Au coeur de la nébuleuse d'Orion
A plus de 1300 années-lumière de la Terre , la nébuleuse d'Orion est l'un des astres les plus beaux du ciel . Cela peut sembler surprenant, mais c'est vrai : cette minuscule étoile floue, située juste en dessous des trois étoiles brillantes du Baudrier d'Orion, est perceptible à l'œil nu... même en pleine ville ! Par une belle nuit sans lune en pleine campagne, des jumelles ou une longue vue permettent déjà de distinguer ses volutes gazeuses, et dans un petit télescope d'amateur, la nébuleuse, où naissent des centaines d'étoiles actuellement, évoque un immense oiseau aux ailes vertes phosphorescentes...Vertes ? Oui, l'œil humain est très sensible à l'oxygène ionisé, l'un des constituants de la nébuleuse, et insensible au rouge profond de l'hydrogène ionisé, son principal constituant. Voilà qui explique la différence entre les photographies, à dominante rouge, de la nébuleuse et son aspect visuel...
Si la nébuleuse d'Orion a été photographiée par tous les plus puissants télescopes du monde , comme Hubble et Vista, par exemple, elle n'a pas fini de surprendre les astronomes. La stupéfiante image qui ouvre cet article est une brillante illustration de la richesse et de la complexité cachées de la nébuleuse, que nous n'avons pas fini d'explorer. Ces féeriques volutes qui se déploient dans M 42, ce sont les "Orion Bullets " photographiés en infrarouge par le télescope géant Gemini South, installé au sommet du Cerro Pachon, dans la cordillère des Andes chiliennes. Ces structures sont fascinantes parce que, situées pourtant au cœur même de la nébuleuse, elles sont parfaitement invisibles, même pour le regard acéré du télescope spatial, et ne se dévoilent qu'aux instruments sensibles à l'infrarouge.
De fait, cette splendide image a été réalisée par le télescope de 8,2 m de diamètre, dotée de la toute nouvelle optique adaptative GeMS(Gemini Multi-Conjugate Adaptative Optics System). GeMS, en grande partie conçu par deux chercheurs Français, François Rigaut et Benoît Neichel , est capable de corriger les effets de la turbulence atmosphérique, qui dégrade les images des grands télescopes et les rendent floues. Ce nouvel instrument offre désormais aux astronomes des images d'une netteté littéralement "spatiale". Il s'agit d'un système opto-électronique comptant cinq lasers, trois petits miroirs déformables et une puissante unité de calcul..
Pour obtenir cette image des "Orion Bullets" , Gemini South a donc été orienté vers la nébuleuse d'Orion. Une fois le champ d'observation pointé, il a fallu aux astronomes trouver trois étoiles "guides", étoiles servant de référence à GeMS : quand le système n'est pas activé, les étoiles, floues, semblent "bouillir" et "danser" au gré de la turbulence atmosphérique. Mais ce n'est pas tout : cinq lasers, associés au télescope, ont été ensuite allumés, afin de dessiner, à 100 kilomètres d'altitude, dans les dernières couches atmosphériques, cinq étoiles artificielles. Enfin, GeMS a été mis en route. Le puissant ordinateur d'asservissement de l'optique adaptative a alors, en temps réel (en réalité mille fois par seconde), étudié l'image des trois étoiles observées dans le champ d'Orion, plus les cinq étoiles artificielles générées par les lasers, l'ensemble synthétisant une sorte de "tomographie 3D" de l'atmosphère pendant l'observation. Pour corriger les effets de cette turbulence, les trois miroirs souples de GeMS se sont ensuite, mille fois par seconde, déformés au gré de la turbulence pour la corriger.
La photographie infrarouge, en fausses couleurs, des "Orion Bullets", a nécessité une demi-heure de pose , ce qui a exigé de "figer" l'atmosphère environ deux millions de fois. La résolution de cette image – sa netteté – dépasse 0,1 seconde d'arc, à deux micromètres de longueur d'onde. A la distance de la nébuleuse d'Orion, cela correspond à sept milliards de kilomètres. Limité par son diamètre de 2,4 m, le télescope spatial Hubble, dans l'infrarouge, ne pourrait pas faire mieux. L'équipe de John Bally, Adam Ginsberg, Rodrigo Carrasco et Travis Rector, qui a réalisé cet exploit technique, a même réussi à discerner le mouvement propre des "Bullets" dans le ciel, en comparant des images prises en 2007 et 2012. Ces structures sont des "projectiles" de gaz, portés à une température de 5000 °C et expulsés par des étoiles supergéantes en formation, difficiles à identifier aujourd'hui car peut-être cachées par les nuées de gaz et de poussières du cœur de M 42.
Une chose est sûre, ces projectiles proviennent du cœur même de la nébuleuse , de la région dite du Trapèze d'Orion. La dimension de ces "bulles", qui apparaissent comme de petits globules bleus sur cette image, est en réalité immense : 50 milliards de kilomètres environ ! Les chercheurs supposent que ces globules de matière chaude ont été émis voici seulement 1000 ans ; ils se propagent à 400 km/s dans l'espace – dix fois plus vite qu'une sonde spatiale ultra rapide – et percent littéralement la nébuleuse qu'elles traversent, laissant derrière eux des tubes de gaz chauds et turbulents, que l'on voit ici sous la forme d'immenses cônes de couleur orangée, s'étendant sur près de 2.000 milliards de kilomètres, soit deux mois-lumière. Mais plus encore que l'intérêt scientifique de cette observation, c'est la maîtrise technique qu'elle démontre qui est impressionnante.
En réalité, avec leur nouvelle optique adaptative, les chercheurs du télescope Gemini South testent les techniques qui seront nécessaires à l'emploi du futur télescope de 30 m de diamètre TMT. La réaction des astronomes européens ne devrait pas tarder à venir : de leur côté, ils vont tester en grandeur réelle ou presque les techniques de leur futur télescope de 39 m E-ELT sur l'un des télescopes de 8,2 m du réseau VLT.
Serge Brunier
Consultez le site de notre partenaire Science & Vie pour voir plus d'images de la nébuleuse d'Orion, prises par les télescopes Hubble, Vista et Gemini South.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.