"Les Français ne sont pas flemmards" assure Bruno Palier, politiste et co-auteur d'un ouvrage sur le travail

Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS, au Centre d'études européennes et de politique comparée à Sciences Po est l'invité éco de ce vendredi 27 octobre. Il dirige un collectif de 60 chercheurs qui vient de publier l'ouvrage "Que sait-on du travail" aux éditions Presses de Sciences Po.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS au Centre d'études européennes et de politique comparée à Sciences Po. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Bruno Palier, politiste, directeur de recherche CNRS au Centre d'études européennes et de politiques comparées à Sciences Po dirige un collectif de 60 chercheurs qui vient de publier, l'ouvrage Que sait-on du travail ?, aux éditions Presses de Sciences Po en collaboration avec Le Monde.

franceinfo : Qu'est-ce qui a motivé ce projet ? Je vous ai entendu dire que la raison d'être de ce livre, c'est que l'on parle enfin du travail.

Bruno Palier : Pendant très longtemps, quand on parlait de ces questions, on parlait plutôt d'emplois et plutôt de chômage, sans entrer dans le détail des conditions de travail, des contrats de travail, des difficultés, des risques psychosociaux et de l'organisation du travail. Ces thèmes étaient un peu passés sous le boisseau au nom de la préservation des emplois, aussi bien du côté des employeurs, des salariés que des politiques publiques. Avec la baisse du chômage et avec les évolutions démographiques, on a une taille de la population active qui se réduit. On a de plus en plus de métiers en tension et par conséquent, on commence à regarder les rémunérations, les conditions de travail et on voit que les salariés relèvent la tête. Au cours de la mobilisation sur la réforme des retraites, les Français ont très clairement dit : "Il est hors de question pour nous de devoir travailler dans ces conditions."

L'ouvrage est divisé en plusieurs grands chapitres, mais je voudrais qu'on parle spécifiquement de la partie sur les défis des inégalités et des discriminations au cœur des métiers essentiels en déficit de reconnaissance. Vous parlez notamment des métiers du nettoyage, du vieillissement, des assistantes maternelles. Ce sont souvent des professions où il y a beaucoup de femmes et des professions souvent invisibilisées.

On utilise cette terminologie d'"essentiel" parce que ce sont les personnes qui, pendant le Covid, sont apparues comme tout à fait essentielles, puisque ce sont les personnes qui ont dû sortir de chez elles pour aller travailler. Il y a eu une mise en lumière avec le Covid, on les a applaudies à 20h, mais, bien que ce soit 30% des emplois, on s'aperçoit que ce sont des emplois où on va trouver une concentration de précarité, de contrats à durée déterminée, de temps partiel subi. Sur ce temps partiel, il faut savoir que pour beaucoup de ces métiers, elles ne sont rémunérées que quand elles accomplissent leurs tâches, mais pas pour se rendre d'un domicile à un autre par exemple. Donc, en fait, on s'aperçoit que souvent dans ces métiers, ce que l'on croit être du temps partiel, c'est de la rémunération partielle pour un temps plein consacré à ces activités. Ce sont des emplois féminins, qui sont en fait très souvent dévalorisés dans notre société, puisqu'on considère qu'il n'y a pas forcément beaucoup de qualifications nécessaires et qui pourtant sont au cœur de la survie de notre société. C'est pourquoi on a voulu consacrer beaucoup de chapitres sur les essentiels dans notre livre.

Comment définiriez-vous le rapport des Français au travail ?

Évidemment, ce n'est pas un monolithe, mais il y a quand même des caractéristiques que l'on peut retracer à partir d'études d'opinion. Elles montrent qu'il y a un fort attachement au travail des Français. C'est le paradoxe par rapport à ce qu'on a pu dire sur "les Français qui ne veulent pas travailler et c'est pour ça qu'ils s'opposent à la réforme des retraites". En fait, il y a un fort attachement au travail chez les Français. Il participe beaucoup à la construction de leur identité, et il y a aussi une déception par rapport au travail. C’est-à-dire que vis-à-vis de toutes ces attentes, on s'aperçoit qu'on a de moins en moins le temps de se donner à fond dans son travail et beaucoup de gens disent : "Je n'ai pas le temps, je n'ai pas les moyens de bien faire mon travail". Et c'est cette déception-là qui, à la fois signifie tout l'attachement à son travail et le fait de se sentir pressurisés, de ne pas avoir les moyens comme typiquement, une infirmière dans un hôpital.

Que sait-on du travail alors ? Qu'est-ce que vous aimeriez qu'on retienne de votre ouvrage ?

On retient d'abord que les Français ne sont pas flemmards et ils espèrent avoir une meilleure organisation du travail et plus de reconnaissance. La deuxième chose, c'est que le bien-être au travail est un facteur de productivité. La troisième chose, c'est que pour que ce bien-être au travail se développe, il est essentiel que l'on concilie la vie familiale, la vie professionnelle et que l'on organise le travail, pas seulement en fonction des contraintes du service, mais aussi de ses contraintes personnelles. Une dernière chose très importante, il faut surtout que l'on écoute les salariés pour qu'ils puissent participer à la définition de leurs propres tâches, mais aussi participer à la réflexion sur les objectifs du service. Il faut de la démocratie en entreprise, sous une forme ou une autre, c'est un des messages majeurs de l'attente des salariés. Non pas pour mettre le bazar, non pas pour bloquer la production, au contraire pour se sentir investi, reconnu et donc participer à une productivité qualitative.

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