Cet article date de plus de cinq ans.

C'est dans ma tête. Les canards de la discorde

Des procès intentés pour cause d'animaux d'élevage trop bruyants chez des voisins, ou de chant du coq trop matinal. La psychanalyste Claude Halmos nous explique que ces procès posent plusieurs problèmes, notamment celui de notre rapport aux autres. 

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le coq "Maurice" et sa propriétaire, Corinne Fesseau sur l'île d'Oléron (Charente-Maritime), le 5 juin 2019. La justice a tranché. Le coq pourra chanter... (XAVIER LEOTY / AFP)

Une éleveuse de canards de Soustons, dans les Landes, a comparu lundi 2 septembre devant le tribunal de Dax, parce que des voisins, récemment installés, se sont dits incommodés par le bruit des canards qu’elle élève, depuis 40 ans. Et par ailleurs, le jugement du procès, fait également par des voisins, à la propriétaire d’un coq, sur l’Ile d’Oléron, a été rendu jeudi 5 septembre (son coq pourra continuer à chanter).

franceinfo : Comment peut-on expliquer que l’on en arrive à de tels procès ?

Claude Halmos : Ces procès posent plusieurs problèmes et d’abord celui du rapport que nous avons, à ce qui nous entoure.

Que voulez-vous dire ?

Au début de sa vie, un nourrisson n’a pas conscience des limites de sa personne : pour lui, l’extérieur et lui, ne font qu’un. Et puis, au fil des mois, parce que ses parents tiennent compte de ce qu’il manifeste, et lui parlent, il prend progressivement conscience de sa personne ; et perçoit donc, de ce fait, l’existence d’un extérieur. Et, à partir de là, il a besoin qu’on lui explique cet extérieur -qui peut lui faire violence, par ce qu’il en voit, en entend, ou en sent dans son corps- et qu’on l’en protège.

S’il bénéficie de cet accompagnement, le nourrisson acquiert un sentiment de sécurité, et grandit avec lui. Mais, si ce n’est pas le cas, l’extérieur peut rester pour lui, sa vie durant, inquiétant, et même hostile.

Et cela va se manifester de quelle façon ?

Par une sensibilité exacerbée par rapport à ce que cet extérieur lui fait éprouver. Un être humain est, normalement, apte à supporter sans dommages, une certaine charge sensorielle et émotionnelle. Les difficultés surviennent si cette charge est, comme lors d’un événement traumatique, par exemple, démesurée. Ou si, sans être démesurée, elle pèse sui lui en permanence, et ne lui laisse aucun répit.


Elles peuvent survenir également s’il est fragilisé, de façon ponctuelle, par une fatigue physique ou psychologique, ou, de façon plus durable, à cause de la façon dont il s’est construit. Mais aussi si ce qu’il doit supporter vient s’associer inconsciemment à des souffrances enfouies : les cris d’un voisin ne sont jamais agréables mais, s’ils rappellent ceux d’un père maltraitant, ils sont insupportables.


Et ces histoires de coq et de canards relèveraient de tout cela ?

On peut le supposer. Mais elles évoquent aussi un rapport à la nature, qui est paradoxal. Puisqu’elles concernent des gens qui, en choisissant de vivre à la campagne, font un retour vers cette nature, mais semblent néanmoins avoir du mal à accepter ce qu’elle est.

À comprendre, par exemple, que la nature est faite d’éléments vivants, dont on ne peut pas modifier le fonctionnement : les coqs ne se règlent pas comme des réveils. Les canards "prêts à cuire" du supermarché, ne sont jamais bruyants, mais les canards vivants produisent, eux, des sons et des déjections.etc... On ne peut pas maîtriser magiquement la nature, il faut s’adapter à elle.

Ces procès, pour anecdotiques qu’ils soient, montrent la difficulté que nous avons à le faire. Et cette difficulté mérite d’être soulignée, parce qu’elle renvoie à celle que nous avons à comprendre que nous ne préserverons la planète, que si nous tenons compte de sa réalité, et de ses besoins.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.