"L'Angle éco". Mathilde Lemoine : "Il faudra du temps pour retrouver un niveau d'activité fort"
Pour l'économiste Mathilde Lemoine, qui intervient dans "L'Angle éco", il y a des signes de reprise, mais on est loin d'une croissance durable.
Reprise ou "re-crise" ? Cette question, François Lenglet l'a posée à Mathilde Lemoine, directrice département des études économiques et de la stratégie marchés de HSBC. L'économiste constate des signes de redémarrage, notamment dans la consommation. Mais il est encore trop tôt pour parler d'une relance durable de l'activité. L'incertitude des entreprises quant au retour de la croissance limite encore les investissements, et ainsi le cercle vertueux de la reprise.
François Lenglet : Doit-on s'attendre à un redémarrage de la consommation ?
Mathilde Lemoine : La consommation a redémarré en France grâce à la baisse du prix du pétrole. Le problème, c'est que pour l'instant, l'augmentation de la consommation s'est plutôt portée sur l'essence, l'agroalimentaire ou les produits alimentaires de consommation courante. Cela ne s'est pas encore diffusé dans l'ensemble de la consommation.
Pourquoi le consommateur se retient-il ?
Il a peur que l'amélioration de son pouvoir d'achat soit trop ponctuelle pour acheter des biens de consommation plus durables, qui sont plus chers. Il faudrait pour cela qu'il ait confiance dans l'avenir. Malgré tout, nous voyons un frémissement des crédits à la consommation. C'est une bonne nouvelle : cela signifie que les consommateurs ont un peu plus confiance en l'avenir que l'année passée. Il y a eu plus de crédit à la consommation pour l'achat d'automobiles, les immatriculations sont reparties en Europe. Mais pour les autres biens, ce frémissement n'est pas encore là.
"Les politiques d'austérité dans la zone euro ont pesé sur la consommation des ménages"
Pourquoi cette reprise de la consommation est-elle si longue ?
Il y a toujours un décalage entre la réalité de la perception de la situation économique et le moment où cela va déclencher l'achat. L'environnement est assez anxiogène : même si des baisses d'impôts ont été annoncées en France, l'environnement international reste incertain. La croissance chinoise ralentit, le commerce international est plus faible que prévu. Il y a une incertitude. L'épargne des ménages en France est relativement élevée. Ils veulent être sûrs que ces baisses d'impôts se traduiront durablement en augmentation de pouvoir d'achat. La deuxième explication, c'est le fait que les salaires augmentent très peu. Comme l'inflation est relativement faible, les ménages ne s'attendent pas à de fortes augmentations de salaire. Il y a une augmentation des revenus très ponctuelle liée à la baisse des prix du pétrole, qui va se porter sur la consommation d'essence, et quelque peu sur les achats immobiliers.
Pourquoi, selon vous, cette reprise est-elle plus laborieuse que les autres ?
Nous avons l'impression qu'elle est plus longue à se mettre en route, plus laborieuse. Le dopage du crédit s'est arrêté dès le début de la crise. Cela s'est traduit par une augmentation du taux de chômage partout dans le monde. Nous sommes très dépendants de la consommation des ménages en Asie, en Amérique latine et en Europe. Le niveau d'activité est donc beaucoup plus faible. Les politiques d'austérité dans la zone euro ont également pesé sur la consommation des ménages. Au final, on se retrouve donc avec des surcapacités de production. La demande est encore faible, et les perspectives de consommation s'améliorent car la Banque centrale européenne a décidé de soutenir de nouveau le crédit de façon massive. Mais il faudra du temps avant de retrouver un niveau d'activité durablement plus fort.
"Le mécanisme traditionnel de reprise ne s'enclenche pas"
Combien de temps faudra-t-il ?
C'est tout le débat aujourd'hui entre les économistes. Les plus pessimistes parlent de "stagnation séculaire", c'est-à-dire qu'il faudra au moins dix ans. Les plus optimistes considèrent que si nous faisons marcher la pompe à crédit, nous devrions retrouver un niveau d'activité relativement élevé rapidement. Mais tant que nous ne le savons pas, les entreprises n'ont pas confiance et n'investissent donc pas. Ce mécanisme traditionnel de reprise ne s'enclenche pas.
Nous voyons que des chefs d'entreprise préfèrent avoir recours à des intérimaires plutôt qu'embaucher. Cette forme d'emploi précaire est-elle devenue le nouvel habit de l'emploi dans un monde avec une reprise faible ?
Nous voyons, en France en particulier, que la grande majorité des embauches se font en CDD ou en contrat d'intérim. En effet, quand les chefs d'entreprise n'ont aucune visibilité sur les perspectives économiques, quand ils ne savent pas quelle sera la croissance des prochaines années, ils préfèrent multiplier ces embauches en contrats précaires ou en CDD.
Cette tendance est donc liée à l'incertitude et au caractère atypique de cette reprise.
C'est accentué par cette incertitude. Ce phénomène est structurel, mais il est accentué par l'incertitude liée à la difficulté de prévoir l'activité des prochaines années. On prévoyait une accélération de la croissance il y a deux ans. Cela ne s'est pas produit, car la croissance chinoise a été finalement plus faible que prévu. Aujourd'hui, même si l'euro a baissé, les exportations redémarrent timidement. Cela ne permet pas aux chefs d'entreprise d'anticiper de façon certaine une reprise de leur activité. Le deuxième facteur qui joue, c'est l'instabilité fiscale et l'instabilité des normes en France. Cela influence la confiance des chefs d'entreprise, et cela limite leurs investissements.
"Le redémarrage du crédit peut soutenir le marché immobilier français"
Y a-t-il des politiques favorables à la croissance, des politiques qui permettent d'enclencher précisément le cercle vertueux qui nous manque ?
Il faut déjà une stabilité fiscale et réglementaire. Une simplification de ces règles serait de nature à redonner confiance. Le redémarrage du crédit peut aussi soutenir le marché immobilier français, et donc créer une dynamique de croissance. Il faut savoir que le marché immobilier et la construction ont détruit des emplois de façon continue depuis 2012. Les destructions d'emploi dans ce secteur expliquent près de 50% des emplois détruits dans le secteur marchand. C'est donc très important. Le redémarrage du marché immobilier pourrait aussi participer à un frémissement de l'activité économique en France. Enfin, je pense qu'il y a aussi un élément structurel très important : les salariés doivent avoir les moyens de changer d'entreprise ou de secteur. Prenez les mutations technologiques et économiques. La crise accélère ces changements, dans l'automobile par exemple. Les entreprises doivent se remettre en cause, mais on ne permet pas aux salariés de faire évoluer leurs compétences, de faire en sorte qu'ils puissent changer d'entreprise ou de secteur. Ces salariés vont gonfler les chiffres du chômage, cela accroît les inégalités et crée un climat anxiogène. Je pense qu'il est extrêmement urgent de s'attaquer à ce chantier qui redonnerait confiance aux ménages.
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