Cet article date de plus d'onze ans.

Pourquoi les footballeurs de l'équipe de France ne connaissent pas Ayrault

Lors d'un quiz télé, les joueurs interrogés ont séché devant la photo du Premier ministre. Est-ce symptomatique de l'inculture des footballeurs ou faut-il aller chercher un peu plus loin ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Jean-Marc Ayrault lors de l'une de ses rares apparitions à un match de football, le 10 mars 2007 à l'occasion d'un Nantes-Nancy, à Nantes (Loire-Atlantique). (FRANK PERRY / AFP)

FOOT - "Attends, il me dit quelque chose !" "Il est méchant, lui !" Quand on leur a demandé d'identifier Jean-Marc Ayrault sur une photo lors du quiz de l'émission "Téléfoot" dimanche 25 novembre, les joueurs de l'équipe de France de football interrogés ont lamentablement séché. Seul le joueur du PSG Clément Chantôme reconnaît "le Premier ministre", sans pour autant citer son nom. Est-ce symptomatique de l'inculture des footballeurs ou faut-il aller chercher un peu plus loin les raisons de ce zéro pointé ? 

Dans les centres, football 1 - école 0

Dès l'âge de 12 ans, les apprentis footballeurs sont intégrés dans les centres de formation des clubs. Ils choisissent le lieu selon des critères précis : en premier, la qualité footballistique de la structure (59,8%), ensuite celle de l'enseignement scolaire (41%), puis la proximité avec le foyer parental (36,8%) et enfin le prestige du club (36,5%), d'après l'étude La professionnalisation du football en France, un modèle de dénégation (PDF, p.343). Le facteur scolaire figure à la deuxième place pour les aspirants, à la première pour les parents.

Leurs encadrants, eux, savent adapter leur niveau d'exigence. Le patron du centre de formation du FC Sochaux, le meilleur de France, déclarait en 2011 sur le site Chronofoot : "On ne leur demande pas d’avoir le bac et 15 de moyenne. On leur demande de faire au mieux sans emmerder le monde." Beaucoup d'éducateurs reconnaissent ainsi qu'ils prendront un jeune sportivement prometteur mais au dossier scolaire désastreux, même si ça peut les pénaliser au classement des centres de formation, basé sur les résultats sportifs mais aussi sur les diplômes obtenus.

Contacté par francetv info, Julien Goron, ethnologue qui a suivi sept ans les pensionnaires de l'Institut national de football de Clairefontaine, estime que "les deux institutions qui encadrent les sportifs, les centres de formation et l'école, ont des objectifs différents. Côté foot, on forme des produits qui s'insèrent dans un marché, dont la logique est de générer du profit. Côté école, on ne valorise pas beaucoup leur projet. Lors du quiz, quand Patrice Evra s'emporte quand il ne trouve pas la réponse, je retrouve des attitudes que j'ai observées quand un apprenti footballeur devait passer au tableau."

Hors foot hors-jeu

En fait, il semble que ce soit moins la scolarité qui pose problème que le manque de contact des apprentis pros avec le monde extérieur. "Le système tend à enfermer les jeunes dans un univers 100% sportif, explique Julien Bertrand, sociologue, auteur du livre La Fabrique des footballeurs, qui s'intéresse au centre de formation du club de l'Olympique lyonnais, interrogé par francetv info. Ajoutez à ça une distance grandissante de la jeunesse avec la politique institutionnelle, et le résultat du quiz ne m'étonne pas vraiment." 

Une affirmation confirmée par une prof de maths de seconde du lycée Bellevue de Toulouse, qui accueille de nombreux jeunes sportifs toulousains, dont les jeunes du TFC, contactée par francetv info : "Ils apprennent à l'école, mais pas en dehors. Ce sont des jeunes qui s'ouvrent peu vers l'extérieur." Et ce ne sont pas les quelques sorties au cinéma ou au théâtre organisées par les centres qui vont significativement changer les choses. 

Au final, pas si cancres

Et puis, le cliché du footballeur qui campe devant sa Playstation quand il n'a pas entraînement a la vie dure. "Il ne faut pas cantonner les apprentis footballeurs comme des gens juste capables de taper dans un ballon, explique cette enseignante toulousaine. Dans ma classe, j'ai de tout. J'ai le garçon agité qui ne tient pas en place, mais aussi l'excellent élève qui aura son bac S sans aucun problème. On a de moins en moins des 'profils à la Ribéry', des jeunes déscolarisés très tôt." 

Le livre La Fabrique des footballeurs montre que le recrutement du centre de l'OL puise beaucoup plus dans les classes moyennes et supérieures que par le passé. Et le niveau général augmente : dans certains clubs, le taux de réussite au bac est supérieur à la moyenne nationale, contre 55% en 2006 et 29% en 1999.

Ne pas reconnaître le Premier ministre, c'est ennuyeux quand on représente la France. "Les footballeurs, surtout ceux de l'équipe de France, ont pris une dimension symbolique, conclut Julien Goron. Il est de la responsabilité de la Fédération française de football de les former à ces enjeux nouveaux." Après leur avoir enseigné La Marseillaise, faudra-t-il leur faire réciter la composition du gouvernement ? 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.