"Si on veut des femmes scientifiques, j'ai plein d'idées de campagnes à faire, même gratuitement", propose Mercedes Erra, fondatrice de l'agence de publicité BETC
"Quand vous vendez des yahourts, vous n'allez pas faire un discours féministe, vous prenez les femmes telles qu'elles sont aujourd'hui. En revanche, on peut utiliser la pub pour changer le monde. Je pense que l'État doit réfléchir à ça", assure Mercedes Erra, fondatrice et présidente du conseil de surveillance de BETC groupe, jeudi 28 novembre. "Si on veut des femmes scientifiques. J'ai plein de campagnes à faire, même gratuitement, pour faire bouger les femmes", insiste-t-elle.
BETC a 30 ans, c'est la première agence de publicité française et, depuis 2024, c'est la première agence créative au monde. Qu'est-ce qui a changé dans la pub en 30 ans, comment doit-elle se repenser aujourd'hui ? La fondatrice de BETC répond aux questions de Camille Revel.
franceinfo : BETC est la première agence de publicité française et depuis cette année, première agence créative du monde. Ce n'était pas forcément une évidence.
Mercedes Erra : On est fiers pour nous et pour la France. C'est le cumul de tous les points de créativité que vous adoptez pendant une année. En général, tous ces points sont donnés par un ensemble de population, où les Américains dominent. Et ils protègent leur métier et leurs agences.
Nous, on est très naïfs. L'Europe est très naïve, bien sûr. Moi, j'ai remarqué dans mon métier, je ne pensais pas que ça existait, que les Américains, ils trouvent que les Américains c'est mieux, les Chinois ils trouvent que les Chinois c'est formidable. Donc nous, on ferait bien de trouver les Européens formidables.
En 30 ans, la publicité a-t-elle su s'emparer des changements de la société ?
La chose la plus importante, ce n'est pas tellement uniquement la technique, les évolutions, c'est l'évolution des gens. Donc ils ont autre chose en tête. Ils ne sont pas super gais, ils ont des inquiétudes au niveau de la planète, de la politique, il y a de la méfiance. Donc tout ça, c'est lourd.
"Notre métier, c'est de parler à des gens. Il faut regarder leur état d'esprit, sinon on n'arrive pas à leur parler."
Mercedes Errasur franceinfo
Arrivez-vous à détecter quelles sont les préoccupations des Français ?
On suit ça de façon très précise. Pour le moment, c'est l'inflation, leur difficulté de vivre, c'est le fait que le 14 du mois, il y a des gens qui arrêtent d'acheter de la viande et des légumes. Des choses très très simples. C'est pour ça que quand on leur explique qu'on est dans un lieu de surconsommation, ils se fâchent parce qu'eux, ils ne surconsomment pas.
Vous êtes engagée pour l'égalité entre les hommes et les femmes. La pub véhicule parfois des clichés sexistes. Est-ce moins le cas aujourd'hui qu'avant ?
Beaucoup moins qu'avant, parce que globalement, on ne peut pas. Souvent, on pense que la pub peut comporter ce type de clichés, mais on avait fait un travail de vérification et il y a beaucoup plus de clichés dans les contenus rédactionnels qu'il n'y en a dans la pub. D'abord parce qu'on est surveillés par l'ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), donc on a un système de régulation, et puis on teste auprès des femmes.
Ça veut dire qu'il n'y a plus rien à changer, qu'aujourd'hui tout est parfait ?
Non, parce que dans l'esprit des femmes, il y a beaucoup à changer. Quand il faut changer dans l'esprit des femmes, ça veut dire qu'il y a encore de l'espace pour changer dans la pub. Après, vous avez deux types de pubs : quand vous vendez des yogourts, vous n'allez pas faire un discours féministe, vous prenez les femmes telles qu'elles sont aujourd'hui. En revanche, on peut utiliser la pub pour changer le monde. Je pense que l'État doit réfléchir à ça. Si on veut des femmes scientifiques, j'ai plein d'idées de campagnes à faire, même gratuitement, pour faire bouger les femmes.
Parfois, il y a aussi des accusations de greenwashing, concernant des entreprises qui prétendent défendre l'environnement. Que répondez-vous à ça ?
J'ai l'impression que le monde bouge. On est dans une période de transition, ce n'est pas exactement facile, y compris pour les entreprises. Je vous donne un exemple : les produits sucrés, on aimerait enlever l'ensemble du sucre, mais vous enlevez tout le sucre et vous ne vendez pas. Donc ça veut dire que les choses bougent en douceur. Et après, je trouve que c'est très maladroit et très français de parler toujours du greenwashing. En France, on a fait plus d'efforts que partout dans le monde et personne ne dit ça aux Français. Et lorsque les entreprises s'y mettent, vous savez ce qu'elles me disent aujourd'hui ? "On ne va pas parler parce que comme ça, on ne sera pas accusés." Le grand public, lui, il demande des comptes aux entreprises, donc ils aiment que les entreprises parlent. Elles ne font pas tout bien, personne ne fait tout bien. Mais il faut quand même encourager le fait qu'elles fassent un peu, non ?
BETC, votre agence, a 30 ans. Quelle a été votre meilleure campagne et à l'inverse, laquelle a raté ?
Par exemple, j'ai fait de belles campagnes qui ne vendent rien, dans ce cas elles sont ratées. J'en ai fait sur les fromages, sur plein de choses. Les belles campagnes, on en a fait beaucoup parce que je pense qu'on a une vision de la pub assez simple, chez BETC : un respect du public incroyable.
"Ce qu'on aime, c'est que les gens soient tirés vers le haut. Donc ce sont des combats. Parfois, on veut nous faire faire des choses qui ne sont pas très adéquates."
Mercedes Errasur franceinfo
On essaie de faire que cette pub soit de qualité. Je peux vous en citer beaucoup, mais comment ne pas citer les "bébés Evian". Ils ont fait le tour du monde parce qu'ils font du bien à tout le monde. Parce que dire aujourd'hui que la jeunesse ça n'appartient pas qu'aux jeunes, mais à nous tous et qu'on a tous un bébé dans le ventre, c'est pas mal.
Vous avez accompagné d'autres marques.
Mais même la campagne de Air France qu'on appelle "L'envol", où on voit ce couple danser sur un fond de miroir qui reflète le ciel, c'est juste magnifique. Je crois à la sobriété de la communication et je pense qu'on devrait passer plus longtemps les très belles campagnes plutôt que de faire toujours du nouveau.
L'intelligence artificielle s'invite dans plusieurs secteurs, dont le vôtre. Par exemple, aux États-Unis, cette année, les publicités de Coca-Cola pour Noël ont été réalisées avec de l'IA. Quel est votre regard sur cette question-là pour votre secteur ?
On m'a demandé si la pub avait vraiment changé en termes de réflexion entre 1994 - la création de l'agence - et aujourd'hui ? Non. Il faut toujours être intelligent, il faut toujours comprendre les gens, il faut toujours chercher la sensibilité des êtres humains. Il faut toujours trouver le levier de persuasion. Et ça, vous savez quoi ? On a beau parler des data comme si on avait des quantités dans tous les sens, il y en a toujours eu et il faut avoir l'intuition et la sensibilité pour les trouver. Et ça, c'est vraiment le cœur du métier.
"On parle d'intelligence artificielle. Il n'y a qu'un seul mot qui me gêne, c'est l'intelligence, parce que je pense que l'intelligence est humaine."
Mercedes Errasur franceinfo
Donc ce nouvel outil peut être intéressant, comme internet a été un outil intéressant et dramatique aussi parce qu'aujourd'hui, il pose beaucoup de problèmes. Donc on apprend à l'utiliser, mais on l'utilisera toujours avec une forme d'intelligence et de sensibilité qui n'est pas la leur, mais qui est la nôtre.
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