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C'est dans ma tête. Inceste : pourquoi un tel silence ?

"La familia grande", le livre de Camille Kouchner qui vient d'être publié au Seuil, met en lumière le silence qui rôde autour de l'inceste, empêchant les victimes et leurs proches de parler, alors que bien souvent, tout le monde sait. La psychanalyste Claude Halmos évoque aujourd'hui le pourquoi de ce silence autour de l'inceste dont 10% de Français disent avoir été victimes. 

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Briser le silence autour de l'inceste. Notre XXIe siècle y parviendra-t-il ? Pourquoi ce silence ? Comment faire pour aider à la parole ? Illustration (CATHERINE FALLS COMMERCIAL / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Le livre de Camille Kouchner, La familia grande, met en lumière le silence qui entoure l’inceste : beaucoup de gens savaient, personne n’a rien dit. Et ce n’est pas un cas isolé. 10% des Français, appartenant à des milieux très différents, disent avoir subi un inceste. Dans chaque cas, sans doute des gens savaient, et se sont tus.

franceinfo : Comment expliquer un tel silence ?      

Claude Halmos : Il faut dire d’abord que poser cette question est possible, aujourd’hui, parce que l’inceste fait partie des choses dont on ne conteste plus l’existence (c’est relativement récent). Mais un énorme chemin reste à faire, parce que, si l’on admet, théoriquement, l’existence de l’inceste, dans la réalité, on ne veut souvent pas voir, pas savoir, et surtout pas dire.        

Pourquoi ?      

Parler est associé à l’idée, très dérangeante, de dénoncer. De dénoncer quelque chose de la vie – considérée comme privée – d’une famille ; et qui peut, de plus, livrer quelqu’un à la justice. Et ce, alors même que l’on n’a que très rarement des preuves formelles, mais seulement des soupçons : les coups, on le sait, sont plus souvent dénoncés parce qu’ils laissent des traces visibles. La peur est donc d’être accusé – si l’on parle  de mensonge, et même de diffamation.        

C’est difficile aussi parce que cela touche à la sexualité ?        

Bien sûr. Parler d’un inceste, c’est parler de la sexualité de quelqu’un. On peut donc craindre de se voir taxé d’un intérêt déplacé pour la vie privée des autres, et même soupçonné de voyeurisme. De plus, la sexualité que l’on dénonce a pour objet un enfant. Or, penser qu’un enfant puisse être un objet sexuel pour un adulte, est très angoissant. On a d’ailleurs longtemps voulu croire que c’était exceptionnel. Et il a fallu qu’internet existe, et les fichiers pédophiles, pour prouver que cela ne l’était pas.              

Que faudrait-il faire pour aider à la parole ?          

Pour trouver le courage de parler, il faut être convaincu que l’inceste existe, et conscient qu’il détruit toujours la vie – présente et future – d’un enfant. Donc il faut informer. En sachant que l’information bute sur plusieurs écueils : sur la conception qu’a, de l’amour parental, notre société, qui veut croire qu’il existe toujours chez un parent, et qu’il est toujours bon. Croyance fausse et de surcroît, pernicieuse parce que, elle conduit à considérer le parent qui n’aime pas (ou mal) – et donc le parent incestueux – comme un monstre, elle rend plus difficile encore d’accepter de regarder l’inceste, en face : comment penser que X ou Y, que l’on connaît, est un monstre ?

Et c’est aggravé par le recul actuel de la psychanalyse qui, elle, permet d’expliquer que l’on puisse, en répétant ce que l’on a vécu, faire, sans être pour autant un monstre, des choses monstrueuses.

Et puis l’information bute aussi sur l’ignorance de notre société, quant à la perversion, que l’on confond avec la folie. Or les parents incestueux ne sont en général pas "fous" du tout, mais pervers. Ils sont donc parfaitement conscients, non seulement de ce qu’ils font, mais de l’impunité que leur assure le silence de leur entourage.  

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