Cet article date de plus d'onze ans.

INFO FRANCETV INFO. Réserve parlementaire : le million d'euros oublié du député Gilles Carrez

Rapporteur du Budget en 2011, le député du Val-de-Marne a accordé cette année-là 4,9 millions d'euros de réserve parlementaire... dont plus d'un million enregistré sous les noms d'élus locaux. 

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le député du Val-de-Marne Gilles Carrez, le 25 juin 2013 à l'Assemblée nationale, à Paris. (MARTIN BUREAU / AFP)

C'est une lectrice qui nous a alertés. "Monsieur Spilbauer est maire de la ville de Bry-sur-Marne. Comment peut-il apparaître dans la colonne 'transmetteur' d'une réserve parlementaire, sans être député ni sénateur ?", s'interrogeait notre internaute du Val-de-Marne.

L'édile figure en effet dans la liste des députés et sénateurs qui ont versé des subventions au titre de la réserve parlementaire 2011, publiée début juillet. Cette enveloppe opaque de 150 millions d'euros a été distribuée par les députés et les sénateurs aux communes de leur choix pour financer des investissements. Selon le document, Jean-Pierre Spilbauer a versé cette année-là quatre subventions à sa commune, pour un total de 500 000 euros.

Contacté par francetv info, l'élu ne cache pas sa surprise. "Pourquoi mon nom figure-t-il sur le document ? Je n'en sais rien, reconnaît-il. 500 000 euros, c'est la somme que Gilles Carrez nous a donnée en 2011." Président de la commission des Finances de l'Assemblée, ce dernier est le député UMP de la 5e circonscription du Val-de-Marne.

"Il ne s'agit pas d'une erreur"

Le cas de Bry-sur-Marne n'est pas isolé. Après vérification méthodique, quinze élus non parlementaires figurent dans le document de la réserve parlementaire. Au total, ils ont alloué 30 subventions sur 10 374, soit 1 262 321 euros sur 150 millions. La faiblesse relative de ces chiffres laisse d'abord penser à une erreur administrative du ministère.

Il n'en est rien. "Il ne s'agit pas d'une erreur de nos services ou de ceux des assemblées (...), il se trouve en effet que certains élus, non parlementaires, peuvent bénéficier d'une enveloppe de crédits, explique-t-on au cabinet du ministre de l'Intérieur. La répartition des crédits de la réserve parlementaire relève du pouvoir souverain des commissions des Finances des deux assemblées."

Le million d'euros accordé par Gilles Carrez

De fait, ces subventions présentent des similitudes. Elles sont toutes inscrites à la réserve de l'Assemblée nationale. Et lorsque l'on interroge les maires ou mairies concernés, un nom revient régulièrement. Rapporteur du Budget à l'époque, Gilles Carrez est le parlementaire qui a accordé 24 des 28 subventions pour lesquelles francetv info a obtenu une réponse. Ces subventions pèsent 1 144 321 euros des 1 262 321 euros alloués à des non-parlementaires, et s'ajoutent aux 3,8 millions accordés par le député du Val-de-Marne sous son nom.

Les maires bénéficiaires de cette discrète manne sont en général des élus de petites communes. Mais pas toujours. L'ancien rapporteur du Budget s'est montré généreux avec quelques personnalités de droite, comme Jean Castex, secrétaire général adjoint de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy et maire de Prades (Pyrénées-Orientales), et de gauche, comme Christian Pierret, ancien ministre de Lionel Jospin et maire de Saint-Dié-des-Vosges (Vosges).

La commune de Vivonne (Vienne) se distingue également. Son maire confie qu'il a obtenu ce crédit par l'intermédiaire d'Enguerrand Delannoy, collaborateur parlementaire de 2004 à 2010 de Gilles Carrez dont La Nouvelle République faisait le portrait en décembre. "Je connaissais le maire, il m'a demandé ce que je pouvais faire, j’ai posé la question à mon ancien patron, il a accepté", explique simplement Enguerrand Delannoy, originaire du département et candidat l'année suivante dans la circonscription voisine.

Echange de bons procédés

Enfin, le nom de l'ancien ministre du Budget Alain Lambert figure dans la liste. "Les investissements mettent toujours du temps à s'organiser. Ce sont des crédits payés en 2011, mais votés l'année précédente ou celle d'avant, alors que j'étais encore parlementaire", explique le président du conseil général de l'Orne, sénateur jusqu'en 2010. Pourquoi ces crédits ne sont-ils pas inscrits sur la réserve du Sénat, mais sur celle de l'Assemblée nationale ? "Il est probable qu'ils soient imputés sur le compte du rapporteur général du Budget de l'époque, c'est-à-dire Gilles Carrez", répond-il.
 
Et l'élu de décrire comment les parlementaires s'arrangent entre eux pour satisfaire les demandes des communes de leur circonscription. "Lorsque vous avez des communes qui ont toutes des besoins de financement la même année et que vous ne pouvez pas leur apporter toutes ces subventions, vous demandez à un de vos collègues de vous aider cette année-là, et l’année suivante, vous l’aidez", résume Alain Lambert.

"Une sorte de réserve dans la réserve"

Contacté par francetv info, Gilles Carrez explique qu'il n'a fait que suivre les règles établies par ses prédécesseurs socialistes de 1997 à 2002. "A l'Assemblée, une fois que la répartition est faite entre les groupes parlementaires, il subsiste un reliquat, de l'ordre de 12 à 15 millions d’euros, développe-t-il. Ce reliquat est cogéré par le président de l'Assemblée nationale et par le rapporteur général du Budget."
 
Cette somme permet de répondre aux demandes de certaines communes et de donner des compléments de réserve "à tous les collègues qui le demandent", poursuit-il, citant l'exemple du député de Corrèze François Hollande. "Le système permet une souplesse, une sorte de réserve au sein de la réserve au niveau du président et du rapporteur général", résume-t-il, soulignant que ce reliquat existe toujours en 2013.

"C'est une question que je me pose également"

Pourquoi son nom ne figure-t-il pas dans le fichier ? "C'est une question que je me pose également, parce que ce n'est pas moi qui ai élaboré ce document", répond Gilles Carrez. Selon lui, ces anomalies s'expliquent par le fait que le ministère établit son fichier "sur la base des données à l'arrivée et pas sur la base des données au départ". Ce qui pourrait expliquer que le nom du maire soit enregistré à la place du nom du député.
 
Mais dans ce cas, pourquoi cette inversion ne concerne que 30 des 10 374 subventions accordées ? Et pourquoi ne retrouve-t-on pas plus souvent le nom de Bernard Accoyer, également concerné par ce reliquat ? A en juger par l'importance de sa réserve parlementaire, ce surplus a été enregistré sous le nom du président de l'Assemblée nationale de l'époque. Il avait en effet versé près de 12 millions d'euros en 2011.

"Il faut qu'il l'attribue en son nom"

Successeur de Gilles Carrez comme rapporteur général du Budget, le député socialiste de Meurthe-et-Moselle Christian Eckert confirme l'existence d'un reliquat. "La répartition se déroule tout au long de l'année, développe-t-il. Vous avez donc des dossiers abandonnés, d'autres minorés ou parfois majorés, en fonction des demandes."
 
Il ne comprend pas en revanche pourquoi la part du reliquat distribuée par son collègue n'a pas été enregistrée sous son nom : "A ce moment-là, il faut qu'il l'attribue en son nom." Quant à la présence d'élus locaux dans la liste, il assure n'avoir pas connaissance de cas similaire, précisant qu'il n'a "aucune information sur l'exercice 2011".
 
Les éventuelles motivations derrière cette anomalie ne sont pas plus claires que les explications de Gilles Carrez. Ces subventions sont légales et la liste du ministère de l'Intérieur n'aurait jamais été publiée sans l'obstination d'un simple citoyen, Hervé Lebreton. Mais la présence d'élus locaux sur la liste de la réserve parlementaire révèle qu'en 2011, le député du Val-de-Marne n'a pas alloué 3,85 millions d'euros comme on le pensait, mais 4,99 millions d'euros. Et souligne une fois de plus l'opacité d'une enveloppe qui n'est encadrée par aucun texte.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.