En Turquie, de la prison pour ceux qui diffusent des "informations mensongères"
Une loi en discussions au Parlement prévoit une peine de prison pour toute personne qui diffusera des "informations mensongères". Les autorités sont suspectées de vouloir ainsi utiliser la justice pour museler la presse, à un an des élections présidentielle et législative.
En Turquie, une loi sur les médias internet et les réseaux sociaux actuellement en débat au parlement prévoit de punir de prison toute personne diffusant des "informations mensongères". Les ONG de défense de la liberté de la presse dénoncent un nouvel instrument pour museler les médias indépendants à un an des élections.
Long et complexe, l’article 29, en particulier, suscite l’inquiétude dans les salles de rédaction. On peut le traduire ainsi : "Celui qui propage publiquement et de façon à nuire à la paix sociale des informations contraires à la vérité au sujet de la sécurité intérieure et extérieure du pays, de l’ordre public et de la santé, dans le seul but de susciter l’inquiétude, la peur ou la panique dans la population, sera puni d’une peine allant d’un an à trois ans de prison."
Officiellement, il s’agit de lutter contre les fake news
Cet article pourrait donc s’appliquer autant aux utilisateurs de réseaux sociaux qu’aux journalistes dont les articles sont publiés en ligne. Il s’agit d’un texte rédigé conjointement par le parti au pouvoir – l’AKP du président Erdoğan – et son allié ultranationaliste, le MHP. Officiellement, il s’agit de lutter contre la désinformation en ligne.
Les autorités expliquent que ce texte s’inspire de la nouvelle législation de l’Union européenne sur les services numériques, et que d’autres pays européens, comme l’Allemagne, disposent déjà d’un arsenal législatif contre ce qu’on appelle les "fake news". Mais pour les défenseurs de la liberté d’expression, le problème est que ce texte introduirait une peine de prison tout en étant très vague dans sa formulation. En effet, si le texte est adopté en l’état dans l’hémicycle, il reviendra à un tribunal de décider ce qui relève ou non d’une information "contraire à la vérité ".
Pour Baris Avsar, le rédacteur en chef de Gazete Duvar, journal indépendant en ligne, la proposition de loi dans sa forme actuelle fait peser une menace inacceptable sur le travail des journalistes : "Imaginez : nous sommes un soir d’élections, un député d’opposition fait état sur Twitter de problèmes dans un bureau de vote, indique-t-il. Que va-t-il se passer si nous publions ces allégations ?"
"Une telle menace sur notre travail n’est bonne ni pour la liberté de la presse, ni pour le droit du public d’accéder à l’information."
Baris Avsar, rédacteur en chef de Gazete Duvarà franceinfo
C’est à un juge que reviendra de déterminer ce qui relève d’une information mensongère, or les opposants pointent du doigt le manque d’indépendance de la justice. Un manque d’indépendance criant, et tel que les syndicats de journalistes suspectent les autorités de vouloir utiliser la justice pour museler la presse indépendante ou d’opposition en ligne à un an des élections présidentielle et législatives. "Jusqu’ici, les médias en ligne voyaient certains de leurs articles bloqués sur décision de justice ou administrative, explique Faruk Eren, président du syndicat Basın-İş. Là, le pouvoir va beaucoup plus loin. Pourquoi ? Parce que de plus en plus de gens vont s’informer sur internet. Le pouvoir a réussi à asphyxier financièrement les médias traditionnels qui ne lui sont pas dévoués. Mais leurs sites internet sont très consultés et très influents." La Turquie occupe cette année la 149e place sur 180 pays au classement de la liberté de la presse Reporters sans frontières.
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