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Coupe du monde 2022 : le double discours de la France

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 18 décembre : quel est le bilan géopolitique de la Coupe du monde 2022 ?
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le président français Emmanuel Macron au Qatar pour la demi-finale entre la France et le Maroc, le 14 décembre 2022 (MAXPPP)

La Coupe du monde de football, organisée au Qatar, aura surtout été l’occasion de couronner le double discours des autorités françaises. C’était un dilemme impossible : d’un côté, l’une des plus grandes compétitions sportives au monde, dont chaque édition est suivie par plus de trois milliards d’individus. De l’autre, un pays organisateur, le Qatar, qui ne respecte ni les droits humains, ni l’environnement. Alors, que fallait-il faire ? Boycotter la compétition, ou profiter du spectacle ?

À l’échelle individuelle, les Français ont tranché : sans surprise, la Coupe du monde est d’ores et déjà l’événement télévisuel de l’année, avec plus de 20 millions de téléspectateurs pour le match France-Maroc. Mais peut-on vraiment en vouloir aux Français d’avoir suivi une compétition qui les passionne, et dont ils ne sont pas responsables de l’attribution ?

C’est évidemment à l’échelle politique que tout se passe. Car, sans aller jusqu’au boycott, il reste au moins la parole. Le discours d’un pays, cela compte dans les relations internationales. Or, justement, le discours de la France paraît… discutable. Tout a commencé avec la déclaration d’Emmanuel Macron, le 17 novembre dernier, affirmant qu'il ne fallait pas "politiser le sport". L'affirmation était déjà bancale avant la Coupe du monde. Mais depuis, il y a eu l’affaire du brassard arc-en-ciel. Il y a eu l’équipe allemande, qui a posé main sur la bouche. Il y a eu les joueurs iraniens, qui ont refusé de chanter leur hymne. Et l'équipe du Maroc qui a réussi à susciter, le temps d’une compétition, l’unité du monde arabe. Qui dira, encore aujourd’hui, que le sport n’est pas politique ?

La position du gouvernement français est devenue illisible

Samedi 10 décembre, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra assistait au quart de finale vêtue d’un pull aux manches arc-en-ciel. Un acte politique ? Le lendemain, sur franceinfo, elle expliquait que  "c'était la journée des droits de l'homme. C'était important d'exprimer mon engagement en faveur des droits humains dans leur ensemble, notamment des droits LGBT, et de le faire sans agressivité à l'égard du Qatar qui est notre partenaire."

La ministre portait donc les couleurs du drapeau LGBT pour défendre "les droits de l’homme en général", et dans le respect du Qatar : comment contredire ses actes par sa parole ! Mais elle n’est pas la seule : le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a eu du mal, dimanche 11 décembre sur LCI, à accorder le geste de la ministre des Sports et le discours du président de la République : "Porter nos valeurs quand on représente un pays dans une compétition internationale, ce n'est pas faire de la politique. C'est juste affirmer des socles, des fondamentaux. Et j'ai beaucoup apprécié l'initiative de la ministre des Sports."

"Porter nos valeurs, ce n'est pas faire de la politique" : il fallait la tenter celle-là quand même ! Défendre ses valeurs dans un pays où elles sont contestées, c’est la définition même d’un acte politique ! Voilà ce qui se passe quand on cherche à faire rentrer une boule dans un trou carré : à un moment, ça coince.

Le chef de l’État a lui aussi du mal à trouver l’équilibre

Emmanuel Macron s'est exprimé à l'issue de la demi-finale remportée par les Bleus face au Maroc : "Le sport doit rassembler. Il en est des Coupes du monde de football comme de rugby ou des Jeux olympiques : elles sont là pour rassembler, et pour que des nations qui ne savent pas se parler sur plan politique se parlent. Ensuite il faut reconnaître que le Qatar organise très bien cette Coupe du monde : l'organisation est bonne, la sécurité est bonne... Ne mégotons pas notre plaisir !"

Si "le sport doit permettre que des nations qui ne savent pas se parler sur le plan politique se parlent", c'est donc bien que le sport est porteur d’enjeux et de symboles intrinsèquement politiques : voilà donc Emmanuel Macron contredit par Emmanuel Macron ! Et puis, il y a cette phrase : "Le Qatar l’organise très bien, cette Coupe du monde". Factuellement, oui, c’est plutôt juste : la compétition se passe bien, les images sont très belles. Mais pour autant, est-ce pertinent ? Qu’est-ce qui est le plus important : la qualité de l’organisation de ce Mondial ou le prix qu’il aura fallu payer pour cette organisation, la vie de milliers de travailleurs et un désastre écologique ? Avec cette phrase, le président de la République française valide, en réalité, toute la narration mise en avant par le Qatar, dont l’objectif est justement de renforcer sa place sur l’échiquier international.

Bilan en demi-teinte

En conclusion, cet événement est pour le Qatar une réussite en demi-teinte : l’événement est un succès, mais il aura malgré tout attiré l’attention sur les pratiques de ce pays. Pour la France, en revanche, c’est un triste bilan : le gouvernement sera resté jusqu’au bout empêtré dans un double discours guidé, de toute évidence, par des intérêts économiques.

Au moment où l’affaire de corruption au Parlement européen démontre jusqu’où le Qatar est prêt à aller pour étendre son influence, nous aurions pu, je pense, attendre mieux. Reste le bilan sportif : espérons que, dimanche soir, il sera plus enthousiasmant que le bilan politique !

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