Vous pouvez retrouver l’intégralité du chat organisé avec Philippe Poutou
Le candidat trotskiste du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), Philippe Poutou, était invité à participer au chat organisé par la rédaction pour les internautes de FranceTV2012, mardi 27 mars. Vous pouvez en retrouver l'intégralité dans cet article.
Faire une campagne présidentielle, est-ce comme vous l'imaginiez ?
Philippe Poutou. Non. Je n'imaginais rien, heureusement d'ailleurs. Tout va très vite, c'est intense, fatigant physiquement mais surtout nerveusement. C'est beaucoup de pression. Dans la rue, je suis énormément reconnu, et ça fait bizarre ! C'est très chaleureux, par contre, et ça fait beaucoup de bien.
Quel est l'exercice le plus difficile pour vous dans cette campagne ?
Les meetings en premier. C'est très compliqué d'être celui qui porte la parole. Il y a un boulot collectif qui est fait pour discuter du fond, de la manière de répondre à l'actualité. Après, c'est moi qui me débrouille sur la forme.
Il y a une équipe de campagne d'une trentaine de personnes, qui a en charge tout ce qui est communication. Ce sont les questionnaires qu'on reçoit, la préparation des meetings, les argumentaires, la préparation des rendez-vous médiatiques. Ensuite, toute l'organisation logistique des meetings, les liens avec les militants dans les villes...
Regrettez-vous de vous êtes lancé dans cette course présidentielle ?
Je n'ai pas le temps de réfléchir à cette question ! C'est difficile, mais c'est aussi très motivant. Le fait d'être l'ouvrier dans cette campagne, qui va dénoncer le système, s'appuyer sur la révolte, sur la colère sociale. Il y a une fierté collective d'être là.
Dans quelle situation êtes-vous vis à vis de votre employeur ? Vous a-t-il facilité les choses ou vous les a-t-il compliquées ?
Je suis ouvrier à l'usine Ford de Blanquefort. D'octobre à février, j'étais à temps partiel, j'ai travaillé trois jours par semaine. Ensuite, pour mars, j'ai travaillé un jour par semaine, et pour avril, j'ai pris un congé sans solde. Et le patron a accepté ces aménagements sans problème.
Comment est vécue votre candidature dans votre atelier, votre usine ?
Ca a été un gros événement. J'ai le soutien de la majorité des collègues. Il y a chez eux de la fierté qu'un ouvrier, un des leurs, soit candidat. La plupart des collègues suivent donc la campagne comme il ne l'aurait pas fait si je n'avais pas été candidat. Comme partout, beaucoup s'abstiennent ou sont écoeurés par la politique. Là, ça leur permet d'avoir un regard différent, et beaucoup disent qu'ils vont voter pour moi au premier tour, puisque je suis un peu le porte-parole des ouvriers de Ford.
Il faut rappeler qu'on a eu quatre ans de mobilisation, où j'étais avec les camarades de la CGT le porte-parole d'une lutte, et c'est un peu comme si ça continuait.
Les autres candidats parlent volontiers de l'entreprise mais vous êtes le seul à avoir concrètement travaillé dans une entreprise. Cela vous inspire une réaction ?
C'est volontaire de la part du NPA de présenter des salariés comme candidats. Ca avait le facteur Besancenot, aujourd'hui c'est l'ouvrier Poutou. C'est l'idée toute simple que les opprimés doivent être représentés par eux-mêmes, parler eux-mêmes de leurs problèmes, de leurs inquiétudes. C'est une question de dignité populaire.
Forcément, on vit directement tout ça, on est la parole même d'en bas. Ca fait toute la différence, à l'opposé du monde des politiciens.
Avez-vous fait du media training ? Entre un "On n'est pas couché" difficile et un "Mots Croisés" où vous dominez les débats, il y a un gouffre...
Pas de media training, j'ai toujours refusé. Mais après, entre octobre et mars, il y a certainement, quelque part, une expérience, une habitude, et je suis peut-être plus à l'aise aujourd'hui. Il y a une chose fondamentale : dans le débat de "Mots Croisés", je me retrouvais pour la première fois face à de vrais adversaires, UMP et FN. C'est un peu comme si je me retrouvais face au patron avec tout naturellement une sorte de colère face à des gens qui veulent nous imposer la soumission.
Pensez-vous que le PS vous a mis des bâtons dans les roues pour les signatures ? Comment ?
Oui. Il y a eu la consigne officielle de Martine Aubry, dans un premier temps, de ramener tous les parrainages vers François Hollande. Et il y a eu, dans certains départements, des responsables PS qui sont allés chercher des parrainages dans les toutes petites communes, là où ils ne vont jamais.
Donc il y a eu la volonté de retirer des parrainages potentiels vers les petits candidats. Il y a eu une hypocrisie du Parti socialiste, qui reconnaît d'une part la démocratie, mais qui d'autre part fait en sorte qu'il n'y ait pas de petits candidats.
Vous êtes représentant CGT dans votre usine. Quelle attitude doivent adopter les syndicats dans cette campagne : s'engager ou ne pas s'engager ?
La frontière entre syndicalisme et politique est difficile à définir. Moi, je trouve normal que des militants syndicalistes s'engagent dans cette campagne. Surtout contre un gouvernement qui s'est attaqué pendant cinq ans, très durement, à l'ensemble des salariés.
La CGT, même si elle ne le dit pas ouvertement, est plutôt engagée derrière Jean-Luc Mélenchon ? Votre syndicat vous facilite-t-il la tâche ? Quels sont vos rapports avec la CGT ?
C'est sûr qu'à l'intérieur de la CGT, de nombreux responsables au niveau des unions départementales ou des fédérations il y a un soutien très clair à Jean-Luc Mélenchon, et carrément une campagne interne est menée en sa faveur.
Du coup, il y a aussi une volonté de limiter l'impact de ma campagne dans la CGT. J'ai des relations difficiles avec les dirigeants de la CGT depuis longtemps, parce que je suis très critique de sa politique, notamment la gestion du mouvement des retraites. La direction CGT refuse un affrontement tranché avec le patronat et la perspective d'une grève générale, d'un blocage de l'économie. C'est ce que je défends avec mes camarades à la base.
On reproche en fait un manque de radicalisme du côté des directions syndicales face à la guerre de classes déclarée par le patronat. On a besoin d'une politique beaucoup plus déterminée face à la crise.
Que pensez-vous de la neutralité apparente de la CFDT et de FO face à l'engagement ouvert de la CGT contre Nicolas Sarkozy ?
L'appel de la CGT contre Sarkozy est facilité par le fait que l'écrasante majorité de la base du syndicat est contre Sarkozy, ce qui est plus compliqué peut-être du côté de la CFDT et de FO.
Comment expliquez-vous la quasi-disparition du vote d'extrême gauche en France alors qu'il était très présent dans les dernières présidentielles ?
C'est lié pour l'essentiel à la situation sociale et économique. La brutalité de la crise fait des dégâts dans la tête des gens. Il y a comme un sentiment d'impuissance, surtout après la défaite du mouvement des retraites. Contrairement aux autres politiciens, l'extrême gauche explique que la solution est dans la lutte, dans la résistance. Cela suppose qu'on prenne nos affaires en main, qu'on retrouve confiance dans nos forces.
C'est ce qui nous manque aujourd'hui. Pour pouvoir penser qu'on peut changer les choses, il faut avoir le moral. C'est plus facile de dire aujourd'hui "Votez pour moi, je vais changer les choses" dans un contexte où la majorité est prête à confier son sort à des "sauveurs". Nous, c'est tout l'inverse qu'on essaie de défendre.
Jean-Luc Mélenchon, lui même ancien trotskiste, est-il le fossoyeur du vote d'extrême gauche ?
Non, il n'en est pas le fossoyeur. Il représente aujourd'hui une gauche réformiste radicale. Il remplace le PS d'il y a vingt ans. Il suscite de l'espoir avec un discours antilibéral, mais cela ne résout pas les problèmes de fond. Il reste quelqu'un qui a fait toute sa carrière en tant qu'élu - sénateur, ministre. Il est intégré à un système et veut passer pour un chantre de l'anti-système. Il attire à lui effectivement plein de gens qui ont besoin d'espérer un changement.
La dynamique derrière le Front de gauche est positive, parce qu'elle peut redonner confiance à des équipes militantes, mais ce qui restera déterminant pour la suite, c'est la capacité de la population à se battre elle-même, à reprendre ses affaires en main, et donc à ne plus confier son sort à des politiciens.
Comment avez-vous réagi quand des dirigeants du NPA ont annoncé leur soutien à Mélenchon ? Quid de l'avenir du NPA après les dernières prises de position de certains dirigeants en faveur de Mélenchon ?
L'appel au vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon de certains dirigeants du NPA n'est pas une surprise. C'est malheureusement l'aboutissement d'un désaccord qui existe entre nous depuis un an. Ils ont le droit de préférer un ancien ministre à un ouvrier. Pour nous, cela ne change rien. On mènera notre campagne, on a un programme et une perspective anticapitaliste à défendre. Si le NPA n'était pas dans cette campagne, il y aurait des choses qui ne seraient pas dites.
Nous ne lâcherons pas, nous irons jusqu'au bout. Nous espérons que toutes ces disputes au sein de la gauche de la gauche n'empêcheront pas rapidement que nous discutions des perspectives de riposte unitaire dans la rue. C'est urgent.
Le projet du NPA est de construire une force anticapitaliste, de regrouper des militants de tradition différente. Même si nous ne sommes pas dans une grande forme aujourd'hui, cela ne remet pas en cause ce projet. Nous maintenons l'objectif de construire une force politique large, complètement indépendante du Parti socialiste.
Quelles sont vos différences avec Lutte ouvrière ? Ce n'est pas forcément très clair pour les gens... Pourquoi avez-vous quitté LO pour la LCR devenue NPA ?
La différence fondamentale, c'est notre aspiration à une bataille unitaire avec l'ensemble des militants de la gauche de la gauche. Concrètement, nous participons à tous les collectifs unitaires dans la lutte au quotidien. La stratégie des camarades de Lutte ouvrière est plutôt de construire seuls, de construire un parti vraiment communiste et du coup, de s'isoler.
J'ai été exclu de LO en 1997 avec les camarades de Bordeaux parce que nous étions en désaccord sur l'idée de la construction d'un parti large. En 1995, à l'issue du premier tour de la présidentielle, Arlette Laguillier avait lancé un appel à la création d'un parti de ce type, appel qui a été abandonné dans les mois qui ont suivi. Et le débat qui a suivi fin 1995 s'est terminé par l'exclusion de nombreux camarades.
Que répondez-vous aux critiques de la tendance Gauche Unitaire qui reproche au NPA d'abandonner la voie des masses et d'être trop "sectaire" ?
Ce n'est pas parce qu'on tient à défendre une indépendance totale du PS qu'on est sectaires. Dans la pratique, on est tout sauf sectaires, puisqu'on est sans arrêt en train de se battre aux côtés des autres militants du mouvement social.
Autant les camarades de la Gauche unitaire peuvent soutenir le Front de gauche s'ils pensent que c'est la solution, autant il faut respecter les choix politiques du NPA, qui sont ceux de l'indépendance totale à l'égard du PS. De plus, le NPA défend dans cette campagne des choses que ne défend pas le Front de gauche : l'expropriation des banques, l'annulation de la dette, et la sortie du nucléaire en dix ans.
Au second tour, donnerez-vous des consignes de vote particulières à vos électeurs ?
Pour nous, cette élection peut servir au moins à une chose : dégager Sarkozy et toute sa bande. C'est important pour le moral des militants, et sûrement d'une bonne partie de la population. C'est un des axes de notre campagne. Nous n'en sommes pas aujourd'hui à donner des consignes de vote pour le second tour. Il y a une campagne à mener.
Mais il y a de fortes chances que le NPA ne reste pas indifférent au second tour, dans la continuité de toute la campagne qu'on mènera.
Pourquoi le NPA a-t-il autant de mal à dire clairement qu'il votera pour Hollande au second tour ?
Parce qu'il faut prendre la démocratie au sérieux. On mène campagne pour un programme politique qui combat le libéralisme, y compris celui du Parti socialiste. On veut combattre la résignation, l'austérité, et essayer de redonner confiance au monde des opprimés.
On veut défendre des perspectives de lutte sociale. Les consignes de vote viendront en temps voulu, il n'y a pas de raison d'en donner aujourd'hui. Les "petits" candidats ne sont pas des rabatteurs de voix pour les "gros".
Olivier Besancenot a tellement de difficulté à lâcher qu'il votera pour François Hollande au second tour qu'il a fini par faire un lapsus en disant qu'il voterait pour Nicolas Sarkozy. Vous aussi ?
Par écrit, c'est plus difficile de faire des lapsus ! C'est sûr, je ne voterai pas pour Nicolas Sarkozy. Je le redis : il faut dégager Sarkozy. Malheureusement, la solution de remplacement est une mauvaise solution, parce qu'on aura de l'austérité, cela ne fait aucun doute.
Après l'élection, il y aura une deuxième manche. Il s'agit de construire une opposition radicale au futur gouvernement de gauche pour défendre les intérêts de la population.
Serez-vous candidat aux législatives ?
C'est possible. Mais contrairement à beaucoup d'autres, nous n'avons pas planifié les candidatures. Si je suis candidat, ce sera là où je travaille, dans la circonscription du Médoc, comme je l'ai été en 2002.
Comment comptez-vous exproprier les banques ? Par la force ? Vous voulez nationaliser les banques "sans indemnités". Vous vous y prendrez comment ?
Nous avons un programme d'urgence radical, anticapitaliste parce que nous sommes convaincus que c'est la seule manière de sortir de la crise. L'annulation de la dette comme l'expropriation des banques, c'est la façon d'enlever les moyens de nuire aux spéculateurs et aux banquiers. L'idée, c'est que la population prenne le contrôle des banques pour les mettre au service de l'économie, pour répondre aux besoins sociaux et écologiques de la population.
Cela suppose un rapport de force différent. Nous sommes conscients que c'est une mobilisation énorme de la population qui pourra imposer une politique vraiment de gauche.
Etes-vous favorable à la légalisation du cannabis ?
Oui. Complètement favorable à la légalisation du cannabis. Et nous défendons même la dépénalisation de toutes les drogues. Ce n'est pas en menant une politique répressive, bien souvent contre les jeunes, que nous règlerons le problème de la drogue. Nous sommes pour la mise en place d'un véritable service public de la santé, dont une part prendre en charge ce problème.
Il s'agit d'aider les gens plutôt que de les réprimer.
Pour gouverner, quel est votre principale qualité ? Et votre principal défaut ?
La question du pouvoir ne se pose pas d'une manière individuelle ou personnelle. Nous posons la question du pouvoir comme un problème collectif.
Il faut construire une véritable démocratie. La population doit pouvoir s'organiser, débattre de la manière de satisfaire les besoins des gens. Elle doit pouvoir décider. Il faut mettre en place des structures de démocratie directe. Cela suppose remettre en cause le fonctionnement actuel qui est antidémocratique.
Nous sommes pour prendre le pouvoir, mais pas pour le NPA, on ne cherche pas un ou deux postes de ministre, nous défendons le pouvoir du peuple.
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