Dans la peau d'une plaine contaminée aux pesticides
Tous les matins, Marie Dupin se glisse dans la peau d'une personnalité, d'un événement, d'un lieu au cœur de l'actualité.
Aujourd'hui, je suis la plaine d’Aunis près de la Rochelle. Une plaine aux terres calcaires très fertiles à l’origine de ma réputation agricole, avec mes vastes paysages de champs de céréales et mes petites communes, Périgny, Saint-Rogatien, Vérines, Dompierre-sur-Mer.
>> "Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas" : 80 organisations exigent la fin des pesticides de synthèse
Et si je suis dans l’actualité aujourd’hui, c’est parce que mes habitants ont réussi à déplacer des montagnes. Mais pour comprendre, il faut savoir que je ne suis pas une plaine comme les autres. Dans mes villages, trop d’enfants sont tombés malades du cancer ces dernières années. Pour le dire autrement : je suis un "cluster", un foyer de cancers pédiatriques, comme d’autres en France, près de Nantes, mais aussi dans le Jura ou dans l’Eure.
Un peu partout, des parents se mobilisent autour de la même question : pourquoi nos enfants sont-ils malades ? Est-ce le fruit du hasard ou y-a-t-il quelque chose dans l’air qu’on respire, dans l’eau qu’on boit ? Des parents qui alertent les agences sanitaires mais restent avec leurs questions. Car les agences justement en arrivent toujours à la même conclusion : trop de cancers mais pas d’explications…
"Nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous ne savions pas"
Et pourtant, les parents ne lâchent pas l’affaire. Constitués en associations, ils cherchent ensemble et trouvent ce qu’ils considèrent comme des débuts de réponses, comme ce captage d’eau du robinet pollué. Ils réclament également des mesures de qualité de l’air qui révèlent des concentrations record de pesticides. A tel point que même les politiques locaux s’en mêlent. En juin dernier, l’agglomération de la Rochelle a même alerté le ministre de l’Agriculture. Mais, depuis, rien. Le ministère renvoie la balle à l’Agence de sécurité sanitaire. Encore une agence, encore un avis à attendre.
Alors tout l’été les parents d’Elliot, Pauline, et tant d'autres enfants tombés malades, parfois disparus, ont travaillé ensemble pour écrire une tribune publiée aujourd’hui et soutenue par plus de 80 associations. Une première en France. Ou comment le combat de parents débouche sur une mobilisation nationale. "Nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous ne savions pas", interpellent-ils la Première ministre Elisabeth Borne, et demandent au gouvernement plusieurs mesures rapides : l'interdiction immédiate des pesticides classés cancérogènes, des mesures pour protéger les crèches, les écoles et les maisons, et une sortie des pesticides de synthèse dans les cinq ans.
Une sortie accélérée des pesticides était l’une des promesses d’Emmanuel Macron il y a un an, restée jusqu’à présent lettre morte. Et alors que la Commission Européenne se fixe des objectifs chiffrés de réduction des pesticides et s’engage dans un plan de conversion du modèle agricole qui a fait de moi une vaste plaine beaucifiée aux horizons dénudés, Emmanuel Macron, lui, veut rebattre les cartes pour, au contraire, produire toujours plus, pour s’adapter au "nouveau monde" né de la guerre en Ukraine…
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