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La rhétorique de Christiane Taubira

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'ex-ministre de la Justice Christiane Taubira, le 11 décembre 2018. (ALEXIS SCIARD  / MAXPPP)

L'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira était l'invitée, jeudi 16 septembre, de nos confrères de France Inter. Elle a mis fin aux doutes sur son éventuelle candidature à la présidentielle de 2022. Elle ne se présentera pas. Si sa rhétorique est convaincante, ses arguments le sont moins.

La prise de parole de Christiane Taubira était très attendue par une partie de la gauche. Cela fait des mois, et même des années qu’elle laissait planer le doute quant à une possible candidature à l’élection présidentielle. Elle est sortie de l’ambiguïté. "L'enjeu est colossal et c'est pour ça que la gauche ne peut pas se permettre de perdre cette élection et que je ne peux pas aller gentiment m'aligner en tant que septième ou huitième candidate de la gauche. Je ne peux pas venir contribuer à l'éparpillement", a-t-elle déclaré.

Face, d'ores et déjà, aux candidatures de Fabien Roussel, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg, Anne Hidalgo, et le ou la candidat(e) désigné(e) par la primaire écologiste, Christiane Taubira décide donc de ne pas ajouter de la confusion à la confusion. C'est plutôt louable. Une responsable politique fait primer l’intérêt collectif sur son destin personnel. C’est une manière de voir les choses, du moins en apparence. Car on peut aussi retourner l’argument comme un gant. Christiane Taubira se distingue par la position assez centrale qu'elle occupe au sein de la gauche. Elle aurait pu, potentiellement, prétendre à rassembler un espace très large, allant du Parti socialiste à une partie de la France insoumise, pour le dire vite. Auquel cas, sa candidature n’aurait pas été un ferment de division mais aurait pu, au contraire, permettre un rassemblement. L'ancienne ministre a toutefois annoncé qu’elle s’impliquera dans la campagne.

L'art de l'éloquence

À la fin de l'interview, elle s’est lancée dans une tirade qui a été largement relayée. "La société a été travaillée ces 20 dernières années par une xénophobie tranquille. C'est un pays où on humilie. On a humilié un gamin il y a quelques jours, on l'a empêché de manger parce que sa maman n'a pas payé la cantine. C'est un pays où on humilie tranquillement, on prive et on humilie. Il y a quelques mois ou un an, on a humilié des adolescents en les mettant à genoux en public. ON HUMILIE dans ce pays et on trouve ça normal. Le pays reste calme", s'est-elle emportée. 

Sur le fond, libre à chacun de partager ou de dénoncer le constat que dresse Christiane Taubira. Mais sur la forme, il s'agit d'un véritable morceau d’éloquence. Toute la séquence est structurée autour d’un martèlement, "on humilie", qui vient rythmer le propos et organiser un crescendo. En rhétorique, c’est ce qu’on appelle une épanalepse c’est-à-dire une répétition insistante. Cela n’a l’air de rien mais bien maîtrisé, et il semble qu'ici elle est bien maîtrisée, c’est une figure qui suscite énormément d’émotion et crée de l’engagement.

Il existe d’ailleurs des exemples célèbres : "De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée", clamait Danton dans un discours en 1792. Une autre déclaration, du général de Gaulle cette fois, a marqué l'histoire :  "Car la France n’est pas seule, elle n’est pas seule, elle n’est pas seule !". 

"Une xénophobie tranquille, on humilie tranquillement", des formules marquantes 

Christiane Taubira a utilisé l'oxymore. Cette figure qui consiste à assembler deux termes qui sont totalement ou partiellement contradictoires : un merveilleux malheur, une obscure clarté. C’est assez rare de la voir utilisée dans le champ politique, en tout cas de manière si littéraire. Et cela permet à Christiane Taubira de cristalliser et révéler, en deux mots, le caractère tout à la fois tragique et pernicieux de ce qu’elle entend dénoncer.

En somme, que l'on soit d’accord ou non avec l’ancienne garde des sceaux, elle reste un exemple de virtuosité rhétorique. Une virtuosité qui, nous le savons maintenant, se déploiera dans ses livres, et non pas en meeting.

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