son parti ?
C'est chez les réformateurs du PS, le courant libéral du parti, que le dilemme se pose avec le plus d'acuité. Depuis des mois, ses membres assurent qu'ils ne pourront pas faire la campagne d'un candidat issu de la gauche du parti. A l'automne, en disant cela, ils pensaient surtout à Arnaud Montebourg. Aujourd'hui, ils tiennent le même raisonnement pour Benoît Hamon. "Je ne ferai rien contre Benoît, dit à franceinfo ce fidèle de Manuel Valls. Mais qu'on ne me demande pas d'être son porte-parole. D'ailleurs, ma moitié a prévu des vacances à Punta Cana !"
Moi, je ne peux pas voter pour le programme de Hamon, il n'est pas acceptable. C'est un projet pour 2040, ou pour être champion de l'opposition. Je ne vais pas aller devant mes électeurs dire que je défends son programme, ils ne vont rien comprendre !
Le député PS François Loncleà franceinfo
Dans une tribune publiée dans Le Monde, mardi 31 janvier, les députés socialistes Christophe Caresche et Gilles Savary, eux, évoquent même leur "droit de retrait" de la campagne présidentielle, après la victoire de Benoît Hamon. Défendant le bilan du quinquennat Hollande, les deux députés – qui seraient soutenus par une quinzaine de leurs collègues – se demandent "comment porter un projet présidentiel conçu comme l'antithèse d'une action de mandature" qu'ils ont "soutenue".
La hantise de Valls
Tous ne sont pourtant pas sur la même ligne. Pour tenter de se mettre d'accord, une cinquantaine de députés réformateurs ont prévu de se réunir mardi 31 janvier. Mais les avis divergent, entre ceux qui entendent privilégier la cohérence politique et les "vallso-vallsistes", qui s'inquiètent plus de la stratégie à suivre pour préserver les intérêts de leur champion dans un avenir plus ou moins proche. Car pour ces derniers, déserter le PS pour rejoindre Emmanuel Macron est sans doute la pire option.
Manuel Valls n'a aucun intérêt à ce que ces gens-là partent chez Macron, c'est même sa hantise. Ses plus fidèles soutiens vont jouer le double échec : celui de Hamon et celui de Macron à la présidentielle. Dans l'espoir, ensuite, de reprendre le parti et de recommencer en visant 2022.
Un pilier du groupe PS à l'Assembléeà franceinfo
Dimanche soir, à la maison de l'Amérique latine, à Paris, où étaient réunis les soutiens de Manuel Valls, certains estimaient d'ailleurs qu'une fuite massive vers Emmanuel Macron n'était pas si probable : "Il n'a pas dit que Hamon était nul. Il y en a quelques-uns qui vont réfléchir à deux fois avant de partir." Et d'expliquer que le score de l'ancien Premier ministre – presque 42% – n'est "pas loin de celui de Martine Aubry en 2011 : c'est bien pour la suite. Son avenir politique se fait au PS, Manuel n'a pas intérêt à partir." Pour le faire fructifier, après une "petite traversée du désert", le perdant aurait même intérêt à se montrer conciliant.
Il ne faut pas qu'il fasse de faute. Si Hamon tend la main, il doit la prendre, il doit être correct, l'enjeu, c'est l'opinion publique à gauche. Dans le style, il faut jouer comme ça. C'est son image de marque qui en dépend.
Un proche de Manuel Vallsà franceinfo
La tentation Macron
Mais pour d'autres réformateurs, pas question de faire passer le sort de Manuel Valls avant la présidentielle de 2017. "Il y a deux échéances : l'avenir de Valls, qui visiblement ne passe pas par 2017, et la présidentielle, dit François Loncle. Je ne veux pas aboutir à un duel Fillon-Le Pen. Moi, c'est mon objectif." Et ce député normand de rêver d'une "refondation", d'un nouveau "congrès d'Epinay", qui permettrait de clarifier la ligne. "Le PS est au bout d'une époque, au bout de ses forces. Je ne peux pas soutenir un PS qui va se 'corbyniser'", ajoute-t-il en référence à la "gauchisation" du Parti travailliste britannique sous la houlette de Jeremy Corbyn.
De là à "se précipiter" dans les bras d'Emmanuel Macron ? François Loncle préférerait d'abord essayer de négocier des modifications de programme avec Benoît Hamon, par exemple sur le revenu universel. "Il a déjà commencé à reculer, il n'y a qu'à continuer !"
D'autres, au contraire, ont déjà tiré les conséquences de la victoire de Benoît Hamon, à l'image des députés Alain Calmette et Marc Goua. Dès dimanche soir, les deux parlementaires socialistes ont fait savoir qu'ils rejoignaient En marche ! Au QG de Manuel Valls, dimanche soir, ce patron d'une section socialiste de Vendée se montrait lui aussi prêt à sauter le pas : "Si Benoît Hamon ne met pas d'eau dans son vin, le seul candidat social-démocrate qui reste, c'est Macron. Et moi, même si depuis mes 18 ans je suis un socialiste loyal, je suis avant tout social-démocrate."
Les mises en garde des ministres
Sans aller, bien sûr, jusqu'à rallier Emmanuel Macron, plusieurs membres du gouvernement n'ont pas hésité, dans le même temps, à faire part de leurs vives réserves quant à la candidature de Benoît Hamon. Lors d'un tête-à-tête à Matignon, le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, lui a même sommé de lever le pied sur la critique de François Hollande : la gauche "ne réussira pas sans assumer le bilan du quinquennat".
"Benoît Hamon ne peut rassembler sur des critiques de ce qui a été fait pendant cinq ans", acquiesce le ministre de l'Economie, Michel Sapin, mardi matin sur France Inter. Même son de cloche chez la ministre de la Santé, Marisol Touraine, invitée de RTL : "Si Hamon ne change pas de ligne, il ne rassemblera pas", assène celle qui avait, auparavant, avoué ne pas "s'être pas reconnue dans le programme de la primaire de Benoît Hamon".
Benoît Hamon a, aujourd'hui, la responsabilité comme candidat du Parti socialiste de rassembler. De rassembler la gauche, et au-delà, pour pouvoir gagner. A lui de le montrer concrètement.
Marisol Touraine, ministre de la Santésur RTL
Invité de franceinfo, Jean-Marie Le Guen est même allé un peu plus loin. Le secrétaire d’Etat chargé du Développement et de la Francophonie a expliqué qu'il n'était pas certain de voter pour Benoît Hamon à l'élection présidentielle, et qu'il n'excluait pas de glisser... un bulletin Macron. "On peut être socialiste et appeler à voter Macron", a-t-il estimé.
Recoller les morceaux
Au-delà des réformateurs, c'est ainsi l'ensemble des cadres socialistes, élus et dirigeants non frondeurs, qui ont du mal à digérer la victoire de Benoît Hamon. "Auprès de tout le monde – sauf des frondeurs –, cette candidature a du mal à s'imposer, soulève un poids lourd de l'Assemblée. Elle a quelque chose d'incongru, d'orthogonal" par rapport à la politique menée pendant le quinquennat.
Il y a une dimension très psychologique dans tout ça. Tous ceux qui ont très mal vécu la fronde se retrouvent avec un frondeur comme patron.
Une figure des députés PSà franceinfo
Pour espérer rassembler cette famille déboussolée, Benoît Hamon va devoir envoyer des signes. "C'est comme pour un mariage, il faut être deux", sourit un député qui ne l'a pas soutenu à la primaire. "Il faut qu'il consulte, qu'il associe, qu'il élargisse son équipe de campagne. Il va passer sa semaine à essayer de recoller les morceaux avec tout le monde", pense un député loyaliste. Avec comme modèle à ne pas suivre : François Fillon.
Quand je vois à l'Assemblée mes collègues juppéistes, qui sont sous Prozac, les sarkozystes avec la gueule enfarinée, Fillon qui a mis deux mois à déjeuner avec Juppé... Le gagnant doit dépasser sa victoire.
Un député PSà franceinfo
Cela vaut aussi pour le programme. Nombre de députés l'affirment : "Les problèmes pour Hamon vont commencer après sa désignation, comme cela a été le cas pour Fillon." Gagner la primaire de la gauche avec un programme de gauche ne garantirait rien pour la suite, bien au contraire. "Il n'est pas majoritaire dans le pays, il faut arrêter, peste un socialiste. C'est ça le piège des primaires !" Conscient que Benoît Hamon ne va pas, du jour au lendemain, abandonner ce qui a fait son succès, ce réformateur rêve de trouver une voie de sortie. "Il faut trouver un cheminement subtil, une pente pour que chacun monte dans le bateau."
Même si Benoît Hamon arrive à stopper l'hémorragie, le répit ne sera peut-être que de courte durée. Car de nombreux socialistes comptent observer les sondages et les dynamiques de Benoît Hamon et d'Emmanuel Macron avant de faire un choix définitif. "On peut être à la fois loyal et lucide, explique un poids lourd socialiste de l'Assemblée. Si Benoît Hamon est dans les choux, je serai de ceux qui plaideront pour un choix utile. Au premier tour, on vote pour celui qui peut garantir une place au second. Je préfère gagner la présidentielle avec quelqu'un d'autre, même si ce n'est pas ma tasse de thé. Au moins, on évite le pire pour le pays."
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