Réserve ministérielle : les fils Guéant et Marleix ont-ils bénéficié d'un traitement de faveur ?
En 2011, ces fils de ministres ont attribué plus de 800 000 euros de subventions à des communes de la circonscription qu'ils convoitaient pour les législatives, l'année suivante. Comment l'expliquent-ils ? Francetv info leur a posé la question.
C'est la principale curiosité des nouvelles données de la réserve ministérielle 2011. Que font François Guéant et Olivier Marleix, respectivement fils de l'ancien ministre de l'Intérieur Claude Guéant, et fils de l'ancien secrétaire d'Etat aux Collectivités territoriales Alain Marleix, dans cette liste ? Les deux hommes ont accordé cette année-là 322 500 et 557 088 euros de subventions à des communes de leur fief politique.
Il n'y a là rien d'illégal : cette cousine de la réserve parlementaire, pilotée depuis l'Elysée sous Nicolas Sarkozy comme l'expliquait Le Monde, n'est régie par aucun texte. On trouve uniquement sa trace dans la loi de programmation budgétaire, au titre du programme 122-01, une ligne budgétaire dévolue en théorie aux "aides exceptionnelles" aux collectivités locales. Dans les faits, elle permet aux ministres de faire passer en priorité les demandes de subventions des collectivités de leur choix. Elle représentait 32,9 millions d'euros en 2011.
Mais cette réserve pose des questions éthiques et morales. Ses critères d'attribution sont d'une opacité totale. Il a fallu l'obstination judiciaire de l'Association pour une démocratie directe pour obtenir, à l'été 2013, la liste de la réserve ministérielle 2011, et les noms des élus un an plus tard. Dans cette liste, François Guéant et Olivier Marleix côtoient le gratin de la majorité à l'époque alors qu'ils ne sont que de simples élus locaux. François Guéant est suppléant du député de la 4e circonscription du Morbihan et conseiller régional de Bretagne. Olivier Marleix est maire d'Anet et conseiller général de l'Eure-et-Loir.
"Si vous pensez qu'il suffit de s'appeler Guéant"
Ont-ils été favorisés par leur nom ? Contacté par francetv info, François Guéant se présente comme un simple "porte-voix" de ces communes qui ont reçu des subventions, et estime n'avoir fait que son travail d'élu local. "La réserve ministérielle est écoulée au cas par cas, en fonction des besoins des communes, explique-t-il. Vous avez des parlementaires qui interviennent, ainsi que des conseillers municipaux, généraux ou régionaux, pour soutenir différents dossiers dans ce cadre". "Si vous pensez qu'il suffit de s'appeler Guéant et de claquer des doigts, ce n'est pas le cas", insiste l'avocat.
De fait, François Guéant et Olivier Marleix ne sont pas les seuls "porte-voix" non-parlementaires de cette liste. On y trouve aussi le maire de Leucate (Aude), Michel Py, qui a obtenu 230 000 euros pour sa commune, le maire de Vivonne (Vienne), proche d'un collaborateur du député UMP Gilles Carrez, le conseiller de Nathalie Kosciusko-Morizet, Jérôme Peyrat, ou encore le maire de Vichy (Allier), Claude Malhuret. Mais les fils Marleix et Guéant ont distribué plus de subventions (11 et 12), pour des montants plus importants (557 000 et 322 500 euros). Des sommes également supérieures à celles versées par leur député respectif avec leur réserve parlementaire : 152 000 euros pour le député d'Eure-et-Loir Gérard Hamel, et 123 800 pour le député du Morbihan, dont François Guéant était le suppléant, Loïc Bouvard.
Sollicité à plusieurs reprises, Olivier Marleix n'a pas répondu à nos appels. Son cas soulève pourtant plus de questions que celui de François Guéant : comme il l'indique sur son site internet, le quadragénaire était, de 2007 à 2011, conseiller de Nicolas Sarkozy en charge des collectivités locales, avant d'occuper le même poste au cabinet du ministre de l'Intérieur (2011-2012). Le conseiller Olivier Marleix a-t-il influé sur les demandes de subventions appuyées par l'élu local Olivier Marleix ? La question reste posée.
"Je n'ai pas cherché à comprendre"
Francetv info a contacté certains maires dont les communes ont bénéficié de ces subventions pour des travaux de voirie ou d'aménagement. La plupart dirigent de toutes petites communes, de moins de 1 000 habitants. Tous démentent avoir fait appel aux deux hommes parce qu'ils étaient fils de ministres, et expliquent s'être adressés à l'élu local, très présent sur le terrain. Certains précisent avoir appris par la presse ou par des collègues que l'homme pouvait leur obtenir des subventions.
"Je n'ai pas fait la relation entre Olivier Marleix et son père", explique Philippe Sandrin, maire de Saint-Lubin-de-la Haye (Eure-et-Loir)."Peut-être qu'il vaut mieux avoir affaire au bon Dieu plutôt qu'à ses saints, mais moi je n'ai pas cherché à comprendre", poursuit-il. Christian Adelys, ancien maire de Campénéac (Morbihan), ne s'est pas non plus posé de question. "J'avais un député suppléant en face de moi qui me proposait une subvention" pour l'école communale, explique-t-il.
"Mettez-vous à notre place"
Premier adjoint à l'époque de la subvention, Christian Lemée, maire de Thehillac (Morbihan), est un peu embêté par cette histoire. "Mettez-vous à notre place. Nous sommes une petite commune avec peu de moyens", rappelle-t-il, avant de glisser : "On pouvait peut-être penser qu'il avait un réseau, mais sans plus, on ne savait pas". "Si on nous demande de rembourser cette somme, je ne sais pas comment on va faire", ajoute-t-il, un peu inquiet.
Maire de Marchezais (Eure-et-Loir), Jérôme Depondt n'est pas surpris d'apprendre qu'Olivier Marleix a octroyé 557 088 euros à des communes de son canton. "S’il ne mettait pas ses compétences et ses relations au service de son canton, ce serait dommage", estime-t-il. Pour l'édile, qui doit faire tourner sa commune avec un budget de 180 000 euros, cette situation est inhérente au système : les collectivités voient leur budget se réduire alors que la décentralisation leur donne plus de charges. "Je n'hésiterai pas à retourner dans n'importe quel ministère, à jouer des coudes pour me frayer un passage et passer devant les autres maires", explique-t-il.
"C'est un peu acheter les gens"
A gauche, ces subventions choquent davantage. François Guéant et Olivier Marleix étaient en effet tous deux candidats l'année suivante, aux législatives, dans les circonscriptions où se trouvent les communes subventionnées. "Même si cela a permis à des communes de faire des travaux, l'esprit n'est pas très sain. En gros, quelque part, c'est un peu acheter les gens", regrette Paul Molac, adversaire de François Guéant en 2012.
Ce dernier dément. "Les électeurs ne sont pas idiots, ce n'est pas uniquement sur cela qu'on gagne une campagne électorale. Si l'idée, c'est de dire que j'ai acheté des voix...", balaye-t-il. "L’électoralisme n’est pas conditionné par quelques milliers d’euros, ce serait malheureux, abonde Jérôme Depondt, le maire de Marchezais. De toute façon, ce ne sont pas les gens qui votent pour Olivier Marleix qui touchent les subventions, c’est le maire".
De fait, François Guéant et Olivier Marleix ont connu des fortunes diverses lors des législatives 2012. Le premier a perdu contre Paul Molac. Le second l'a emporté dans une circonscription historiquement de droite.
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