"C'est très dur quand il y a autant de touristes" : Venise veut attirer les télétravailleurs pour ne pas finir en ville musée
La mythique ville italienne va bientôt passer sous le seuil symbolique des 50 000 habitants. Plusieurs initiatives sont lancées par la société civile, surtout par les associations ou les universités, pour convaincre de télétravailler dans la cité des Doges.
Venise est-elle destinée à devenir une ville musée ? La cité des Doges voit de nouveau les touristes affluer en masse alors qu'elle perd des habitants. On l'a bien vu pendant le confinement en Italie : la ville était morte. Mais Venise est-elle en train de changer ? En tous cas certains tablent sur le télétravail pour repeupler la ville. Il y a déjà des "digitals nomads", des télétravailleurs, à Venise comme Marie-Axelle Loustalot-Forest. Elle travaille dans les logiciels et dans un cadre idyllique : "Quand vous vous penchez par la fenêtre de mon grand bureau on voit le Grand canal. Il y a des taxis qui passent."
Il y a aussi des ambulances car Venise est une ville à part entière. Mais la vie quotidienne n'est pas si simple que cela. "Ce n'est vraiment pas une ville qui est faite pour le télétravail", explique Marie-Axelle Loustalot-Forest qui se plaint de la digitalisation de la ville : "Même les applications comme celle pour les transports sont super mal réalisées. Le jour où je vais perdre le câble de mon ordinateur, il n'y a pas de boutique pour aller en racheter un."
"Une montée en puissance"
En revanche, la fibre est partout à Venise et l'aéroport est relié au monde entier et à moins d'une demi-heure. La cité des Doges plaque tournante du télétravail, Massimo Warglien en rêve pour repeupler sa ville. Le professeur de management à l'Université Ca'Foscari vient de lancer Venywhere : "C'est une plateforme sur laquelle on peut obtenir des informations pour 'un atterrissage en douceur' à Venise. Déjà plus de 2 300 personnes sont inscrites, une grande moitié de Nord-Américains pour qui l'Italie va faciliter l'obtention de visas spécialement pour le télétravail. L'âge moyen est entre 30 et 45 ans et plus de 300 personnes ont déjà l'intention de venir. Dès la rentrée nous aurons une cinquantaine de personnes et cela montera en puissance."
Le projet va donc décoller en septembre après une phase pilote de trois mois entre mars et mai 2022 avec 16 télétravailleurs de l'entreprise Cisco. Carlo Santagiustina, chercheur à la Ca'Foscari, a coordonné cette phase et avec les données déjà obtenues il veut créer une carte pour travailleurs digitaux. "Cette carte permettrait aux 'digital nomads' de voir, selon la saison et leur type de travail, quelles sont les zones où les personnes ont le mieux travaillé et vécu à Venise. Par exemple, je vais au travail et il n'y a pas de touriste dans ma voie, ou pour trouver un endroit parfait pour le déjeuner."
Une ville très touchée par le Covid-19
Pour se loger non plus ce n'est pas simple, même si c'est un peu moins cher qu'avant le Covid-19. Mais justement Venywhere vient de signer un accord avec la fédération des agents immobiliers de Venise. "Nous pouvons proposer des appartements ou des espaces de travail pour six mois ou un an", explique Rafaele Dedemo qui est prêt à se passer d'une partie de sa commission.
"Certains appartements ne sont pas loués depuis des années et il faut les restaurer. D'autres, au lieu de les mettre en location via AirBnB quelques semaines, seront loués plus longtemps pour des gens qui veulent vraiment vivre à Venise et devenir Vénitiens !"
Rafaele Dedemo, agent immobilierà franceinfo
Rafaele s'inquiète pour sa ville, sur la vitrine de son agence, il a collé une feuille A4 avec le nombre 49 999. Ce sera le nombre d'habitant d'ici quelques semaines. Ces affiches ont fleuri un peu partout dans Venise comme des bouteilles à la mer. Il estime que les Vénitiens sont en voie d'extinction. Il est vrai que la place Saint Marc est bourrée de touristes. Le café Florian a installé un petit orchestre pour le plaisir de ses clients mais pas vraiment des Vénitiens.
"Je travaille souvent place Saint Marc et c'est très dur quand il y a autant de touristes", explique Osvaldo Di Pietrantonio. Ce photographe, vénitien depuis dix ans, estime que la ville ne change pas et qu'aucune leçon n'a été tirée du Covid-19. "La ville a été très touchée par le Covid. On lui a enlevé tout ce qu'elle avait puisqu'elle vivait à 99% du tourisme. Certains entrepreneurs se sont alors posé des questions mais aujourd'hui même ceux qui envisageaient un tourisme plus durable cherchent finalement à tirer tout ce qu'ils peuvent du tourisme, à récupérer ce qu'ils ont perdu !"
La mairie mise sur les étudiants
La mairie de Venise vient d'interdire pour trois ans l'ouverture de magasins de pacotille, qui draine un tourisme de masse. C'est une première. Mais il est difficile de réglementer cette manne financière qu'est le tourisme. Paola Mar est adjointe au maire chargé de la promotion du territoire et de l'Université, elle compte sur les étudiants pour dynamiser sa ville. Il y en a 10 000 qui vivent à Venise, elle en veut davantage.
La mairie cherche aussi à inciter les jeunes Vénitiens à travailler à Venise. "Nous avons loué cinq boutiques de la ville gratuitement à des jeunes de moins de 30 ans, explique Paola Mar. Un architecte a décidé de revenir à Venise et a ouvert une ludothèque pour les enfants de Venise. Un autre, dans le quartier de la Giudecca, vend des fruits. Un autre encore a lancé une menuiserie. On fait ce que l'on peut et petit à petit parce que nous sommes à un tournant décisif !"
D'ici quelques semaines Venise passera sous le seuil symbolique des 50 000 habitants. Il y en avait deux fois plus il y a 50 ans, trois fois plus au début du siècle dernier.
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