SOS Racisme, "Baron Noir", européennes : Julien Dray, l'éternel retour du marionnettiste du PS
A 63 ans, l'ancien député de l'Essonne déclare vouloir "mener la bataille des européennes au nom des socialistes".
Un coup d'épée dans l'eau ? Au creux de l'été, Julien Dray a proclamé, samedi 4 août, dans une interview au Parisien, sa volonté de vouloir mener "la bataille des européennes" au nom du Parti socialiste... juste avant que le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, ne propose la place, selon Le Monde, au maire belge de Charleroi, Paul Magnette. Une volonté, pour l'ancien député de l'Essonne, d'exister encore en politique, alors que son ami François Hollande a quitté l'Elysée il y a quinze mois ?
A 63 ans, Julien Dray n'exerce plus, désormais, qu'un mandat de conseiller régional d'Ile-de-France. Pour les plus jeunes, il incarne le "Baron noir", ce héros d'une série politique incarné par Kad Meral, et auquel il aurait servi de modèle. Pour d'autres, il est l'emblème d'une génération de socialistes grandie dans le giron mitterrandien, et qui a renié nombre de ses convictions d'antan. De la petite main jaune de SOS Racisme aux ors de l'Assemblée, du syndicalisme étudiant au champ de ruines qu'est devenu le PS, Julien Dray est surtout un homme de coups et de com' qui raconte, à sa façon, une histoire du Parti socialiste.
"Le génie des mouvements sociaux"
"Vous n'avez rien d'autre à faire au mois d'août ?" Las d'une histoire trop ressassée, certains vous éconduisent gentiment. Mais quelques amitiés tiennent bon. "Julien Dray ? Malgré nos désaccords politiques, je le trouve entier, attachant, touchant", persiste et signe un de ses amis, le conseiller départemental socialiste de l'Essonne, Jérôme Guedj. "Pour moi, c’est le plus créatif des socialistes. Il y avait Mélenchon et lui, les deux penseurs de la gauche socialiste, les deux faces d’une même pièce", s'enthousiasme l'ancienne journaliste et ex-conseillère de Ségolène Royal, Françoise Degois.
Mélenchon et lui, deux destins parallèles, puis divergents, tous deux éclos dans de petits groupes trotskistes. De son passage à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, devenue le NPA, Nouveau Parti anticapitaliste), Julien Dray a gardé le "génie des mouvements sociaux", affirme son amie la sénatrice PS de Paris, Marie-Noëlle Lienemann. Frédéric Hocquard, conseiller de Paris et ancien président de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), proche de lui dans les années 1980, témoigne :
Il avait un sens aigu de ce qui se passait dans la société. Il sentait les tensions et les courants.
Frédéric Hocquard, conseiller de Parisà franceinfo
Cette sensibilité, l'ex-trotskiste, passé par le syndicat étudiant Unef-ID, va la mettre au service du Parti socialiste, auquel il a adhéré en 1981, et de l'Elysée. La victoire de François Mitterrand, le 10 mai, reste d'ailleurs, jure-t-il aujourd'hui, son "plus beau souvenir politique". Et quand Julien Dray voit enfler au fil des jours la Marche pour l'égalité et contre le racisme, à l'automne 1983, il saisit l'occasion.
"SOS Racisme a été un formidable combat"
"Julien Dray et les siens comprennent que leur moment est venu. Le mouvement qui peut prendre, la cause qui saisira le pays, écrit Claude Askolovitch dans Vanity Fair. Par les réseaux de la Mnef, ils contactent l’Elysée. Bientôt, ils vont s’installer au cœur du socialisme présidentiel, le nourrir et se nourrir de lui. De cette alchimie naît SOS Racisme." Pour promouvoir cette nouvelle association antiraciste qu'ils viennent de créer, Julien Dray et ses amis écoulent par milliers les petits badges "Touche pas à mon pote" et font vibrer toute une jeunesse, en 1985, lors d'un concert géant animé par Coluche au faîte de sa gloire.
Et qu'importe si, parmi les marcheurs initiaux issus des quartiers des Minguettes à Vénissieux, près de Lyon, certains se sentent floués. Qui les écoute alors ? À ses détracteurs, Julien Dray répond aujourd'hui :
SOS Racisme a été un formidable combat qui a mobilisé toute une génération alors que le FN était en pleine ascension et qu’il n’y avait rien en face.
Julien Drayà franceinfo
"Il a été un militant politique antiraciste sincère, qui a amené toute une génération à la politique", renchérit Frédéric Hocquard, pourtant critique à son égard.
"Règle de base" en campagne : amener le dessert
Le créneau s'avère porteur. Sous le gouvernement Chirac, en 1986, avec l'aval de l'Élysée, "Juju" s'active pendant les manifestations étudiantes contre le projet Devaquet, qui veut instaurer la sélection à l'université. Il est à la manœuvre, encore, lorsque la mobilisation accouche l'année suivante de la FIDL, syndicat lycéen proche de SOS Racisme.
Ses efforts sont récompensés : en 1988, le galvanisateur de la jeunesse est investi par le PS dans l'Essonne, et élu député dans la foulée. La même année, il fonde avec Jean-Luc Mélenchon un courant à la gauche du PS, la Gauche socialiste, qui s'emploie à saper l'ouverture au centre pratiquée par le Premier ministre Michel Rocard.
Miracle : cinq ans plus tard, il fait partie des rares rescapés à l'issue des législatives de 1993, qui tournent à la bérézina pour le PS. Comment a-t-il sauvé son siège de la déroute ? Dès l'automne 1992, relate Mediapart, il abandonne "marchés, tracts et meetings" et se "concentre sur les réunions d'appartement". Avec une "règle de base", rigole un ancien membre de son équipe, Olivier Léonhardt : "Julien disait toujours à l'hôte du jour : 'J'amène le dessert".'
Ah ça, le gâteau, on se faisait engueuler sévère si on l'oubliait !
Olivier Léonhardt, membre de l'équipe de campagne de Julien Drayà Mediapart
"Il fallait mettre un peu de convivialité", commente aujourd'hui l'intéressé. La réélection s'est payée de son poids de chair : le trentenaire prend quelques kilos, qu'il ne perdra plus jamais. Mais il sauve son siège, à 250 voix près.
"À la dernière minute, son nom a été biffé"
La dissolution surprise de l'Assemblée, en 1997, ramène la gauche au pouvoir. Sous le gouvernement Jospin, Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann deviennent ministres. Pas Julien Dray qui, selon Vanity Fair, aurait déjà dû être nommé secrétaire d'Etat à la jeunesse sous Mitterrand, avant que son nom "ne soit biffé à la dernière minute". Prend-il ombrage de cette absence de maroquin, comme le pense la députée européenne Isabelle Thomas ?
Sa génération a pris des responsabilités, lui restait sur la touche.
Isabelle Thomas, députée européenneà franceinfo
Il change en tout cas de ligne dans ces années-là, qui se soldent par le choc du 21 avril 2002. "Il cesse de jouer collectif, de s'immerger dans les mouvements sociaux, et il embrasse la cause sécuritaire comme si c’était l’alpha et l’oméga. Il rallie François Hollande [alors premier secrétaire du PS] et il devient l’homme qui murmure à l’oreille des puissants", déroule Isabelle Thomas, désormais membre du mouvement Génération.s de Benoît Hamon.
Un intime du couple Royal-Hollande
François Hollande et Ségolène Royal, Julien Dray les connaît depuis, dit-il, "la nuit des temps". Plus précisément depuis 1981, lorsque le duo d'énarques occupe un des bureaux de conseillers à l'Elysée. La torpeur estivale scelle l'amitié de ces voisins de vacances (lui à Vallauris, eux à Mougins), et le trio célèbre chaque 12 août dans le Sud l'anniversaire de François Hollande. Julien Dray était, résume Françoise Degois, "un intime du couple. Pendant la rupture, il était comme les enfants du divorce".
C'est le premier qui pense à Ségolène comme candidate à la présidentielle [de 2007]. Je me souviens, il s’emmerde comme un rat mort, il discute avec Barto [Claude Bartolone], et il dit : 'pourquoi pas Ségolène ?'
Françoise Degois, ex-conseillère de Ségolène Royalà franceinfo
Avec ses hauts et ses bas, Julien Dray va être un des piliers de campagne de l'équipe Royal : "Son plus grand défaut, c'est son émotivité. Ça lui fait faire des bourdes tout le temps. Il est comme Jean-Luc Mélenchon, c’est les deux mêmes, s'amuse Françoise Degois. Il est impulsif, méditerranéen, dur à gérer en campagne, hyper-affectif. C’est un sentimental colérique."
Mais, précise-t-elle, "très intelligent politiquement. S’il y a un mur blanc devant toi et que tu te demandes comment tu vas passer, il voit la fissure. Au soir du premier tour [de la présidentielle, le 22 avril 2007], c'est lui qui a l'idée de lancer un appel aux électeurs de François Bayrou [arrivé en troisième position avec 18,5% des voix, après Nicolas Sarkozy à 31% et Ségolène Royal à 26%]. On est un petit groupe de journalistes à suivre Ségolène Royal, il est minuit et Julien nous attrape pour nous dire : 'Voilà, on appelle les électeurs de Bayrou, et même Bayrou en personne, à voter pour nous'."
"Collectionneur compulsif" de montres de luxe
On connaît la suite : Nicolas Sarkozy est élu, et la fin de la décennie s'avère pénible pour Julien Dray. Le député est visé, en 2008, par une enquête préliminaire "pour abus de confiance au préjudice des Parrains de SOS Racisme et du syndicat lycéen FIDL". L'argent de SOS Racisme a-t-il été détourné ? Les premiers articles posent directement la question. "Établie par Tracfin, le service antiblanchiment du ministère des Finances, la liste des montres et des produits de luxe achetés par Julien Dray donne le tournis – 313 180 euros de 2006 à 2008", écrit Libération.
Les passions coûteuses de l'élu s'étalent dans les magazines. "Nous avons tous une montre achetée à Julien Dray dans les années 1980. Après, on n’a pas pu suivre. Trop cher. [Il] fait tourner sa collection. Il revend en permanence", confie l'un de ses amis à Paris Match. L'hebdomadaire s'attarde sur le train de vie du député, et sur ses paiements avec "une carte American Express Centurion, un modèle spécial VIP fabriqué en titane". Mais conclut :
Collectionneur compulsif, ni accumulateur ni spéculateur, Julien Dray n’a pas dû gagner beaucoup d’argent avec sa passion. Au contraire, il a dû en perdre.
François Labrouillère, journalistedans "Paris Match"
A l'arrivée, le député de l'Essonne écope d'un simple rappel à la loi. L'enquête ne semble pas avoir mis "en évidence un train de vie personnel dispendieux de la part de Julien Dray", écrit fin 2009 Le Monde, citant le procureur de Paris, Jean-Claude Marin. Mais l'épisode a laissé des traces, que l'intéressé balaie aujourd'hui d'un : "Oubliez. Je laisse les calomniateurs à leurs calomnies."
"Le Baron noir", "c'est moi"
2012 ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Investi par le PS, l'ex-président de SOS Racisme Malek Boutih souffle à Julien Dray sa circonscription de l'Essonne. Dans l'entre-deux-tours de la présidentielle, ce dernier invite maladroitement des membres de l'équipe Hollande à son anniversaire… sans les avertir de la présence de Dominique Strauss-Kahn. Last, but not least, il est tricard sous Valérie Trierweiler. Le 9 mai 2012, rapporte Le Parisien, la compagne de François Hollande l'éjecte sans ménagement d'un pot de victoire organisé au QG de campagne.
"Tant que Valérie [Trierweiler] était là, il n’a pas eu le droit d’aller à l’Élysée, lui qui a été si longtemps le témoin du couple Royal-Hollande", pouffe Françoise Degois.
À cette époque-là, il disait : 'J’ai l’impression d’être une vieille maîtresse, je vois François en cachette'.
Françoise Degoisà france info
Quand François Hollande rompt avec la journaliste de Paris Match, Julien Dray retrouve le chemin du palais présidentiel, "en conseiller qui murmure à l'oreille de son ami Hollande". Mais son avis compte-t-il vraiment ? Il a prêché dans le désert, estiment ses amis. "Il a vu la montée d'Emmanuel Macron. Il a averti tôt François Hollande qu’il prenait un espace politique, qu'il fallait se demander comment le neutraliser. Mais l’autre n’a pas voulu voir, déplore Marie-Noëlle Lienemann. Julien Dray surestime l'écoute des puissants."
Il se console en cultivant son aura sulfureuse de héros de série. "Le Baron noir, c'est moi", assure-t-il à Marianne, espérant peut-être séduire des jeunes qui n'ont jamais entendu parler de SOS Racisme. De ses activités dans un parti qui a enregistré, en 2017, le score le plus faible de son histoire (6,35% des voix pour Benoît Hamon), il lui reste cette image, et l'amitié. Le 14 mai 2017, quand François Hollande quitte l'Élysée après la passation de pouvoirs, il demande à son chauffeur "de s’arrêter en chemin pour faire monter son vieil ami Julien Dray", redoutant de rester seul, révèle Le Monde. Julien Dray commente simplement : "C’était un moment difficile. L’amitié, c’est savoir être là dans les moments où ça va mal." Fidèle malgré tout, même si Hollande, pas plus que les autres, ne l'a nommé ministre.
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