CHRONIQUE. Enseignement : le théâtre est-il la clé de l'oralité ?
Faire du théâtre une pratique partagée : c’était en effet une des surprises de la conférence de presse qu’a donnée, mardi 16 janvier, Emmanuel Macron. "Comme pour la musique ou les arts plastiques, je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine, a dit le président de la République. Parce que cela donne confiance, cela apprend l'oralité, le contact aux grands textes."
L’enseignement du théâtre au même titre que les arts plastiques ou la musique : si on y arrive, c’est effectivement enthousiasmant. Mais il y a quelques motifs de scepticisme : déjà, la formation. À ce jour, peu de professeurs sont formés à la pratique théâtrale, encore moins à transmettre eux-mêmes l’art dramatique. Il va donc falloir faire appel des comédiennes et des comédiens pour assurer la formation, en binôme avec les enseignantes et enseignants, comme cela se fait déjà souvent dans les ateliers théâtre. Seulement, recruter des milliers d’actrices et d’acteurs d’ici septembre : avec quel budget ? Et quelles ressources humaines ? La question se pose – d’autant que le théâtre s’enseigne difficilement autrement qu’en petits groupes.
Par ailleurs, n’oublions pas que, dans la même conférence de presse, le président a également annoncé le doublement des heures d’éducation civique, un renforcement de l’histoire de l'art, davantage de sport, plus de temps pour l'orientation… Comment vont-ils faire rentrer tout ça dans l’emploi du temps des collégiens ? Alors même que l’ancien ministre de l’Éducation, un certain Gabriel Attal, annonçait vouloir se recentrer sur les savoir fondamentaux ? Tout cela ressemble à une équation compliquée…
Attention à la "fossilisation du patrimoine"
Encourager une pratique artistique, c’est évidemment enthousiasmant. A fortiori le théâtre, un art dont, aujourd’hui, de nombreuses personnes se sentent exclus – le président l’a rappelé, et en cela il a raison. Ce qui m’interroge davantage, c’est la forme que prendrait cet enseignement. Emmanuel Macron insiste spécifiquement sur "le contact aux grands textes". C’est évidemment une belle chose, mais il serait dommage de s’y limiter. La chercheuse Marie Bernanoce, l’une des grandes spécialistes du théâtre contemporain pour la jeunesse, alerte par exemple contre ce qu’elle appelle "la fossilisation d’un théâtre patrimonial passé". Ce qui serait passionnant serait de travailler aussi, en parallèle, à faire émerger, par le théâtre, la voix des collégiennes et des collégiens eux-mêmes, leur donner l’occasion de prendre part au débat public, comme les jeunes citoyennes et citoyens qu’elles et ils sont. Mais, bien sûr, le risque serait alors qu’ils nous disent autre chose que ce que nous aurions aimé entendre. Le gouvernement y est-il prêt ?
Il est vrai que la pratique théâtrale permet d’acquérir les fondements de l’art oratoire. Aujourd’hui, une grande partie des formations en prise de parole sont d’ailleurs assurées par des comédiennes et des comédiens. Et soyons clair : cet enseignement est, aujourd’hui, devenu essentiel. L’une des innovations du bac Blanquer a été d’introduire le "Grand oral", auquel sont confrontés les élèves des filières générales et technologiques.
Or, à ce jour, les lycéennes et lycées sont confrontés à une triple inégalité. Inégalité naturelle, entre les élèves timides et ceux qui ont de l’aisance. Inégalité scolaire, entre les élèves dont les professeurs prennent sur leur temps de cours pour les préparer au Grand oral – au risque de ne jamais finir le programme, et ceux qui sont livrés à eux-mêmes. Inégalité de naissance, entre les élèves qui naissent dans une famille d’avocats, de professeurs, de chercheurs, de comédiens, de journalistes… et tous les autres. Il est effectivement capital que soit institutionnalisée au plus vite une forme d’apprentissage de l’oralité, pour tenter de gommer ces inégalités.
Enseigner le théâtre... et la rhétorique
Le théâtre peut aider, en effet, à la lutte contre ces inégalités. Particulièrement au collège, où c’est sans doute une bonne manière d’appréhender l’oralité. Mais on pourrait aller beaucoup plus loin : apprendre à prendre la parole, défendre sa pensée, structurer son argumentation, décrypter les discours dont nous sommes la proie… C’est, aussi, le cœur d’une toute autre discipline : la rhétorique. Discipline dont je me permets de suggérer, depuis longtemps déjà, qu’elle soit inscrite au programme du lycée.
Par exemple en première : une année de rhétorique pour tous les élèves, avant de faire une année de philosophie en terminale. Voilà qui contribuerait à forger des citoyens critiques, bruyants, exigeants. Bref, pour paraphraser l’idéal de Condorcet, "des citoyens indociles et difficiles à gouverner". Mais est-ce là, justement, l’idéal qu’a en tête le président ? Cela reste à démontrer.
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