"L'intelligence artificielle bouleverse ma pratique pédagogique", témoigne un professeur de français

Tout l'été, on interroge des salariés, des indépendants, des chefs d'entreprise sur leur rapport aux Intelligences artificielles génératives. Comment les utilisent-ils, comment modifient-elles leur pratique professionnelle ? Aujourd'hui, Hadrien Courtemanche, professeur de français.
Article rédigé par Sarah Lemoine
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
L'IA dans l'enseignement. "Quand on discute avec les élèves, souligne Hadrien Courtemanche, professeur de français, certains font preuve de totale bonne foi, ils disent : ben oui Monsieur, j'ai utilisé la machine, c'est quand même beaucoup plus pratique et rapide ! Ça a été terrifiant comme expérience." (Illustration) (ANTONIO HUGO PHOTO / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Hadrien Courtemanche a 33 ans, il enseigne le français depuis 10 ans à des élèves de seconde et de première, au lycée Benjamin Franklin, à Orléans. Il anime également des cours d'atelier d'écriture à l'université. L'intelligence artificielle générative, il en a entendu parler il y a un peu plus d'an, par le biais de ChatGPT.

"Mon premier réflexe, c'est de la peur et de l'angoisse, parce que l'intelligence artificielle générative est capable de créer du contenu intellectuel. C'est un concurrent de poids, qui ne s'épuise pas, qui a des capacités hors norme, et un accès à une masse d'informations, que nous ne pouvons pas posséder".

Hadrien Courtemanche

Professeur de français

Mais c'est à la rentrée 2023 que l'IA générative est vraiment venue bousculer sa pratique pédagogique, au moment de corriger les dissertations faites à la maison par ses élèves de première.

"J'ai rapidement vu certains élèves, qui avaient un niveau tout à fait correct, me rendre des copies avec des formulations et des structures argumentatives, qui n'étaient pas celles qu'ils étaient capables d'utiliser avec moi au quotidien. Ça m'avait alerté, j'ai fait des copier-coller et j'ai retrouvé des schémas directement dans chatGPT. Après, quand on discute avec les élèves, certains font preuve de totale bonne foi, ils disent : ben oui Monsieur, j'ai utilisé la machine, c'est quand même beaucoup plus pratique et rapide ! Ça a été terrifiant comme expérience."

Notions de plagiat, d'honnêteté intellectuelle et d'effort dans l'apprentissage

Pour faire réfléchir ses élèves, ce professeur de français a organisé un cours sur les notions de plagiat, d'honnêteté intellectuelle et d'effort dans l'apprentissage. Avec des résultats mitigés. Pour la rentrée, il s'oriente vers une décision radicale.

"Je pense que je ne donnerai plus de travail à la maison, parce qu'on a des copies générées par autre qu'un élève. Cela devient dramatique, parce que nous n'avons plus les bons outils pour les évaluer, je ne sais pas si j'évalue un élève ou une machine, je ne sais plus comment je vais prendre le pouls de leur progression. Dans mon cas, il va falloir renoncer à un certain nombre de travaux à la maison, qui faisait partie de ma pédagogie, pour leur permettre de prendre le temps de s'approprier les exercices en question."

"Ce qui est certain, c'est que c'est une question qui inquiète. On en parle beaucoup, plus encore entre les professeurs de lettres. Il y a une symbolique derrière notre discipline. On se sent beaucoup plus attaqués que nos collègues de sciences dures."

Hadrien Courtemanche

Ce professeur de français ne se sent pas assez épaulé, il se dit même démuni

"L'Éducation nationale fait ce qu'elle peut" dit-il, mais il souhaiterait que lui et ses collègues soient formés aux intelligences artificielles pour parer certains dangers, pour apprendre aussi à travailler avec elles. "Ne pas être épaulé participe beaucoup à ce sentiment d'angoisse" affirme-t-il. Selon lui, le sujet est loin d'être anodin, car il va profondément bouleverser les pratiques et le rapport au métier d'enseignant.

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