Cet article date de plus d'onze ans.

Au delà des idées reçues sur les Roms

Polémiques dans les journaux, tribunes ce matin dans Le Parisien et Le Journal du Dimanche, tensions gouvernementales... La "question rom" a été au coeur de l'actualité cette semaine. Retour sur un sujet qui divise.
Article rédigé par Frédéric Martel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
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Tout a commencé par les propos du ministre de l'Intérieur mardi, Manuel Valls : "Il y a évidemment des solutions d'intégration mais elles ne concernent que quelques familles, c'est illusoire de penser qu'on règle le problème des populations roms à travers uniquement l'insertion ", a-t-il indiqué. Avant d'ajouter : "Oui, il faut dire la vérité aux Français ".

"Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, et qui sont évidemment en confrontation, il faut tenir compte de cela, cela veut bien dire que les roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie".

C'est un discours de fermeté à l'égard des Roms donc qu'a prononcé le ministre. Depuis, la ligne de communication du du gouvernement est claire : "Fermeté et Humanité."

Mais qui sont les Roms ? D'où viennent-ils ? Et, surtout, de qui parle-t-on réellement ?

Roms, Gens du voyage, Tsigane, Gitan, Manouches,
Bohémiens... Il n'est pas facile d'éviter les préjugés, les amalgames. En parler c'est déjà prendre le risque d'être
traité de "gadjo ", comme les tsiganes appellent les
non-tsiganes. Essayons tout de même. 

D'abord, il y a les gens du voyage. Ils vivent le plus souvent en roulotte, et aujourd'hui en
camping-car. Ce sont de petits commerçants, des gens de cirque. Certains récupèrent et revendent de la ferraille. Parfois, ils vendent des animaux domestiques - et ce
ne sont pas pour autant des voleurs de poule.

Les gens du voyage sont aussi des artisans qui font
marcher nos fêtes foraines et des musiciens qui jouent dans nos
fêtes votives. Ils sont à 95 % français.Ils ont même un statut juridique administratif spécifique en France.

Qui sont véritablement les Roms ?

Collectivement, les Tsiganes ont choisi de se
faire appeler "Roms " à partir de 1971 et du Congrès
mondial tsigane à Londres.

Ces Roms vivent parfois en France depuis l'an 1500. Ils ont toujours été français. D'autres fois, ce sont des populations en transit, d'un pays à l'autre. En général on parle de "Roms" pour des étrangers itinérants, transnationaux et nomades, mais ce nomadisme est plus souvent subi que voulu.

Ce qui les unit, ce sont les discriminations dont
ils ont été victimes. 200.000 Tsiganes ont été déportés massivement
pendant la Seconde guerre mondiale dans les camps de concentration, où
ils portaient l'étoile marron.

Depuis ils ont connu, encore et partout, les discriminations. Et d'abord en Roumanie. Alors, ils essayent de fuir leur pays ; encore
que parler de "leur" pays est difficile, car même sous Ceausescu, l'une
des pires dictatures communistes, ils arrivaient à franchir les
frontières.

Aujourd'hui, on estime qu'il y a en France environ 15.000 Roms - 20.000 si on prend la fourchette haute. Ils sont répartis dans 394 campements, souvent illicites.

Toujours est-il que ce sont des Européens, qui voyagent aussi pour des raisons économiques,
pour fuir la pauvreté.

Pour le Parlement européen, ils seraient même la quintessence de l'Europe. L'un des symboles de l'Europe.

Qu'entend Manuel Valls quand il parle de  "modes de vie extrêmement
différents des nôtres
" ?

Plus ou moins nomades, vivants en caravane ou - malheureusement - dans des abris de fortune, leurs modes de vie sont assurément différents. Sont-ils pour autant des mendiants et des délinquants plus que
d'autres groupes sociaux ? Les statistiques de la police le confirmeraient.

Mais l'important est ailleurs : ce n'est
pas un groupe, une communauté - les Roms en général - qui sont des
délinquants, mais bien certains individus, et c'est sur ce registre
que l'on doit se placer.

Une mère qui force son enfant à mendier à 5 ou 6
ans, c'est elle que l'on doit dénoncer ; non pas les Roms en
général. Ces jeunes filles de 12-14 ans qui brandissent de
fausses pétitions devant les touristes au musée du Louvre ou près de la Tour Eiffel pour leur faire les poches, ce sont les réseaux mafieux qui les y contraignent, que l'on doit dénoncer, et non pas tout le groupe
social auquel elles appartiennent.

Les modes de vie des Roms ne sont pas un problème. Mais le fait que des mineurs ne soient pas scolarisés, que des
enfants en bas âge mendient dans la rue, le fait que des
mafias recrutent des groupes de jeunes Roms pour faire la razzia des
terrasses de cafés, des supermarchés ou des pharmacies, en bande
organisée, c'est cela qui pose problème, pas la communauté Rom en elle-même.

En même temps, il serait naïf de se voiler la face : la délinquance rom existe. Dans les
grandes villes, dans les quartiers populaires, en périphérie
urbaine. Les touristes en sont particulièrement victimes,
partout.

Qu'en est-il des expulsions des

Roms et du démantèlement des camps ?

On oublie souvent que Manuel Valls ne décide aucune expulsion de Roms. Il ne choisit pas de démanteler des
camps. Ce sont les élus locaux, de droite comme de
gauche, qui le demandent à la Justice. A Lille, c'est Martine
Aubry par exemple - elle l'a toujours assumé - qui a demandé certains démantèlements de camps.

Un tribunal, c'est à dire des juges, décident
ensuite s'il faut, ou non, démanteler ces camps et reconduire les
Roms à la frontière.

Nous sommes dans un état de droit. Les décisions sont susceptibles d'appels et
de recours.

Alors on peut très bien opposer Manuel Valls à
Christiane Taubira, l'aile droite et l'aile gauche du gouvernement. On peut polémiquer pour savoir si le ministre de
l'Intérieur avait ou non l'accord du président pour s'exprimer. Mais la réalité, c'est qu'il y a des maires,
beaucoup de maires, qui réclament ces démantèlements puis des
décisions de justice qui les autorisent. Le ministre de l'Intérieur
les fait seulement appliquer.

Il y a pas mal d'hypocrisies dans ce dossier avec des maires -
des socialistes, des communistes, des écologistes mêmes, y compris des amis de Cécile Duflot et de Benoit Hamon -, qui demandent
discrètement à la justice et au ministère de l'Intérieur de
démanteler des campements Roms, puis reprochent à Valls, par médias
interposés, de le faire !

Il y a donc des postures, soit répressives, soit plus humanistes, mais tout le monde sur l'échiquier politique est bien embarassé et sur la même ligne, on y revient : fermeté et humanité.

Un sondage BVA vient d'ailleurs de confirmer que 77 % des Français approuvent les propos du ministre de l'Intérieur.

La Commission européenne, elle, ne soutient guère
la ligne de Manuel Valls...

C'est un euphémisme. Viviane Reding, la commissaire européenne, a
vertement critiqué la France.

En revanche, certains reprochent à l'Union Européenne de confondre
"circulation " des personnes et "nomadisme ".

Mais ici encore, il faut voir la complexité du
sujet. Ce n'est pas exact de dire que la Roumanie et la
Bulgarie vont entrer dans l'espace Schengen en janvier 2014. Donc on n'ouvrira pas plus qu'aujourd'hui les
frontières à cette date.

Les Roms ont le droit de circuler partout en Europe
depuis 2007, date de l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne. On n'a donc pas de raison de craindre un afflux
nouveau.

Ce qui pourrait changer en janvier 2014 -mais ce
n'est pas fait-, c'est le droit du travail avec la possibilité
pour les citoyens roumains et bulgares, parmi eux donc, un certain
nombre de Roms, d'accéder à davantage de métiers autorisés. Jusqu'à maintenant, ils avaient besoin d'une carte de séjour,
et ne pouvaient rester qu'un maximum de trois mois s'ils ne
travaillaient pas.

Paradoxalement, cette évolution européenne - qui rappelons le encore n'est pas décidée - pourrait permettre résoudre
les problèmes. S'ils peuvent travailler légalement, ils pourront
aussi mieux s'intégrer. Du moins, si on est optimiste.

La question de l'intégration des Roms

"Intégrer les Roms" : beaucoup ont cette formule à la bouche. Mais elle ne veut rien dire. On intègre des individus, ou des familles : c'est cela le modèle français d'intégration.

"Si on s'intègre on perd notre identité"

J'ai interrogé ce week-end, pour préparer cette chronique, des enseignants et des proviseurs confrontés à la question
Rom - parce que c'est aussi à l'école que se posent concrètement
ces questions. Selon eux, les Roms leur disent, clairement, qu'ils
ne souhaitent pas s'intégrer : "Si on s'intègre on perd notre identité ". Pas tous, bien sûr, mais c'est intéressant de voir une
nouvelle fois (c'est la même chose sur la question de l'Islam
dont on parlait la semaine dernière
) combien le modèle français
d'intégration est ainsi mis en question.

Ce que beaucoup d'élus veulent, sans toujours le dire, c'est l'"assimilation" des Roms - il faudrait, pour les accepter, que les Roms soient normalement scolarisés, qu'ils parlent français, qu'ils s'acculturent - en perdant leur culture d'origine. En gros, on veut bien les intégrer s'ils deviennent comme nous. Ce n'est pas forcément leur projet de vie. Du coup, on voit combien ce modèle français d'intégration est décalé vis à vis des attentes de cette minorité.

Et pourtant, il y a une culture rom, formidable et
riche en France, depuis les très populaires (et un peu factices)
Gipsy Kings, que tout le monde connaît, jusqu'au cirque Romanes, en passant par Django Reinhardt, Manitas de Plata, ou encore le
formidable groupe yiddish et tsigane Les Yeux Noirs.

On peut citer aussi les films d'Emir Kusturica, Le
Temps des Gitans
, par exemple, ou le superbe Gadjo Dilo de Tony
Gatlif.

Et puis, bien sûr, tous ceux qui ont évoqué les Tsiganes ou chanté en leur nom, de Dalida à Mano Solo, de Renaud à
Léo Ferré, et même une célèbre chanson, Le
Gitan
, de Daniel Guichard
. Et tous ces exemples ne sont que quelques éléments qui appartiennent à la culture française.

Nous avons parlé de délinquance, de campements
illégaux... Mais nous pouvons aussi conclure sur cette note plus
positive : celle de la culture Rom.

 

* Bibliographie :

- Jan Yoors, Tsiganes , Phébus, 2011

  • Denis Peschanski,

    Marie-Christine Hubert,

    Emmanuel Philippon, Les tsiganes en France : 1939-1946 , CNRS éd., 2010

 

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