Chute de Bachar al-Assad : "Les pratiques du groupe rebelle HTS sont très hostiles à la presse libre", selon Reporters sans frontières

Reporters Sans Frontières se réjouit de la fin du règne de Bachar al-Assad, mais s’inquiète de la mise en place d’un autre régime répressif en Syrie. Le groupe rebelle islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), désormais à la tête du pays, retient toujours six journalistes en otages.
Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le chef du groupe islamiste syrien Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abou Mohammed al-Joulani, s'adresse à la foule devant la mosquée des Omeyyades à Damas, le 8 décembre 2024. (ABDULAZIZ KETAZ / AFP)

"Le retour de la guerre" est la principale "cause meurtrière pour les journalistes" dans le monde, explique jeudi 12 décembre sur franceinfo Thibaut Bruttin, le nouveau directeur général de Reporters sans frontières (RSF), qui publie son rapport annuel. Quelque 54 journalistes sont morts en exerçant leur métier en 2024, soit neuf de plus qu'en 2023, et 550 journalistes sont en prison. La bande de Gaza est devenue cette année la région la plus dangereuse au monde pour les professionnels de l'information. "Les journalistes sont des civils. Ils doivent bénéficier de la protection et d'un traitement approprié, appelle le patron de RSF. Sur la situation en Syrie, Thibaut Bruttin se félicite de la chute de Bachar al-Assad, mais craint que ce soit un régime "répressif qui risque de se remettre en place pour la liberté de la presse."

franceinfo : Est-ce que la situation des journalistes dans le monde s'améliore ?

Thibaut Bruttin : Ça va toujours aussi mal. Cette année, c'est le retour de la guerre comme une cause meurtrière pour les journalistes. Il y a un conflit en cours à Gaza qui est particulièrement violent pour les journalistes. Ça explique en grande partie les chiffres que nous avons sous les yeux.

RSF a déposé quatre plaintes pour crimes de guerre auprès de la Cour pénale internationale. Pourquoi quatre ?

Derrière ces quatre plaintes, il y a toute une série d'événements qui ont touché des journalistes qu'on a communiqués à la CPI. C'est donc plusieurs centaines de cas de violences commises contre des journalistes que nous avons portés à la connaissance de la CPI. Il nous paraît vraiment essentiel que, dans les procédures qui sont en cours, il y ait un volet consacré à la question des journalistes. Les journalistes sont des civils. Ils doivent bénéficier de la protection et d'un traitement approprié. Ce n'est aujourd'hui pas du tout le cas dans le cadre du conflit à Gaza.

Quelque 550 journalistes sont en prison dans le monde. Comment expliquer cette hausse ?

Il y a vraiment aujourd'hui dans beaucoup de régimes répressifs, une sorte de tentation de la prison, avec parfois des séjours courts. En Turquie, on rentre et on sort de prison. C'est une manière de mettre la pression. Pareil pour la Chine. Ce qu'on observe aussi, ce sont des peines parfois très lourdes, plus de 10 ans pour un certain nombre de journalistes. Au total, ce sont 250 années de prison qui ont été données à des journalistes en 2024. Quelque 23 journalistes sont emprisonnés en Syrie, 38 sont retenus en otage.

Est-ce qu'il y a eu des libérations à votre connaissance, depuis la chute de Bachar al-Assad ?

Il y a deux journalistes que nous recherchions activement, sur lesquels on avait peu d'informations, qui ont resurgi au cours des jours passés. 

"On a bon espoir qu'on pourra mettre la main sur d'autres journalistes qui sont aujourd'hui disparus."

Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières

à franceinfo

J'ai déjeuné la semaine dernière à Washington avec la mère d'Austin Tice, ce journaliste américain disparu en 2012. On a bon espoir, Joe Biden l'a dit, qu'il soit encore en vie. On va tout mettre en œuvre pour essayer de le retrouver.

Vous estimez que Bachar al-Assad a tué 181 journalistes depuis la révolution de 2011. Allez-vous porter plainte auprès de la CPI ?

On y réfléchit. On a déjà beaucoup d'informations avec nos partenaires syriens qui nous sont remontées. La priorité, c'est moins d'agir directement à destination de la justice internationale que de recueillir des preuves dans les heures qui viennent. C'est une course aujourd'hui pour la collecte des preuves. RSF prend sa part. Le groupe HTS qui a fait tomber Bachar al-Assad retenait six journalistes en otage au 1ᵉʳ décembre.

Que sait-on de ces kidnappings ?

On en sait peu. On se réjouit de la fin du règne Assad. Après, on est très inquiets. On voit bien qu'il y a une fenêtre d'opportunité, dans les heures qui viennent, dans les jours qui viennent. Mais c'est probablement un régime répressif qui risque de se remettre en place pour la liberté de la presse. Les pratiques du groupe rebelle HTS sont des pratiques coupables, dangereuses, très hostiles à la presse libre.

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