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La crise vue de la Moselle : Réchicourt-Bataville, ville fantôme

France Info est cette semaine en Moselle, département parmi les plus touchés par la désindustrialisation. Réchicourt-Bataville, par exemple, tient son nom du fabricant tchèque de chaussures Thomas Bata. Cette ville-usine née dans les années 30 s'est éteinte il y a 10 ans tout juste. Qu'est-devenue Bataville depuis la fermeture de l'usine ? Que sont devenus ses habitants ?
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le Tchèque Thomas Bata avait choisi un coin perdu de
Moselle pour installer sa ville-usine, un écrin de verdure entre étangs et
forêts, une bulle paternaliste. Rien à 20 km à la ronde.

Jusqu'à 3.000 personnes ont travaillé là, habitant la cité de l'usine,
jouissant des loisirs offerts par l'usine. Quantité de salariés n'avaient même
pas le permis. Pas besoin. Bata s'occupait de tout. "Là, les deux
bâtiments, on entendait un vrai barouf, les machines qui découpaient les pièces
de cuir, clac-clac... Jusque dehors, on entendait un bruit assourdissant. Et
tout d'un coup, plus rien",
se souvient Gérard Kelle, maire de
Réchicourt-Bataville, ancien salarié de Bata.

En 2002 la bulle explose. C'est la fermeture
inattendue et les licenciements vécus comme un cataclysme.

Bata avait promis un reclassement pour tout le monde. Mais cela n'a pas été
possible. Dès 2002, 600 habitants ont du fuir le secteur. "On n'était pas
naïfs, on n'était pas une main d'œuvre d'intellos. Mais quand même, on n'était
pas nés de la rosée du matin. Les gens, toute leur vie, ont fait des
chaussures. Ils étaient qualifiés pour faire des chaussures, coller des semelles
mais pas pour autre chose. Ça a été dur. Vous ne pouvez pas imaginer l'impact
de cette fermeture",
explique le maire, Gérard Kelle.

"C'était comme un petit Monaco, pour ainsi dire"

Quelques petites entreprises ont pris possession de
l'ancien site Bata. Une quarantaine de personnes travaillent dans une petite
imprimerie d'étiquettes pour boites de chaussures et dans un entrepôt de
chaussures. Leur marque : Bata. "La marchandise arrive ici, puis elle
est dispatchée vers les 140 magasins dans toute la France. Ce sont des
chaussures qui arrivent des usines de Malaisie, d'Inde, de Chine ou d'Italie",

explique Françoise, une salariée.

Dans la cité Bata voisine, un quart des petites
maisons de brique rouge restent vides, les volets clos. Les loyers dérisoires
attirent quelques familles en difficulté mais elles ne restent pas quand elles
comprennent qu'il n'y a ni travail ni commerces à moins d'une demi-heure. Les
habitants sont en majorité des retraités, comme Ivon, entré chez Bata en 1937 :
"Il n'y a plus personne ici. Ça n'a plus rien à voir avec l'âge d'or
des années 50. À l'époque, on avait tout ce qu'il fallait sur place, un vrai confort,
de bons salaires. C'était comme un petit Monaco, pour ainsi dire. Même si ça a
beaucoup changé, moi j'ai toujours vécu ici. Je ne me verrai pas finir ma vie
ailleurs, je mourrai ici",
raconte le vieil homme de 90 ans, sur le
terrain de pétanque rencontre.

"Après Bata, revenir à une vie normale était très compliqué"

Impossible de dire quelle proportion des anciens Bata
a réussi à refaire sa vie en quittant la curieuse cité devenue fantôme. Mais
tous ont encaissé plus qu'un simple licenciement, selon Alain Gatti, secrétaire
départemental de la CFDT, auteur d'un livre sur l'histoire de cette cité
ouvrière : *Chausser ceux qui vont pieds nus, Bata-Hellocourt 1931-2001.

"On n'avait des 'batamen' comme on les appelait, qui étaient là depuis trois
ou quatre générations, qui étaient nés, qui avaient vécu, mangé Bata, appris Bata,
qui s'étaient mariés Bata. On les avait éduqués dans l'idée que leur usine
était immortelle. Forcément, c'est un monde qui s'est complètement écroulé pour
eux. C'est un traumatisme qui a eu des répercussions sur leurs couples, leurs
familles, certains se sont même marginalisés ou sont tombés dans l'alcoolisme.
Après Bata, revenir à une vie normale était très compliqué",* analyse
Alain Gatti.**

La municipalité a, elle aussi, rencontré des
difficultés ces dix dernières années : plus de taxe professionnelle, plus de
taxe foncière. Une chute des recettes donc, et pourtant de nouvelles missions à
assurer : le ramassage des ordures, l'entretien des pelouses, la garderie.
Depuis les années 30, tout cela était géré par Bata.

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