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"Je votais, j'ai arrêté" : au RSA et dégoûtés par la politique

Ils sont précaires, vivent souvent en dessous du seuil de pauvreté et ils ont cessé de voté. Dégoûtés par la chose politique, ils s'en désintéressent. Décryptage avec Pierre-Yves Madignier, président d'ATD Quart-Monde.
Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
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Parmi les bénéficiaires de l'aide alimentaire du Secours populaire à Fives, un quartier de Lille (Nord), on compte une grande majorité d'allocataires du RSA. Il faut vivre avec moins de six euros par personne et par jour pour être éligible. A Fives, gros centre en France pour le Secours populaire, 3.800 familles sont inscrites.

Mardi, ils étaient plusieurs centaines à venir acheter, pour 12 euros, des carnets de bons qui leur donnent accès à l'équivalent de 90 euros de marchandise sur le mois.

Dans la queue pour les tickets ou à la vente de produits arrivés à date limite de consommation offerts par les industriels, personne pour réagir aux propos de Laurent Wauquiez. L'avant-veille, soit dimanche 8 mai, le ministre UMP avait lâché sur BFM TV sa bombe sur l'assistanat, "cancer" de la France.

Les métastases du cancer, ce sont eux. Votent-ils (encore) ? Parlent-ils politique ? Sont-ils inscrits sur les listes ? À Fives, les permanents du Secours populaire ne savent pas. Ils ne parlent pas politique avec les bénéficiaires. Pas même lorsqu'ils sont bénévoles, soit tout de même une centaine de personnes impliquées dans la vie de la structure.

Sur place, personne ou presque pour m'envoyer promener sous prétexte qu'il s'agit de politique, lever les yeux au ciel parce qu'il est question de la prochaine présidentielle.

La plupart ont un avis, beaucoup s'étonnent qu'on soit venu le chercher. Non pas sur ce qu'a bien pu déclarer Laurent Wauquiez – et ça tombe bien : la plupart des gens que je rencontre n'ont pas eu vent de sa sortie –, plutôt savoir ce que peut représenter une carte d'électeur lorsqu'on vit chaque mois avec :

220 euros avec quelques heures d'aide aux personnes âgées (Jonathan, 26 ans , trois enfants qui dépendent de leur mère) ;705 euros pour deux avec une seule retraite (Denise, 58 ans,  dix années de travail avant de s'occuper de ses enfants) ;800 euros à deux avec deux enfants (Sonia, 28 ans  et un mari chômeur lui aussi) ;768 euros de retraite par personne (Marcelle, 60 ans , et un compagnon qui touche 700 euros de retraite) ;410 euros de RSA après 28 ans de travail (Evelyne, 51 ans ).

"Avant je votais, mais ce n'est plus la même passion"

Marcelle et Denise ont a peu près le même âge. Elles sont entrées en même temps dans la vie civique et s'en souviennent précisément. Car voter comptait, même si aucune ne se souvient en avoir parlé avec ses parents, avoir su ce qu'ils votaient.

Pour Marcelle, voter compte toujours : elle parle de "fierté" , dit qu'elle a "appris à ses enfants à voter" . Elle est socialiste tendance Ségolène (tous citeront l'ex-candidate), prête à exhiber "toutes [ses] cartes avec tous ses points" – le coup de tampon au bureau de vote a presque valeur de trophée.  

Pierre-Yves Madignier décrit même un "très grand attachement" pour la politique chez les plus précaires :

"On se sent exclu et on a vraiment envie de rentrer dans la société. La parole politique a un poids énorme, elle est ressentie de manière extrêmement affective."

Denise a dévissé socialement et a cessé de travailler après un accident de la route. On comprend qu'elle a arrêté de voter quand l'essentiel a vraiment manqué. Aujourd'hui, elle dit son "dégoût"  : de la vie, de la précarité, de l'avenir pour ses petits-enfants avec ses quatre filles actuellement sans emploi. Mais un dégoût aussi de la politique qui féconde ce sentiment d'écœurement :

"Les usines qui ferment, c'est quand même pas pour rien. Les jeunes de maintenant n'ont plus de travail pour eux, les anciens on leur dit de faire plus que leur quota de trimestre. Il ne faut pas se leurrer. Le soir des élections, on arrête directement le son. Avant je votais, j'ai souvent voté. Mais ce n'est plus la même passion."

Jonathan a voté "pour marquer le coup"

Marcelle ne connaît pas Jonathan, qui a mis du temps à s'inscrire au Secours populaire – "La fierté, vous comprenez... j'ai fini par le faire pour les enfants" . Elle ne comprend pas ces jeunes qui ne sont plus inscrits, dit que baisser les bras finit par "poser des problèmes à la société" .

Jonathan qui n'a voté qu'une seule fois, à 18 ans, et s'en souvient comme d'un "moment important" . Aujourd'hui, il est blasé :

"J'ai voulu le faire pour marquer le coup, voir à quoi ça servait."

Il n'a pas recommencé, bien qu'il suive assidûment les débats, les propositions, "les valeurs" des uns et des autres, comme il dit. Malgré une année à la rue, à dormir avec femme et enfant durant plusieurs mois dans la voiture.

Il venait de perdre son emploi au dernier jour d'une période d'essai, venait d'emménager dans un appartement plus grand dans l'euphorie d'un premier CDI qui aura tourné court et précipité le ménage dans la misère : loyer trop cher, enfants "arrivés trop vite" ... ses rêves d'audiovisuel ont tourné court.

Pour Jonathan, dont le dossier de demande du RSA est en attente, la politique se résume d'abord à ces élus qu'il a démarchés sans relâche pour finalement se " casser les dents" .  

Les hommes politiques ? "Ils se la pètent trop"

Comme lui ou Marcelle, Evelyne, 51 ans dont 28 à faire "un peu de tout" en manutention jusqu'au local poubelles d'un complexe immobilier, a les codes du jeu électoral. Elle même est plutôt écolo, socialiste au deuxième tour. Elle dit que voter va de soi parce que c'est "la loi du citoyen" . Elle dit que la mort de son mari a "tout perturbé" mais qu'elle continue à voter.

Pourtant, les hommes politiques lui font plisser le nez – "Ils se la pètent de trop" . Lorsqu'on lui demande ce qu'elle en espère (encore), elle est catégorique :

"J'attends rien du tout. Franchement rien du tout. Oui, j'ai été très déçue de voir qu'on donne le même argent aux jeunes qui n'ont jamais travaillé, se droguent, boivent, sont dans la violence, alors que moi j'ai travaillé dur toute ma vie. On n'encourage pas les jeunes à travailler."

Que dirait-elle aux politiques si d'aventure, en campagne électorale, ils passaient une tête dans la cité de Lille où elle vit aujourd'hui et où "c'est triste"  ?

"Mais vous croyez qu'on les voit dans une cité ? Vous rigolez ! Ils sont trop fiers ces gens-là ! S'ils venaient, même pas je leur parlerai. Rien. Je les ignore."

Qu'ils aient des enfants en âge de voter ou des voisins, rares sont ceux qui parlent politique avec leurs proches parmi les bénéficiaires qui ont accepté d'en discuter avec moi. Jonathan glisse même qu'il n'a aucune idée de ce que peuvent bien voter ses parents mais qu'il "préfère ne pas savoir" .

Pierre-Yves Madignier commente : 

"Cette démarche volontaire est très présente, on voit cette grande envie. Ce que représente Jonathan est quand même assez extraordinaire : il vit les situations qui sont les pires, il est la victime de systèmes de solidarité qui ne fonctionnent pas dans un pays où l'on va stigmatiser les gens au RSA.
Il est extrêmement engagé, extrêmement citoyen... en attente de réponses concrètes de la part des politiques."  

Sonia vote "quand elle a le temps"

Seule Sonia, qui fut coiffeuse à 15 ans puis assistante maternelle, dit finalement qu'elle n'y connaît "pas grand-chose quand on parle du parti de droite, du parti de gauche" .

Son vote à elle, c''est "quand elle a le temps" , et souvent quand même pour la présidentielle, "parce que c'est pas pareil" . Elle ne sait pas encore si elle en sera l'an prochain, ni pour qui elle votera. Quand on lui demande si certains propos la choquent, ce n'est pas à Laurent Wauquiez qu'elle songe, mais plutôt au Kärcher de Nicolas Sarkozy en 2005 à La Courneuve :

"Il paraît qu'il y en a un qui a dit qu'il fallait nettoyer les cités au Kärcher. Ça me choque. Mais je ne peux pas vous dire qui. Tout ce que je sais, c'est que ça me choque."

 

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