D'une fermeture de classe à RESF, l'engagement citoyen par capillarité
Lorsque Christine, la Lyonnaise, est arrivée en Haute-Loire pour enseigner l'éducation physique et sportive en secondaire, elle n'avait "rien de militant ". Une mère qui lui avait conseillé la fonction publique et l'investissement dans la vie de famille, un vote raisonnablement à gauche, tendance PS. Et pas de velléités particulières à mobiliser les foules. C'est elle, pourtant, qui prend la parole, un samedi par mois, devant la mairie du Puy, pour héler la foule venue faire son marche : "La solidarité, c'est maintenant ".
Entre temps, Christine a milité chez SUD-Education, où elle adhère toujours même si elle a récemment pris sa retraite de l'Education nationale. Parallèlement à SUD, Christine a découvert l'écologie avec les mobilisations contre les centrales nucléaires. Par capillarité au gré des rencontres, elle s'est investie au NPA, tendance Gauche anti-capitaliste. Le 22 avril, Christine votera pour Jean-Luc Mélenchon car elle défend l'idée d'une gauche unitaire sur le flanc gauche du PS.
Mélenchon et croque bio
Devant un croque-monsieur bio, après le cercle de silence de RESF, une dizaine de ses compagnons de route échangent les dates des prochains meetings du patron du Front de gauche. Gérard, qui votait PCF en 1981 et "n'avait pas fait la fête le 8 mai pour Mitterrand ", votera Mélenchon lui aussi, même si "voter, c'est bien, encore faut-il pousser fort derrière ". Sa compagne Marianne, pourrait aussi finir par se rendre au bureau de vote le 22 avril, portée par l'enthousiasme pour le Front de gauche autour d'elle. Récemment encore, elle ne pensait pourtant pas se rendre au bureau de vote, plus portée par la décroissance que par son statut d'électrice. Mais change d'avis peu à peu.
Ensemble, Gérard, Marianne, Christine et d'autres ont repris une petite librairie qui menaçait de fermer, à Langeac, la petite ville de 4000 habitants où ils se sont installés, à 40 kilomètres du Puy. Le lieu fait aujourd'hui café associatif, ils s'y relayent bénévolement. C'est là que Christine a donné rendez-vous à Laure, qu'elle a connue à RESF. Pourtant, Laure, 36 ans, monitrice de natation, réfute le terme de "militante ". L'an dernier, cependant, elle a commencé à se mobiliser : les gendarmes étaient venus dans la classe chercher un petit garçon scolarisé avec un de ses trois enfants. Un CADA (centre d'accueil pour demandeurs d'asile) est installé près de Langeac, et les enfants se lient. C'est parce qu'elle "ne savait pas quoi dire à [ses] propres enfants " qu'elle a manifesté aux côtés de RESF.
" Moins insouciante"
Chez Laure aussi, l'engagement s'est accentué par capillarité. Elle dit qu'elle "moins insouciante qu'il y a cinq ans ". Des lectures, des discussions avec de vieux copains ou des personnes ressources comme Christine la font évoluer peu à peu. Elle ne sait pas encore pour qui elle votera ("Un droit plus qu'un devoir ") le 22 avril, mais ce ne sera pas un bulletin de droite - sa famille politique à ses débuts civiques.
Cathy, son amie d'enfance, a elle aussi trois enfants. Elle est restée en Haute-Loire, où les deux filles ont grandi, est devenue puéricultrice à Langeac. Malgré un terreau famillial plus engagé à gauche, Cathy aussi raconte qu'elle a évolué. Devenue plus exigeante, elle songe à voter à gauche du PS. Son déclic n'est pas tant l'expulsion du petit garçon qui a marqué Laure, mais plutôt la fermeture de deux classes à Langeac, annoncée cette année.
Cathy ne s'est pas sentie immédiatement légitime, mais confie qu'elle "a appris " : mettre le nez dans les statistiques, découvrir que l'enclavement et la fragilité du bassin d'emploi font de Langeac une zone à peine plus favorisée qu'une zone d'éducation prioritaire en banlieue. Et finir par interpeller l'inspectrice d'académie ou le PS local "parce que si on renonce pour l'école, qui va rétablir l'égalité " ?
La citoyenneté mais pas les chapelles
Laure et Cathy font partie de ces parents d'élèves (des femmes, pour l'essentiel) qui gravitent depuis peu autour des cercles militants plus traditionnels. Si elles se méfient des chapelles ("J'aurais pu adhéré à l'AMAP mais je n'aimerais pas faire partie du clan des bios qui bannissent le chewing-gum ou le Nutella ", dit Cathy), elles racontent une mue qui réjouit Christine : "On arrive à les toucher d'une manière différente. Ca vient petit à petit ."
Rien d'émotionnel, cependant, dans ces témoignages. Aucune de ces trentenaires ne confondent compassion et réveil citoyen. Laure évoque même "une question d'estime de soi ". Sylvie, professeur des écoles à quelques kilomètres de Langeac dans une classe unique, raconte d'ailleurs que des larmes versées pour l'expulsion du petit garçon a germé un engagement plus proprement politique. Depuis, Sylvie a suivi Christine au NPA, où militent une petite cinquantaine d'habitants en Haute-Loire. Si l'effet boule de neige n'est pas flagrant au plan numérique, tous confirment que l'entraînement provient bien des rencontres.
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