Vote utile et retrait opportun : quand la stratégie devient un argument
À la faveur d'un sondage sur l'élection présidentielle, le Rassemblement national a changé son discours. Cela démontre que, de plus en plus, la stratégie électorale devient un argument de campagne à part entière.
Une évolution du discours est en cours au sein du Rassemblement national, mercredi 9 mars : il faudrait, désormais, faire barrage à la menace trotskiste de Jean-Luc Mélenchon. Ces déclarations illustrent à quel point la stratégie électorale est devenue un véritable argument de campagne. Tout est parti d’un sondage BFMTV-Elabe, publié mardi, qui donne maintenant Jean-Luc Mélenchon à 13% d’intentions de vote, devant Eric Zemmour et Valérie Pécresse, à deux points seulement de Marine Le Pen et de la qualification au second tour.
La menace est prise au sérieux par le Rassemblement national, du moins si l’on en croit ses porte-paroles. "Vu la tournure des soudages, il est temps pour Éric Zemmour de se retirer pour permettre au camp national de se rassembler autour de Marine Le Pen et ainsi être au même niveau qu’Emmanuel Macron", a ainsi écrit sur Twitter le maire de Fréjus, David Rachline. "Si Zemmour se maintient, il prend le risque de faire battre Marine Le Pen en faveur du trotskiste Mélenchon. S’il se retire, il permet à Marine d’arriver en tête dès le premier tour. On fait quoi, Zemmour ?", lance, de son côté, le député européen Jean-Lin Lacapelle.
Un argument habituellement plutôt de gauche
Cet argument résonne tout de même de manière assez familière. Au fond, c'est un simple appel au désistement stratégique. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est de voir ce type d’appel émerger à l’extrême droite du champ politique. D’ordinaire, nous avions plus l’habitude d’entendre ces appels au sein de la gauche. Au début de la campagne de 2017, c’est justement Jean-Luc Mélenchon que l’entourage de Benoît Hamon pressait de se retirer, avant que les courbes d’intention de vote ne se croisent et que ce soit La France insoumise qui demande au Parti socialiste de retirer sa candidature.
C’est d’ailleurs tellement classique que la gauche n’est pas exempte de ce type de déclarations depuis le début de la campagne même si, en l’occurrence, elles pivotent plutôt sur le thème du vote utile. Voilà plusieurs semaines en effet que La France insoumise tente d’installer l’idée que le seul vote "efficace" à gauche serait le vote Mélenchon.
Appel au retrait adressé au concurrent ou appel au vote utile adressé aux électeurs, ce sont finalement le deux faces d’une même idée : celle selon laquelle il conviendrait de se ranger derrière le candidat ou la candidate le ou la mieux placée. Il s’agit bien d’un raisonnement stratégique utilisé comme argument politique. On peut le déplorer, dans la mesure où ils détournent en partie le débat public de ce qui devrait réellement compter : la confrontation entre les différentes propositions.
Interdire les sondages, noter l'ensemble des candidats ?
On pourrait y faire quelque chose si on le voulait. Par exemple, la France pourrait parfaitement prendre la décision d’interdire les sondages d’intention de vote dans les six mois précédant une élection. Nous n’aurions alors d’autre choix que de voter en fonction de nos convictions, plutôt que d’une stratégie : cela serait-il réellement un mal ? Nous pourrions en débattre. Surtout, il existe une piste encore plus radicale : ce serait la réforme du mode de scrutin, pour passer au scrutin majoritaire, dans lequel les électeurs ne sélectionnent pas un seul candidat mais notent l’ensemble des candidatures, ce qui invalide, de fait, toute considération stratégique.
Cette idée a d’ailleurs été expérimentée lors de la primaire populaire. Et c’est bien là tout le problème ! Entre la candidature de Christiane Taubira, qui n’a finalement pas recueillie ses parrainages, et les tripatouillages des organisateurs, qui ont finalement choisi de soutenir Jean-Luc Mélenchon plutôt que Yannick Jadot, qui était pourtant arrivé second, il est à craindre que le scrutin majoritaire soit disqualifié en même temps que la primaire populaire. Faut-il s’en réjouir ou le déplorer ? Je laisse à chacun le soin d’en juger !
franceinfo tient à rappeler qu’un sondage n'est pas une prédiction, mais une photographie de l'opinion à un instant donné. Un sondage est nécessairement assorti d'une marge d’erreur, dite aussi "marge d’incertitude" ou "intervalle de confiance". Plus l'échantillon est faible, plus la marge d'erreur progresse. Pour plus de détails, voici tout ce qu'il faut savoir pour décrypter les sondages.
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