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RECIT FRANCEINFO. "Elle n'avait aucune chance d'échapper à la mort" : le 25 février 1994, le jour où la députée Yann Piat a été assassinée

Guillemette Jeannot le lundi 25 février 2019

La députée Yann Piat lors de l'inauguration du Sica, marché aux fleurs de Hyères, dans les années 1990. (MAXPPP)

"C'est fini." Georges Arnaud, le visage pâle et perclus de douleurs, s'évanouit, une balle fichée dans la jambe gauche. Quelques minutes auparavant, il est entré en trombe au volant d'une Clio noire dans la cour de la caserne des pompiers située au pied d'un quartier résidentiel, le Mont des oiseaux, sur les hauteurs de Hyères (Var). Il est environ 20 heures, ce vendredi 25 février 1994 quand la voiture pénètre dans la caserne. Le conducteur klaxonne sans discontinuer. Sa passagère est inanimée, du sang coule de sa poitrine. Les pompiers extraient la femme du véhicule et tentent de la ranimer. Quelques minutes plus tard, vers 20h10, le médecin du Smur déclare le décès de la députée UDF, Yann Piat, abattue par deux hommes à moto. Elle avait 44 ans. Mère de deux filles, elle est la première femme députée assassinée en France et la deuxième élue abattue, en douze ans, dans le Var. Crime politique ? Mafieux ? Les deux ? Si la justice a tranché, vingt-cinq ans plus tard, des zones d'ombre persistent encore pour sa fille.

"Une journée comme les autres"

La députée de la 3e circonscription du Var, Yann Piat, en 1988, l'année de sa réélection pour un second mandat sous l'étiquette UDF. (PHILIPPE LE TELLIER/GETTY IMAGES)

Ce matin du 25 février 1994, Georges Arnaud, ami et chauffeur de la députée, l'attend au volant de sa voiture. Yann Piat est rentrée la veille de Paris où elle passe tous ses mercredis à l'Assemblée nationale pour les questions au gouvernement. Ponctuel, il l'emmène tous les matins du quartier résidentiel des Mont des oiseaux au centre-ville de Hyères où Yann Piat a son bureau depuis 1986.

Installée côté passager, elle parcourt la revue de presse que son attaché parlementaire, Lionel Royer-Perreaut, à ses côtés depuis 1990, lui a faxée vers 9 heures. Après un passage chez le coiffeur, confie Lionel Royer-Perreaut à franceinfo, Yann Piat arrive vers 10h30 à sa permanence, avenue des Iles d'Or. Pour son jeune assistant, à peine 21 ans à l'époque, "c'était une journée comme les autres, il n'y avait aucun signal qui pouvait laisser penser qu'il y aurait un passage à l'acte ce jour-là".

Yann Piat a entamé son troisième mandat de députée dans la troisième circonscription du Var depuis un an. Elle a été réélue avec plus de 42% des voix au second tour après une triangulaire. Pourtant, rien ne semblait prédestiner Yann Piat à la politique. Après des études aux Beaux-Arts, puis en sciences humaines et graphologie, la jeune femme, déjà maman de Laetitia, née en 1974, monte une entreprise de décoration en Bretagne. Sa seconde fille, Angélique, née en 1978, raconte, à franceinfo, qu'à l'époque "elle chantait, écrivait, avait une ligne de vêtements. C'était une artiste très loin de la politique." Et plus loin encore du Front national qu'elle rejoint au milieu des années 1980. Angélique se souvient qu'elle a toujours eu des idées sociales très prononcées.

Elle était d’ailleurs plutôt de gauche, dans sa famille d’accueil, son “père” était communiste, elle avait sa carte au PC.

Angélique, fille cadette de Yann Piatà franceinfo

Yann Piat, née Yannick Marie le 12 juin 1949 à Saïgon (Hô-Chi-Minh-Ville au Vietnam), a peu connu son père, mort au combat. Sa mère, militaire, l’abandonne à son retour d’Indochine. Agée d’à peine 7 ans, Yann Piat grandit dans une famille d’accueil à Saint-Raphaël (Var). "Cette quête pour retrouver sa mère l’a tenue toute sa vie, se souvient Angélique. Par le biais de Jean Marie Le Pen qui fut l’ami de sa mère, elle cherche à se rapprocher d’elle. Le Pen était attentionné, il l’a prise sous son aile et à un moment où ma mère s'ennuyait profondément dans sa vie, il lui a proposé de le représenter dans le Sud où il n’avait personne."

De retour dans sa région d’enfance, séparée du père de sa seconde fille, Yann Piat fait une entrée en politique couronnée de succès en 1986. A 37 ans, elle est élue députée dans le Var sous l’étiquette FN. Deux ans plus tard, des divergences intellectuelles séparent Yann Piat de son "parrain spirituel", Jean-Marie Le Pen, qui l’exclut du parti.

En juin 1988, elle se rapproche de l’UDF, le parti de Raymond Barre, qui "tient" le département du Var. Elle gagne un troisième mandat de député en 1993, sous l’étiquette UDF-RPR, le parti de François Léotard et Gérard Longuet. 

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Totalement engagée, Yann Piat "avait une sincérité qui touchait profondément les gens" raconte sa fille, Angélique.

Peu importe l’appartenance politique, elle était appréciée de tous bords. Elle écoutait vraiment les gens et avait à cœur d’aider ceux qui venaient la voir. Et quand elle s’engageait, elle allait jusqu’au bout.

Angélique, fille cadette de Yann Piatà franceinfo

Elle est d’ailleurs réputée pour maîtriser ses dossiers, dont elle ne sépare jamais, ou presque. Ce jour-là, certains sont restés à son domicile. C’est donc à son retour de déjeuner avec des élus locaux et son ami Patrick Heintz, le directeur de cabinet de Maurice Arreckx, le président du conseil général du Var, que Yann Piat demande à son chauffeur d’aller lui chercher les dossiers oubliés. A son arrivée, Georges Arnaud trouve le portail de la maison entrouvert et croise deux hommes à moto qui prétextent chercher la maison de retraite, située à plus de 25 km de là.

"Yann d'Arc", une élue menacée

Yann Piat, lors de différents moments de sa vie politique, en compagnie notamment de François Léotard (en haut à gauche), de Jean-Marie Le Pen (en haut à droite), de Maurice Arreckx (en bas à gauche) et lors de la campagne électorales de 1988 (en bas à droite). (MAXXPPP / GETTY IMAGES / AFP)

L'après-midi défile. Affairée, Yann Piat ne remarque pas l’arrivée de sa fille cadette. La députée et son assistant parlementaire font un dernier point avant de se quitter. Il doit la représenter à une assemblée générale du comité de Giens en fin d'après-midi. Parfois, Angélique passe après les cours embrasser sa mère. Son lycée est à deux pas. Elle lui demande si elle peut aller au cinéma avec une amie qui est en vacances à la maison. Yann Piat accepte et propose de les retrouver plus tard. 

Yann Piat souhaite profiter de sa fille. Son agenda n'est pas encore saturé. C'est une période relativement calme politiquement pour l'élue, après l’annonce de sa candidature à la mairie de Hyères à la fin 1993. “Nous sommes à mi-chemin entre la législative qu’elle a brillamment remportée en mars alors qu’elle était donnée perdante, et les municipales qui allaient avoir lieu en mars 1995. Elle se préparait pour entrer en campagne à la rentrée. Elle était confiante, mais bien que légitimée par trois mandats successifs de députée, ce n’était pas gagné d’avance.” se souvient son assistant parlementaire.

Car, sur l’échiquier politique varois, Yann Piat dérange. Surnommée "Yann d’Arc" en référence à sa croisade contre certains politiques dont les relations avec le milieu varois sont jugées douteuses, la députée a fait de la lutte contre la drogue et la corruption son combat politique. Son combat personnel également. Laetitia, sa fille aînée, se drogue. Elle l’a envoyée en cure de désintoxication dans la communauté du Patriarche, une association qui accompagne les toxicomanes qui veulent décrocher, à l’étranger.

La députée est sur tous les fronts. Hyères-les-Palmiers est très prisée par les promoteurs immobiliers. Elle s’oppose au projet d’extension de l'aéroport. Elle avait d’ailleurs rendez-vous le 1er mars avec le directeur général de l'Aviation civile pour exposer ses griefs sur ce projet, se rappelle Lionel Royer-Perreaut. Elle se bat contre la fermeture des salines de Hyères, dont le terrain est convoité en vue d’en faire une marina. Elle souhaite faire fermer le casino de la ville et imposer un couvre-feu dans les bars du port où la drogue circule. Son implication à vouloir "nettoyer la ville" lui vaut des inimitiés.

D’ailleurs, deux ans auparavant, elle transmet à son notaire et à une amie une lettre dans laquelle elle met en cause en cas de mort suspecte cinq personnes qu’elle accuse de vouloir l’écarter du paysage politique : Maurice Arreckx, président du conseil général du Var, Bernard Tapie, député des Bouches-du-Rhône, le parrain Jean-Louis Fargette, Jean-François Barrau, ex-conseiller général du Var et Daniel Savastano, un truand marseillais.

Lors du procès des assassins de Yann Piat, en mai 1998, les témoins n’ont de cesse de citer ses conflits avec Maurice Arreckx. Le président UDF du conseil général du Var s’affiche souvent avec son ami Jean-Louis Fargette, parrain du milieu varois, fiché au grand banditisme. "C’était vu et su de tous" affirme à franceinfo Claude Ardid, journaliste et ancien reporter pour Var-Matin à l’époque.

Hyères, à l’époque, c’est une république bananière. Il y a un mélange des genres qui est d’une visibilité absolue. Fargette et Arreckx s’entendent sur les marchés publics de la région. Pots-de-vins et spéculations financières s’effectuent dans un climat d’impunité absolu.

Claude Ardid, journalisteà franceinfo

Yann Piat est également en conflit avec Joseph Sercia, conseiller général UDF de Hyères, à qui elle était notamment opposée à la dernière législative. Durant toute la campagne, elle règle ses comptes avec celui qui bénéficie des hommes de main du parrain varois. "Les gens de Fargette sont venus pourrir notre meeting de clôture à l’Espace 3000 [le 16 mars 1993], se remémore son attaché parlementaire. Ces gens ont des mines qu’on n’oublie pas, on les avait vus dans la salle. On savait qu’ils étaient là. A la fin, quand Yann est descendue de l’estrade, ils l’ont encerclée et insultée." 

Elle m’a dit ce jour-là : j’ai eu la peur de ma vie. J’ai vraiment cru qu’ils allaient me tuer.

Claude Ardid, journalisteà franceinfo

Son attaché parlementaire souligne également que ce jour-là aucun cadre de sa formation politique n’est là pour la soutenir. "Les ténors du Parti républicain ne l’aident pas. Même s’ils l’apprécient, ils ne veulent pas voir ni savoir. Elle est sympathique, intelligente, c’est une belle femme appréciée. Mais de là à se battre pour l’imposer, non."

Yann Piat porte plainte, mais ni le préfet et ni le procureur ne bougent. "C’est là que tout déraille", selon Claude Ardid. Les menaces de mort se multiplient et les appels anonymes s'enchaînent, jusqu'à devenir incessants la semaine de sa mort. Sa permanence est plastiquée. Des cercueils au nom de ses deux filles lui sont adressés. "Elle avait très peur, elle dormait mal. Mais même menacée, elle n’aurait jamais renoncé. Oui, elle dérangeait parce que c’était une femme libre, indépendante qui se battait pour ses idées" affirme sa fille Angélique.

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Sa candidature à la mairie de Hyères attise les tensions. Pour le journaliste, Claude Ardid, c’est même une véritable déclaration de guerre. "Un maire est dix fois plus puissant qu’un député. Les sondages la donnent gagnante dans tous les cas. Elle pourrait alors faire cesser tous les trafics d’influence et les spéculations financières."

Quelques jours avant son assassinat, Yann Piat réclame auprès de Bernard Tomasini, le chef de cabinet de Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur de l'époque, un renforcement des forces de police à Hyères, surnommée depuis quelques temps "Hyères-les-Bombes". Rackets, bars qui brûlent, voitures qui explosent, règlements de comptes en série font la une de la presse locale.

Mais à cet instant, face à sa fille, Yann Piat ne veut pas penser à ce climat de tensions. L’heure de la séance de cinéma approche, Angélique s’apprête à retrouver son amie. Sa mère lui dit en souriant : "Adieu ma fille". Angélique lui répond : "A ce soir". Comme pour se rassurer. Sa mère promet de les rejoindre après la séance pour aller manger une pizza.

"Jo, on nous flingue ! "

Reconstitution de la scène de l'assassinat de la député Yann Piat, en 1994 (en haut à gauche), route du mont des oiseaux barrée le soir du meutre, le 24 février 1994 (en haut et bas à droite) et le véhicule accidentée de la députée.   (MAXXPPP/AFP/FRANCE3)

La pendule affiche 19h30, son ami Patrick Heintz, qui est repassé à la permanence, propose à Yann Piat de la raccompagner, mais elle décline l’invitation. Il la quitte sans penser qu'il ne la reverra jamais vivante. Elle éteint les lumières de son bureau avant de tourner la clé dans la serrure de la porte de sa permanence. Il est 19h45. Georges Arnaud, dit "Jo", l’attend au volant de sa Clio. Non loin de là, deux hommes planqués dans leur voiture font le guet. Ils surveillent le départ de Yann Piat, qui monte à côté de son chauffeur. La Clio démarre. Elle est immédiatement prise en chasse par les guetteurs. Quelques mètres plus loin, au rond-point Godillot, une moto Yamaha rouge, sur laquelle sont juchés deux autres hommes, prend le relais.

Après quelques kilomètres, la Clio s’engage sur la route panoramique qui mène à la résidence des Mont des oiseaux. Georges Arnaud ne remarque pas les phares de la moto dans le rétroviseur. La villa de Yann Piat est à 900 mètres, perchée en haut de la colline. Dans le dernier virage, en tête d’épingle, la voiture ralentit, la moto se rapproche. Le passager du deux-roues vise le véhicule un .357 Magnum à la main. Et commence à tirer.

Les deux premières balles explosent la lunette arrière. "Jo, qu’est-ce que c’est que cette moto ? crie Yann Piat. Jo, on nous flingue !" Une troisième pulvérise la vitre arrière gauche au moment où la moto déboîte. Arrivé à la hauteur du chauffeur, le passager de la moto tire une quatrième balle qui traverse la portière et touche Georges Arnaud à la jambe. L’engin finit de doubler la voiture quand un cinquième coup de feu retentit. Yann Piat est mortellement touchée à la poitrine.

Son corps est venu sur moi, je l’ai embrassée et je l’ai remise sur la banquette.

Georges Arnaud, ami et ex-chauffeur de Yann Piatlors du procès en mai 1998

Le pilote du deux-roues perd le contrôle. La moto fait une embardée et termine sa course couchée contre le trottoir de gauche. Les deux hommes sont à terre, le tireur se relève et envoie une sixième balle qui traverse le pare-brise et vient se loger dans le tableau de bord.

Après un instant de panique, Georges Arnaud, blessé, reprend ses esprits. Il comprend alors que les tireurs veulent finir leur travail. Il enclenche la marche arrière et repart en direction de la caserne des pompiers située en bas de la colline. Sur 150 mètres et en à peine quelques secondes, la députée du Var est tombée dans un guet-apens mortel à quelques mètres de chez elle.

A une dizaine de kilomètres de là, Lionel Royer-Perreaut ne se doute de rien. "Au début de la réunion, l’ambiance était tendue, les participants étaient agressifs, ça parlait beaucoup. Puis vers 20h45, d’un coup, il y a eu des murmures, l’assemblée est devenue agréable comme baignée d’empathie. Mais personne ne m’a rien dit." Il apprend la terrible nouvelle en rentrant chez lui.

Il est 22 heures. Le quartier est bouclé, chaque centimètre carré est fouillé. Un barrage est mis en place et tous les voisins sont interrogés. La moto endommagée est retrouvée quelques heures plus tard, en plein centre du village de La Garde, à quelques kilomètres du lieu du crime. Abandonnée dans leur fuite par les deux motards, ils sont revenus l’incendier. Elle a été volée quinze jours auparavant dans la cité de la Blocarde à Hyères. L’arme du crime reste introuvable. Vers minuit, Lionel Royer-Perreaut arrive au commissariat. Il ne veut toujours pas y croire.

J’ai craqué une fois arrivé au commissariat. J’étais dans le déni, cela ne pouvait pas être vrai. Et puis est venue la terrible prise de conscience de sa mort. Que tout ça, c’était la réalité.

Lionel Royer-Perreaut, ex-attaché parlementaire de Yann Piatà franceinfo

"Dès l’annonce de sa mort, le temps s’est retrouvé comme suspendu. Un calme s’est abattu sur Hyères jusqu’au jour des obsèques" se souvient avec émotion son collaborateur.

Assassinée par une bande de voyous

Le jour des obsèques de la députée Yann Piat, le 1er mars 1994 à la salle des fêtes de La-Londe-les-Maures (83). (MAXPPP)

"Victime d’un contrat exécuté par des professionnels, l’élue n’avait aucune chance d’échapper à la mort." A l’instar du présentateur du 19/20 sur France 3, Eric Cachart, le 26 février 1994, tous les journaux télévisés ouvrent leur édition avec la même nouvelle : l’assassinat de Yann Piat.

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Aucune piste n’est écartée. L’élue avait beaucoup d’ennemis. La police judiciaire se focalise sur les querelles internes de la droite varoise et sur le désir de revanche du milieu local. Quatre jours après l’assassinat, le 1er mars 1994, 26 personnes, des élus locaux et des membres du milieu varois proche de Jean-Louis Fargette sont interpellés à l’aube. Joseph Sercia, bras droit de Maurice Arreckx au conseil général, est soupçonné d’être le commanditaire, aidé de Epifanio Pericolo et Denis Labadie, ses hommes de main. Ils seront finalement tous relâchés.

Le même jour, les obsèques de l’élue ont lieu devant 2 500 personnes, à la salle des fêtes de La Londe-les-Maures. Là même où elle avait fêté l’année précédente sa victoire aux élections législatives. A la fin de l’office religieux, les hommages s'enchaînent. François Léotard, ami de Yann Piat, maire RPR de Fréjus et alors ministre de la Défense, se fait le porte-parole d’une classe politique ébranlée.

Dans la nuit, sur cette petite route du mont des Oiseaux, nous avons tous été visés. Les citoyens, les élus, les policiers, la justice, une certaine idée que nous avons de la démocratie, du droit, de la liberté.

François Léotard, ex-ministre de la Défense et ex-maire de Fréjusà franceinfo

Trois mois plus tard, une nouvelle piste s’ouvre. Sept hommes sont arrêtés. Parmi eux, Lucien Ferri et Marco Di Caro sont identifiés comme les deux motards. Romain Gressler et Olivier Tomassone, eux, sont accusés d’avoir pris l’élue en filature à la sortie de sa permanence. Tous, âgés d’une vingtaine d’années, font partie de la bande du Macama, une brasserie branchée sur le port de plaisance de Hyères tenue par Gérard Finale. Ce patron de bar, surnommé "Le Grand tout mou" par les policiers qui l'interrogent avait pour ambition, depuis la mort de Jean-Louis Fargette, en mars 1993, de devenir un des parrains de la pègre du Var. Il semblait voir en Yann Piat un obstacle à son ascension, si elle devenait maire. Il est accusé d’être le commanditaire de l’assassinat.

A leur procès, qui s’ouvre le 4 mai 1998, Lucien Ferri, qui se présente comme le chef de la bande du Macama, ne donne aucune information, mais affirme que les commanditaires sont des hommes politiques et des voyous. Les jeunes "bébés killers", comme les surnomme la presse, reconnaissent leur participation. Gérard Finale, lui, nie tout en bloc. Après six semaines d’audience, le verdict tombe le 16 juin. La thèse d’un assassinat politique est enterrée. Pour la justice, il s’agit d’un crime mafieux commandité par un patron de discothèque et exécuté par deux petits voyous locaux. Gérard Finale et Lucien Ferri, le tireur, sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Marco Di Caro, le pilote de la moto, à vingt ans de réclusion. Romain Gressler et Olivier Tomassone, chargés de faire le guet et de s'occuper des armes, à respectivement quinze ans et treize ans. Stéphane Ali Guechguech, l'incendiaire de la Yamaha rouge pour masquer cette preuve matérielle, à six ans de prison. Le septième homme est acquitté.

Un nouveau rebondissement a lieu en octobre 1997. Deux journalistes d’investigation, André Rougeot et Jean Michel Verne relancent la piste du complot politique et incriminent deux anciens ministres, François Léotard et Jean-Claude Gaudin. Ils sont condamnés pour "diffamation".

L’affaire Yann Piat a eu des conséquences dans le milieu politique varois. Juste après sa mort, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, lance une vaste opération “mains propres” dans le département. Maurice Arreckx et Joseph Sercia sont finalement condamnés pour "abus de biens sociaux".

Aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, le meurtre de Yann Piat suscite toujours des questions. Gérard Finale et Lucien Ferri ont emporté certaines des réponses dans leur tombe. Mais pour la fille cadette de Yann Piat, Angélique, ce n’est pas possible que cela ne soit que le patron du Macama, Gérard Finale, qui soit le commanditaire. "Il y avait d’autres réseaux. La politique, c’est vraiment un milieu écœurant , une fois dans le système ils perdent toute humanité."



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                                    Texte : Guillemette Jeannot

                                 Illustrations : Jessica Komguen

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