Ils ont fait l'actu. En révélant le scandale Orpea, le journaliste Victor Castanet a contribué à "une libération de la parole" dans les Ehpad
Sandrine Etoa-Andegue revient sur les événements marquants de l'année. Et ce sont ceux qui les ont vécus qui les racontent. Le journaliste Victor Castanet, auteur du livre-enquête "Les Fossoyeurs", n'imaginait pas que son ouvrage allait recevoir un tel accueil.
Trois ans d'enquête, 250 témoignages, des milliers de documents, le livre enquête Les Fossoyeurs, paru aux éditions Fayard, a fait l'effet d'une bombe le jour de sa sortie, le 26 janvier 2022. Dans cet ouvrage, le journaliste indépendant Victor Castanet décrit méticuleusement les dérives et la maltraitance du groupe privé Orpea, numéro 1 mondial du secteur des Ehpad à l'égard des résidents de l'établissement de Neuilly-sur-Seine, le plus cher de France.
L'obsession de la rentabilité chez Orpea
Les résidents déboursent entre 7 000 et 12 000 euros par mois, mais leurs repas, leurs protections intimes, sont rationnés, selon le journaliste, par obsession de rentabilité, "Il y avait des consignes claires de la part de la direction générale de ne pas dépenser plus de trois changes par jour. Cela pouvait descendre à moins, mais disons que c'était la limite fixée." Le livre n'aurait pas pu voir le jour sans les lanceurs d'alerte comme Laurent Garcia, ancien cardre infirmier à l'établissement "Les Bords de Seine" qui, le tout premier, a mis le journaliste sur la piste d'Orpea ou Camille Lamarche, jeune alternante au service RH d'Orpea, qui comme d'autres ont accepté d'être cités dans l'ouvrage.
Le livre a changé la vie du journaliste, qui avait notamment réalisé plusieurs reportages à l'étranger, et lui a donné une autre dimension en tant que reporter. Aujourd'hui, il est "interpellé dans la rue, dans des cafés, dans des librairies, par des gens touchés et en colère", devenant malgré lui "une référence sur le secteur". Aujourd'hui, des personnes lui écrivent et lui donnent des pistes d'enquête sur d'autres sujets : "Il y a eu plusieurs séquences et notamment la séquence médiatique qui a été difficile à gérer, à un moment."
"C'était un tourbillon médiatique. J'ai eu énormément de sollicitations à ce moment-là et j'ai essayé de pouvoir y répondre parce que c'était important pour la promotion du livre et surtout de maintenir une forme de pression médiatique sur la classe politique pour que cette histoire aille au bout."
Victor Castanetà franceinfo
"Puis après, reprend Victor Castanet, il y a eu la séquence des rencontres où je suis allé un peu partout en France pour aller voir des lecteurs. Ensuite, il y a une autre séquence qui est la séquence judiciaire ou là j'ai été auditionné de manière personnelle. Ce sont des années, des moments charnières dans une vie".
Les preuves rassemblées par Victor Castanet sont accablantes et les conséquences immédiates : le directeur général de Orpea est limogé et l'action du groupe chute en Bourse. Une double enquête est lancée par le gouvernement. Victor Castanet ne s'attendait pas à ce que livre - qui s'est vendu à plus de 150 000 exemplaires ait un écho aussi retentissant. "Quand j'ai mis à la fin mon mail pour qu'on m'écrive après la lecture de ce livre, je pensais vendre 10 000 exemplaires et je pensais recevoir quelques dizaines de mails tout au plus, sinon quelques centaines. J'en ai reçus des milliers."
Le groupe, en tout cas ses dirigeants, est alors confronté à la justice et doit répondre de ses actes. "Au-delà des répercussions qu'il y aura sur le secteur, il y a une libération de la parole que je trouve assez importante et réjouissante. Cela a permis à des salariés, à des familles qui n'osaient pas parler ou alors qui n'étaient pas écoutées, de pouvoir le faire, d'être audibles et entendus. Et cela, quand vous êtes journalistes, c'est toujours réjouissant."
Un impact considérable
Il ne s'attendait pas non plus à ce que le livre ait un tel impact pour le groupe Orpea. "Je pense que personne en France ne peut considérer que quand vous payez 3000 euros, 4000 euros ou 5 000 euros par mois, il soit normal qu'on vous donne 4,20 euros par jour pour manger. J'étais sûr qu'on avait des éléments très forts, des preuves sur des dysfonctionnements graves, notamment sur des sujets de maltraitance ou de gestion de l'argent public. Mais je ne savais pas à quel point cela pouvait atteindre le groupe." Un groupe aujourd'hui en plein renouvellement qui vient de placer, lundi 4 juillet, à la tête de son conseil d'administration Guillaume Pépy, l'ancien directeur général de la SNCF.
Plusieurs mois après la sortie du livre enquête, des actions ont été menées au niveau politique : une double enquête de l'IGF et de l'Igas, une consultation, des auditions des dirigeants au Sénat. "Ce n'est pas allé assez loin, estime Victor Castanet. J'ai hâte que des décisions fortes soient prises et qu'une loi "grand âge" soit menée et débattue. Je pense qu'il y a urgence : les gens en ont marre, ils veulent que ça change. Ce n'est plus acceptable qu'en France il puisse y avoir ce genre de situation au détriment des pensionnaires et des salariés de ce secteur qui sont par ailleurs extrêmement mal payés.
"Ce livre raconte les dérives du leader mondial des Ehpad, des cliniques privées et les défaillances de l'État : il n'y a pas de dérives d'Orpea s'il n'y a pas de défaillances de l'État français."
Victor Castanetà franceinfo
Victor Castanet, qui travaille sur une prochaine enquête sur le secteur de la santé, n'a plus eu aucun contact avec Orpea depuis la publication du livre. Le groupe privé avait laissé entendre qu'il allait porter plainte contre lui pour diffamation. À ce jour, aucune plainte n'a été déposée.
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