"Beaucoup de colère", "un sentiment d'abandon" : en Turquie, des centaines d'enfants sans école à la rentrée à cause d'une crise diplomatique avec la France

Deux écoles françaises en Turquie ont dû annoncer à des centaines de parents que leurs enfants ne feraient pas leur rentrée cette année. Une situation intenable pour ces familles.
Article rédigé par Marie-Pierre Vérot
Radio France
Publié
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Le campus de l'école Pierre-Loti, à Beyoglu, à Istanbul. (DIA IMAGES / GETTY IMAGES EUROPE)

En Turquie, les écoles françaises Pierre-Loti et Charles-de-Gaulle, à Istanbul et Ankara, se retrouvent au milieu d'une crise diplomatique. Ces deux écoles présentent une fragilité, puisqu'elles n’ont pas d’existence légale reconnue en Turquie, qui utilise cette carte à satiété. En l’occurrence, Ankara exige l’ouverture de deux établissements d’enseignement de droit turc en France, la réciprocité en quelque sorte, fait-on valoir ici. Sauf que ces écoles suivraient le programme d’enseignement turc, de plus en plus religieux, au détriment des savoirs fondamentaux.

Une demande que la France a refusée cet été. Lorsque Yusuf Tekin, le ministre turc de l’Éducation, réagit, le 12 juillet dernier, il ne mâche pas ses mots. "La France ne daigne pas nous prendre comme interlocuteur. Nous ne sommes pas comme les pays que vous avez colonisés. Nous sommes un État souverain et indépendant. Vous devez donc agir selon nos conditions si vous voulez enseigner ici."

"Aucun retour" de la part de l'école 

Et les négociations échouent. À trois semaines de la rentrée, les parents d’élèves turcs et franco-turcs nouvellement inscrits reçoivent un mail de l’école et de l’ambassade les informant que leurs enfants ne seront pas acceptés. Autant dire que c’est la panique pour Coralie, mère d’une petite fille. "Ma fille ayant la double nationalité, je me suis retrouvée à la dernière minute sans école et sans alternative." Mais surtout, regrette Coralie, "je n’ai aucun retour concernant mes questions, que ce soit de la part de l’école ou de l’ambassade. Je suis seule, complètement seule."

C’est le problème. Même si tous se savent victimes de la surenchère turque, ils en veulent à l’ambassade et aux écoles d’être aux abonnés absents. Juste une réunion d’information en visioconférence où les parents n’avaient pas le droit d’intervenir. Mais aucune solution n'a été proposée, ce qui indigne Clara : "Il y a beaucoup de colère, un sentiment d’abandon de l’État français par rapport à notre situation. Puisque ces négociations durent depuis des années, il devrait y avoir un plan B prêt depuis très longtemps. En l’occurrence, ça n’a pas été le cas, ce n’est pas le cas." Sa petite fille, qui devait entrer en CP, suivra des cours par correspondance.

Certaines familles retournent en France

Car la seule alternative réelle serait l’école publique turque, ce dont ne veulent pas de nombreuses familles. Les écoles privées ou sous contrat AEFE avaient déjà fait le plein quand le couperet est tombé au mois d’août, ou coûtent plusieurs milliers d’euros. Des familles sont rentrées en France dans l’urgence, abandonnant leur vie et leur conjoint ici. D’autres ont entamé des démarches pour abandonner la nationalité turque. Cette situation a créé beaucoup de drames.

Une mère qui a accepté de témoigner explique que son mari, turc, est resté ici. Elle est partie seule avec son enfant pour lui assurer une école à la rentrée et ne sait quand la famille pourra se retrouver, faute de visa. D’autres familles préparent leur départ au cas où le blocage persisterait à la rentrée prochaine.

L'avenir des deux écoles en péril

La grande question reste donc de savoir s'il existe l'espoir d'un accord. Pour le moment, c'est silence radio côté français pour ne pas irriter la Turquie. On a d’ailleurs recommandé la discrétion aux parents. Ceux qui ont témoigné auprès de franceinfo l’ont fait à condition que leurs noms soient modifiés. En tout cas, l’enjeu est de taille pour la France. Faute d’accord, l’avenir des écoles Pierre-Loti et Charles-de-Gaulle est en péril.

Il faut savoir que les élèves turcs et franco-turcs représentent au moins 70% des effectifs. Sans eux, les écoles françaises ne pourraient survivre financièrement. Pour l’heure, l’interdit pèse uniquement sur les nouvelles inscriptions, ceux qui étaient déjà scolarisés peuvent poursuivre leurs études. Mais le si le vivier se tarit, il sera difficile de maintenir ces deux écoles pour les seuls élèves français.

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