"Hollande est contraint de clarifier sa situation"
Après les révélations de "Closer" sur sa vie privée, le président risque d'affronter une conférence de presse périlleuse. Patrice Duhamel, journaliste et grand connaisseur des milieux politiques, décrypte pour francetv info ce moment rituel.
François Hollande doit tenir, mardi 14 janvier, sa troisième conférence de presse présidentielle. Le contexte de l'exercice apparaît plus complexe que jamais : cote de popularité en berne, préoccupations économiques et politiques majeures... et voilà que sa vie privée fait la une d'un magazine people. Pour francetv info, Patrice Duhamel, ancien journaliste politique qui connaît les milieux du pouvoir depuis de nombreuses années, évoque le rituel de la conférence de presse, et les difficultés qui se présentent pour le chef de l'Etat. Son dernier livre, coécrit avec Jacques Santamaria, s'intitule L'Elysée: coulisses et secrets d'un palais.
Francetv info : Avec la publication des photos du magazine Closer sur une liaison supposée du président, François Hollande ne pourra pas échapper à l’irruption de sa vie privée dans cette conférence présidentielle...
Patrice Duhamel : Absolument. Pendant bien longtemps, les rumeurs concernant les présidents n’ont pas été évoquées dans le cadre de la conférence élyséenne. Même le nom de Mazarine Pingeot [la fille de François Mitterrand cachée au grand public jusqu'en 1994] n’a jamais été prononcé pendant ce moment de la vie présidentielle. Mais avec Nicolas Sarkozy, la vie privée d’un chef d’Etat fait l’objet d’une question pour la première fois. C'était le 8 janvier 2008, sur sa relation avec Carla Bruni.
J’imagine que François Hollande va évoquer, mardi, la situation qu’il vit actuellement, soit parce qu’une question lui sera posée, soit parce qu’il aura décidé de le faire de lui-même. Et l’on peut penser qu’il le fera dans des termes voisins de son récent communiqué, en appelant au respect de la vie privée. D’autres questions pourraient aussi lui être posées sur la Première dame et son statut.
En tout cas, c'est un exercice compliqué et délicat auquel va devoir se livrer François Hollande. Théoriquement, la vie privée n’a pas sa place dans une conférence de presse à l’Elysée. Mais comme cette liaison supposée est à présent sur la place publique, y compris via son propre communiqué, il est contraint à clarifier les choses.
Pourquoi la conférence de presse présidentielle constitue-t-elle un temps fort dans la communication d’un chef de l’Etat ?
Il s'agit même d'un moment culte. Il y a eu une soixantaine de conférences de presse depuis 1959. Sept présidents en ont tenues en 55 ans, une rareté qui donne toute sa valeur à l’événement. Ce rendez-vous mobilise en coulisses, pendant 10 à 15 jours, tous les collaborateurs du président, soit une cinquantaine pour François Hollande. Mais cela a pu monter jusqu’à une centaine avec les prédécesseurs de l’actuel chef de l'Etat. Ajoutons qu’à présent, ce moment fort du pouvoir est retransmis par 5 à 6 chaînes de télé, pour ne parler que de ce média.
Les conférences de presse se sont-elles toujours déroulées dans la grande salle de l’Elysée ?
La salle des fêtes a accueilli la quasi-totalité de ces conférences. Seules trois ou quatre se sont tenues ailleurs. Cette grande salle peut contenir une petite scène. Louis de Funès y a joué Oscar devant le général de Gaulle. Sur cette scène est parfois dressé le pupitre du président. Quand la conférence est sur le point de débuter, on peut observer les journalistes s’asseoir près de ceux qui tiennent les micros. Une sourde lutte se déclenche pour se faire remarquer du président et poser sa question. De nombreux journalistes considèrent que c’est indispensable pour le prestige de leur média, mais aussi pour le leur.
Tout au long de l’histoire de la Ve République, le style des conférences présidentielles a-t-il évolué ?
On peut distinguer deux périodes : avec le général de Gaulle et Georges Pompidou, la solennité dominait. Le général apprenait à peu près tout par cœur. Il faisait aussi souvent les questions et les réponses. Ainsi, en 1962, il s’interroge lui-même à haute voix : "Puisqu’on me demande ce qui se passera quand le général aura disparu, eh bien, je dirais que ce ne sera pas le vide, mais le trop-plein." Personne ne lui avait posé la question...
Il arrive aussi que certains "journalistes amis" soient conviés à poser des questions préparées. A cette époque, les présidents parlaient moins en dehors de ces conférences, et pendant qu’elles se tenaient, il s’y disait beaucoup de choses très importantes.
Avec Pompidou, on assiste à un début de modernisation. Mais l’atmosphère reste encore très solennelle. Et parfois même, terriblement émouvante. Je me souviens de ce grand moment quand, en septembre 1969, Georges Pompidou a évoqué la mort de Gabrielle Russier [Cette professeure, condamnée pour détournement de mineur après une liaison amoureuse avec un de ses élèves, s'est suicidée en septembre 1969]. D'abord silencieux durant une quinzaine de secondes après la question, il a répondu : "Je ne vous dirai pas ce que j’en pense, ni ce que j’ai fait [Pompidou est intervenu secrètement pour empêcher l’exclusion de l'enseignante de l'Education nationale]", avant de réciter un poème de Paul Eluard. Un moment poignant.
Et c’est avec Valéry Giscard d’Estaing que le ton a changé ?
Oui, ce fut même une sorte de rupture. Giscard a "américanisé" l'exercice. En juillet 1974, il se tient debout, façon Kennedy, répondant à nombre des questions posées. Il en a ainsi tenues beaucoup au début de son septennat. Mais ensuite, à cause de ses démêlés politiques avec Chirac, le rythme s’est ralenti.
Avec François Mitterrand, le style s’est détendu, même s'il n’a pas tardé à rentrer dans l’habit du général de Gaulle. Il a très vite conduit ses conférences en fonction de l'actualité internationale. En 1990, c’est lors d’un de ces rendez-vous qu’il a annoncé la participation de la France à la réplique des alliés face à l’invasion du Koweït par l’Irak. C’était très militaire. On avait le sentiment que l’Elysée était tout à coup en uniforme de soldat.
Jacques Chirac, lui, n’a jamais été très à l’aise dans cet exercice. Il a d’ailleurs réservé sa première conférence exclusivement aux journalistes accrédités. Ils ont été une cinquantaine à apprendre que la France reprenait ses essais nucléaires.
Quant à Nicolas Sarkozy, il a tenu sa première conférence de presse en trombe. Le 8 janvier 2008, il annonce la suppression de la publicité sur le service public de l’audiovisuel après 20 heures. Bien des ministres, parmi les plus importants, n’étaient quasiment pas au courant. Il y a aussi cet échange mémorable, parce que très musclé, avec Laurent Joffrin, à l’époque patron du journal Libération. Mais ce que la petite histoire a retenu, ce fut : "Carla et moi, c’est du sérieux !" Pour la première fois, la vie privée fait son entrée dans le cérémonial.
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