Baromètre mondial des investissements : "Les entreprises européennes ont les moyens d'investir en Europe", dit l'économiste David Cousquer
En France, la situation s'est détériorée ces derniers mois. Jusqu'à mars-avril, la balance des ouvertures-fermetures d'usines était encore dans le positif. Après avril, cette balance est passée en négatif, dans une légère inflexion. Mais le mois de novembre a été très déficitaire et désormais, c'est dans le rouge que la France risque de terminer l'année. David Cousquer, créateur et gérant du cabinet spécialisé Trendeo, publie ce baromètre avec l'institut de la réindustrialisation et McKinsey.
franceinfo : Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
David Cousquer : Si on refait l'histoire, il y a d'abord le secteur automobile qui a failli exploser en 2008, 2009. En 2013, la crise grecque arrive, là, c'est plutôt la hausse des taux d'intérêt. Puis, on sort de la crise, on redevient positif vers 2015. Et là, on s'inscrit dans une tendance à la reprise de l'industrialisation douce. Alors arrive le Covid, donc là, une parenthèse très négative. Et puis beaucoup de subventions : France-2030, France-Relance à partir de 2020, avec une reprise quasiment en surchauffe en fait. Si bien que fin 2022, on était arrivés à un moment où en 4 ans, on pouvait regagner toutes les usines qu'on avait perdues depuis 2009. La dynamique était très forte.
"Depuis la fin de France-Relance et le début la guerre en Ukraine, on est sur une tendance à la baisse depuis 2022."
David Cousquer, créateur du cabinet spécialisé Trendeoà franceinfo
Et là, en octobre-novembre 2024, ça devient vraiment très difficile.
Quels sont les secteurs qui souffrent et ceux qui s'en sortent mieux ?
Alors au premier rang des secteurs qui souffrent, l'automobile. D'abord parce que le véhicule thermique est en train de disparaître au profit du véhicule électrique, et on ne va pas retrouver les mêmes pièces dans les deux véhicules. Donc pour les équipementiers qui sont uniquement sur le thermique, c'est difficile. Ensuite, la hausse du prix de l'énergie touche tous les gens qui transforment la matière : les fabricants de verre, de papier et autres, qui sont très consommateurs d'énergie, ont un problème de compétitivité. Donc ça, ce sont un peu les difficultés en France et en Europe. Et puis de l'autre côté, en Chine et aux États-Unis, il y a beaucoup de subventions, donc des secteurs très dynamiques et une attractivité assez forte.
Depuis 2020, les États-Unis ont subventionné massivement les investissements dans l'industrie, avec notamment l'Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden. À quoi peut-on s'attendre avec le deuxième mandat de Donald Trump ?
L'arrivée de Trump risque de ne pas changer grand-chose à cet état de fait. Joe Biden avait un peu orienté les aides à l'investissement vers les industries vertes.
"Trump va probablement maintenir le même niveau de soutien à l'industrie simplement en enlevant la condition que les investissements soient verts."
David Cousquer, créateur du cabinet spécialisé Trendeoà franceinfo
Cela va donc aussi bénéficier aux énergies fossiles et autres. Mais globalement, il ne faut pas s'attendre à une baisse des subventions et des aides à l'industrie aux États-Unis.
D'après votre baromètre, les investissements des industriels européens vers les Amériques, et notamment les États-Unis, dépassent ceux qui sont fléchés vers l'Europe-même.
C'est quelque chose qui est très fort et qui est assez impressionnant. Alors, en négatif, ça veut dire qu'effectivement ils ne trouvent pas la zone européenne suffisamment intéressante pour y investir. La dynamique est ailleurs. En positif, cela veut dire aussi que si on arrive à remobiliser cette capacité d'investissement, elle existe. Les entreprises européennes ont les moyens d'investir en Europe. Il s'agit de les convaincre que c'est de leur intérêt.
Comment faut-il faire selon vous ?
C'est compliqué. Il faut baisser le prix de l'énergie, c'est tout un facteur. Si globalement, si on veut reprendre toute l'histoire de la désindustrialisation, on a 50 années de tendances négatives à remonter. Donc il faut à la fois de la formation, de la compétitivité sur les prix de l'énergie, du foncier. Il faut vraiment descendre dans le détail pour remettre à plat pas mal de choses.
Globalement, le montant des investissements industriels est-il en baisse à l'échelle mondiale ?
Alors, depuis 2020, la France a un bon niveau d'investissement, notamment poussée par toute la dynamique de la décarbonation et donc ç'a relativement peu baissé en 2024. Et effectivement ça a un peu plus baissé au niveau mondial.
Dans le duel habituel entre les États-Unis et la Chine, qui s'en sort le mieux ?
Pour le moment, ce sont les États-Unis, très fortement. L'investissement est en baisse en Chine.
"Un des avantages qu'ont les investisseurs chinois, c'est qu'aujourd'hui, ils investissent peu, mais de façon très concentrée dans des secteurs stratégiques."
David Cousquerà franceinfo
Donc il y a pas mal d'investissements, notamment chinois en Europe, qui vont leur permettre, même si on applique des barrières à l'entrée sur le marché européen, de produire du véhicule électrique et des batteries directement dans l'Union européenne, et donc d'échapper aux taxes.
Et en France, y a-t-il des disparités régionales ?
Alors, il y a toujours des traditions industrielles en France. Auvergne Rhône-Alpes est très généraliste dans les fabrications de produits intermédiaires. On a beaucoup d'aéronautique en Occitanie, etc. Donc, il y a des avantages et des inconvénients dans chacune des régions. Il y a des difficultés pour l'industrie en Ile-de-France, mais c'est un paysage assez diversifié.
Quelles sont les régions qui s'en sortent le mieux en France, celles qui attirent le plus ?
Les Hauts-de-France ont bénéficié de plusieurs gigas factories et réussissent une belle reconversion du véhicule thermique vers le véhicule électrique. Ce qui n'était pas garanti. Après, chaque région a des atouts. L'Occitanie a une très forte compétence sur l'aéronautique, mais un point faible, c'est qu'il y a peut-être trop de spécialisation. Les Pays-de-la-Loire sont aussi très tournés vers l'aéronautique avec les composants de grandes surfaces, les voilures chez Airbus. Ils ont aussi de l'informatique.
Vous vous êtes intéressé à l'intelligence artificielle parce qu'au début, il y avait beaucoup d'investissements dans la recherche sur l'IA. On est passé à une deuxième phase.
Oui. En 2018, il y a eu une phase d'investissement sur l'IA elle-même, sur la programmation, sur les serveurs. Et puis depuis deux ans, on voit arriver l'intelligence artificielle appliquée au processus de production. Ça veut dire la gestion des stocks, la surveillance, la maintenance prédictive, la surveillance des défaillances. On voit beaucoup d'IA appliquées.
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