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Femmes retranchées, "suicide by cop"... : le nombre de forcenés violents a fortement augmenté avec le déconfinement

Le Raid et le GIGN font état de l'augmentation inquiétante du nombre d'interventions qu'ils réalisent pour interpeller des forcenés violents depuis le déconfinement. Quasiment un jour sur deux, les deux unités d'élite sont sollicitées pour ces interventions délicates.

Article rédigé par franceinfo, David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La crise sanitaire explique en parte la multiplication des cas de forcenés. (DDSP78 / Service communication)

Valentin Marcone dans les Cévennes, Terry Dupin en Dordogne : ces forcenés ont mobilisé à chaque fois des centaines d'hommes avant d'être interpellés. Et depuis le début de l’année, avec le déconfinementles cas de forcenés ont explosé : +137% selon le ministère de l'Intérieur. Ainsi, quasiment un jour sur deux, le GIGN ou le Raid sont sollicités pour ces interventions particulièrement délicates.

En première ligne, on trouve les hommes de la colonne d'assaut bien sûr, mais aussi les négociateurs : ce sont eux qui doivent entrer en contact, entamer le dialogue avec les forcenés. Benoît fait partie depuis trois ans de la cellule négociation du Raid, en région parisienne. "Nous, ce qu'on dit souvent en groupe, explique-t-il, c'est qu'on essaie de sauver les gens d'eux-mêmes. Si l'on n'a pas envie d'être là pour la personne, il y a peu de chances que cela marche."

Lors des interventions, on essaie de manifester la plus grande empathie, de voir à la fin dans le regard des gens qu'on leur a été utile, d'une certaine manière.

Benoît, négociateur au Raid

"Les situations qu'on rejoue en exercice sont des situations qu'on a vécues sur le terrain", poursuit Benoît. franceinfo a pu assister à l'un de ces exercices. Le négociateur prend le téléphone et tente une négociation. "Je m'appelle Mehdi, je suis policier au groupe d'intervention. On a été appelés parce qu'il y a eu des coups de feu qui ont été tirés et entendus. On sait que vous êtes tireur sportif alors on s'inquiétait pour vous, mais également votre famille. Boris, vous pouvez me dire ce qui s'est passé ?" "J'ai cessé mon activité avec la crise sanitaire, j'ai des problèmes de santé et à un moment il y en a marre... ", lui répond son interlocuteur. 

Il s'agit pour le négociateur de trouver le moyen de faire redescendre l'individu émotionnellement avant qu'il ne passe à l'acte. (DDSP78 / Service communication)

"Je vais vous dire une chose aujourd'hui, tente le négociateur, voilà, moi, je suis avec vos enfants, Elodie et Yoann, et je peux vous dire qu'ils aiment leur papa, qui pensent à vous... Et aujourd'hui, je pense qu'on peut trouver une solution ensemble. Ils m'ont dit que vos mots avaient un peu dépassé votre pensée... " Dès lors, le processus de négociation commence.

"L’ultra-violence devient possible aussi chez les femmes"

Christelle est négociatrice depuis onze ans. "Le but du négociateur est de trouver des accroches pour justement le faire redescendre sur un point de vue émotionnel et aborder les choses importantes pour lui, décrit-elle. C'est toujours avec un côté bienveillant, dans le but que tout se passe bien pour tout le monde." Pour Christelle, comme pour ses collègues, la crise sanitaire explique en partie la multiplication des cas de forcenés. Avec, dans leur lot, de plus en plus de femmes. 

La dernière décennie, on avait eu un ou deux cas de femmes retranchées. Et là, depuis la fin de l'année, nous avons eu affaire à cinq cas de femmes. Cela allait de la femme suicidaire suite à une rupture, à des problèmes de garde d'une femme qui ne voulait pas rendre les enfants au père.

Christelle

à franceinfo

"Il y a des affaires où malheureusement la personne peut passer à l'acte sur les enfants pour éviter qu'on les lui prenne. C'est souvent ce qu'elles (ces mères) revendiquent en premier", poursuit Christelle. "On pourrait évoquer une sorte de phénomène 'Kill Bill', explique le Pr Nicolas Franck, de l'hôpital lyonnais du Vinatier, centre de référence en psychiatrie. C’est-à-dire que les femmes maintenant s’approprient de plus en plus des comportements qui étaient l’apanage des hommes. Depuis quelques années, on a par exemple des bandes de filles qui se battent et qui commettent des violences. L’ultra-violence devient possible aussi chez les femmes."

Parmi ces nouvelles affaires de femmes retranchées, l’une s’est déroulée dans le Nord, dans l'ancienne cité minière d'Ecaillon, près de Douai. Une mère de famille de 52 ans s'était retranchée chez elle, en février dernier, pendant près de deux heures. Une affaire qui a marqué le maire, Georges Cino. "Elle était menacée d'expulsion, se souvient l'édile. Elle a eu la visite d'un huissier et elle a pris peur. Et puis, suite à cela, elle s'est enfermée chez elle et a menacé de faire exploser son logement. Son fils et son compagnon n'étaient pas à l'intérieur de la maison. Et puis, le Raid est intervenu. Elle s'est raisonnée, elle est revenue à elle et tout s'est arrangé."

Quasiment un jour sur deux, les deux unités d'élites sont sollicitées pour ces interventions délicates. (DDSP78 / Service communication)

En l'espace de quelques mois seulement, le Raid est intervenu à trois reprises dans cette petite commune de 2 000 habitants. Pour mettre fin à cette spirale, le maire demande à ses administrés les plus en difficulté de ne surtout pas s'isoler. "Il faut oser dire les choses quand on a des problèmes comme ceux-là, conclut le maire. C'est ce que je ressens avec beaucoup de personnes qui osent franchir le pas et qui parfois se mettent à pleurer devant moi. On essaie de les rassurer, de les remonter, de les orienter, mais ce ne doit pas être évident pour ces personnes dans la détresse de venir auprès de nous."

Le phénomène ne s’atténuera pas dans l’immédiat

Avec la levée des restrictions, du couvre-feu, ce phénomène ne va pas s’atténuer, en tout cas pas dans l’immédiat. Il faudra encore du temps selon le Pr Nicolas Franck, par ailleurs auteur de l’ouvrage Covid 19 et détresse psychologique. "Les contraintes qui se sont exercées sur l'esprit humain et le corps humain depuis maintenant 15 mois ont des conséquences et poussent finalement les gens dans leurs retranchements, avance-t-il. Tout ne peut pas se résoudre du jour au lendemain donc il faut s'attendre à ce que ce soit plutôt à moyen terme, c'est à dire à la sortie complète de crise du point de vue psychologique pour les personnes. "

Les personnes désœuvrées et enfermées ont tendance à recourir à des substances et à devenir dépendantes. Et globalement, les addictions aux produits aggravent les violences...

Pr Nicolas Franck

à franceinfo

"En ce moment, décrypte le Pr Franck, nous avons la conjonction de plusieurs facteurs qui déstabilisent les personnes, dont la consommation de substances psychoactives. Et tout cela peut contribuer aux passages à l’acte." La dernière affaire de ce type date du mardi 15 juin, à Tours, où un forcené a tiré au fusil de chasse sur un psychiatre venu chez lui pour l'hospitaliser, blessant un policier. Ce quinquagénaire était en rupture de soins depuis plusieurs semaines. Le Raid a fini par le maîtriser avec un pistolet à impulsion électrique Taser. La négociation, cette fois-ci, était impossible.

Le cas particulier du "suicide by cop"


Bertrand fait partie de la cellule nationale de négociation du GIGN. Il était dans la colonne d’assaut en tant que négociateur lors de la neutralisation de Terry Dupin, en Dordogne. Pour lui, ce cas est emblématique du suicide by cop, le suicide par "policier interposé", qui s’observe dans les affaires de forcenés. "Le rôle du négociateur, insiste-il, est de tenter de préserver la vie de l’adversaire jusqu’au bout. C’est notre devise au GIGN, s’engager pour la vie des autres. Et toute vie compte, malgré ce que l’individu a pu faire avant. Jusqu’au bout donc, nous tentons de le raisonner." "Dans l’affaire Terry Dupin [qui s’était retranché dans une forêt de Dordogne après avoir agressé son ex-compagne], reprend Bertrand, ce dernier a mis en position les membres de la colonne d’assaut. Qui n’a pas eu d’autres choix que de lui tirer dessus. Il souhaitait clairement que nous ‘l’aidions’ à mettre fin à ses jours, car il n’y arrivait pas par lui-même."

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