L'info de l'histoire : le déficit, une si vieille habitude
L’expression de la semaine, c’est le "déficit public". L’Insee a annoncé qu’il était de 5,5% du PIB pour l’année 2023, plus que ce qui avait été prévu par le ministre Bruno Le Maire. Et le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a fait une intervention critiquant l’incapacité des gouvernements successifs à tenir leurs engagements budgétaires.
Le déficit public, pour un historien, c’est une notion plutôt récente. Car figurez-vous que nos rois n’avaient pas vraiment de budget. Ils n’avaient pas un parlement devant lequel chaque année ils présentaient leurs recettes et leurs dépenses. En fait, depuis la lointaine période féodale, au Moyen-Âge, le souverain savait ce qu’il recevait, le dépensait et parfois empruntait de l’argent à des banquiers pour faire face à une guerre, un mariage, une crise… Et c'est l’augmentation des dépenses de guerre qui pousse Louis XVI à vouloir obtenir de nouveaux impôts, en 1788, et donc à réunir les États généraux au printemps 1789. Cela déclenche la Révolution.
Mais ni pendant la Révolution, ni pendant l’Empire de Napoléon 1er, on ne présente un véritable budget. Il faut attendre la Restauration de Louis XVIII pour que soit présenté à la Chambre des députés le premier budget. C’était en 1814, le ministre des Finances de l’époque s’appelait Joseph-Dominique Louis, il était baron. Le but du baron Louis était simple : retrouver la confiance après les années de guerre et rassurer les grandes puissances (notamment pour que la France puisse faire face aux énormes indemnités de guerre que l’Europe lui a fait payer : 700 millions de francs or). Ainsi, pour la première fois en France, le budget a été discuté dans ses recettes et ses dépenses. Il se devait, désormais, d’être à l’équilibre. Pour y parvenir, on pouvait déjà emprunter sur les marchés financiers internationaux.
Au XIXe siècle, suivant les ambitions et les contraintes, les gouvernements sont amenés à emprunter de grosses sommes. Sous la IIIe République, entre 1880 et 1914, dans une période de mondialisation, un peu comme celle que nous vivons, les gouvernements doivent emprunter pour faire face au paiement des nouvelles indemnités réclamés par l’Allemagne après la guerre de 1870, puis répondre à la crise économique et aussi financer les investissements dus à la colonisation. Il va même y avoir des taux d’endettement qui sont proches de ceux d’aujourd’hui. En 1887-1889, 120% du PIB et jusqu’en 1895 on ne descend pas en dessous de 110%. Un changement de tarif douanier et de prélèvement permet de réduire la dette qui reste à 60% du PIB à la veille de la Grande Guerre. Mais en fait pendant toute cette période ou presque, les dépenses sont maîtrisées et on a même des années avec des excédents budgétaires. Pour cette raison, la France jouit d’une excellente réputation pour ses emprunts à 3 ou 5% de rémunération.
De Gaulle ramène le sérieux budgétaire
Avec les Première et Seconde Guerres mondiales, les dépensent s’envolent, le déficit devient fréquent. Le retour au sérieux budgétaire en porte un nom : De Gaulle. C’est lui qui en revenant au pouvoir en 1958 prend des mesures pour stopper la dette, arrêter le déficit budgétaire et juguler l’inflation, avec le soutien d’Antoine Pinay qui rassurent les groupes économiques. Avec en prime une réforme monétaire et la création du nouveau franc, après une dévaluation qui a dopé le commerce extérieur. Pompidou essaye de rester dans sa roue avec les plans de stabilisation.
C’est le choc pétrolier qui change la donne, en 1973. Pour la première fois en 1975, le gouvernement présente un budget en déficit et commence à emprunter. Le Premier ministre s’appelle Jacques Chirac. Il veut éviter que l’austérité casse la croissance et que les chômeurs ne finissent par créer un climat insurrectionnel. Mieux vaut dépenser. Mitterrand fait de même malgré un discours sur la rigueur, porté par Jacques Delors à partir de 1983. Et Chirac revenant au pouvoir en 1995, en vient aussi à penser l’austérité nécessaire pour redresser les finances de la France. Pourtant, rien ne bouge.
Mais en fait, aucun gouvernement n’est revenu à l’équilibre depuis 50 ans. Comme sous l’Ancien Régime, nous ne sommes pas très stricts sur nos comptes. Et l’annonce de ce nouveau déficit plus important que prévu, parait dans la lignée des cinq décennies précédentes. Bruno Le Maire n’est pas le Baron Louis. Il peine à mobiliser toute la politique sur cette question sensible. Car en matière de finance comme partout, les mauvaises habitudes ont la vie dure.
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