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Guadeloupe : les habitants exaspérés par les pénuries quotidiennes et l'augmentation du coût de la vie

Réseau de canalisations vétustes, flambée des prix, les Guadeloupéens sont confrontés à de nombreuses difficultés au quotidien. Des problèmes qu'ils dénoncent sur les barrages dressés par les syndicats et militants depuis une dizaine de jours un peu partout sur l'île.

Article rédigé par franceinfo - Farida Nouar
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des Guadeloupéens manifestent contre les mesures de restriction sanitaire contre le Covid-19 aux Abysses à l'extérieur de Pointe-à-Pitre le 24 novembre 2021. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Le ministre des Outre-Mer Sébastien Lecornu a rencontré les syndicats en Guadeloupe dimanche 28 novembre. L'île est secouée depuis une dizaine de jours par un mouvement social émaillé de violences urbaines : pillages de commerces, affrontements avec la police, dégradations... Mais sur les barrages, les Guadeloupéens ont aussi exprimé leur colère contre les maux qui rongent l'île depuis des années. Le premier d'entre eux est le manque d'eau. Un mal que connaît bien Betty, qui habite le quartier de Labrousse dans la commune du Gosier. Dans son jardin il y a "des bacs à eau pour récolter l'eau de pluie", explique-t-elle. 

"Si tu as besoin de faire la vaisselle, tu vas prendre ton seau d'eau dehors pour remplir ton évier. Si tu veux te laver, tu vas prendre ton seau et tu le ramènes dans ta salle de bain. Si tu vas aux toilettes, tu vides ton seau dans la cuvette pour tirer la chasse."

Betty, Guadeloupéenne

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À force de transporter des seaux, Betty a des douleurs aux bras, et elle enchaîne les insomnies à force de guetter la pluie qui peut tomber en plein milieu de la nuit. Pour mettre fin à cette situation qui dure depuis des années, elle vient d’installer une citerne sous le sol de sa maison qui récupère l’eau de pluie et la fait monter dans ses tuyaux. "Pour les toilettes, la douche, ça va, mais il faut continuer à chercher de l'eau pour boire, raconte-t-elle. Donc, j'achète des bouteilles d'eau, et après, je m'en sers pour aller chercher de l'eau à la fontaine ou chez des gens."

Un réseau de canalisation vétuste

Betty a payé des centaines d’euros pour cette citerne, et elle en dépense des centaines d'autres pour acheter de l’eau tous les mois. Le comble pour la Guadeloupéenne est que le compteur d’eau installé devant sa maison continue à tourner. "Et ils viennent le relever ! Ils trouvent le moyen de vous dire que vous avez utilisé de l'eau ! Avant de m'envoyer des factures, commence par me donner ce qui va avec la facture ! À ce moment-là, je paye. Je n'ai pas l'impression que de demander d'avoir une vie normale concernant l'eau est une demande si extraordinaire..."

Pendant des années, Betty a fait des aller retour dans son jardin pour récupérer l’eau de pluie stockée dans ces bacs : pour la douche, les toilettes, la vaiselle. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Toute l’île est touchée par ce fléau. Le réseau, mal entretenu depuis plus de trente ans, est un vrai gruyère. En 2018 selon les chiffres de l’Office de l’Eau Guadeloupe, 78,3 millions de mètres cube d’eau potable ont été distribués sur l’île mais seulement 30,5 millions ont été consommés par la population. "Dès que l'eau pénètre dans ces canalisations vétustes, elle se perd", dénonce Germain Parant, le président du Comité des Usagers de l’eau. Selon lui, "il y a 55% voire 60% de fuites sur ce réseau, c'est dramatique."

"On est en pleine pandémie de Covid, on nous dit qu'il faut se laver les mains mais il n'y a pas d'eau." 

Germain Parant, président du Comité des Usagers de l’eau

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Il faudrait engager de grands travaux pour refaire ces canalisations, mais c'est trop cher. "Il faut compter deux milliards d'euros donc on a demandé la mise en place d'une sorte de plan Marshall", affirme Germain Parant, qui déplore l'inaction des élus, "les préfets et surtout les 32 maires des communes de la Guadeloupe." "C'est eux qui avaient la mission de nous distribuer de l'eau propre en qualité et en quantité et ce n'est pas le cas aujourd'hui", estime-t-il.

Pendant des années, Betty a fait des aller retour dans son jardin pour récupérer l’eau de pluie stockée dans ces bacs : pour la douche, les toilettes, la vaiselle. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Une alimentation 33% plus chère qu'en métropole

La cherté de la vie complique aussi le quotidien des Guadeloupéens. Selon l’Insee, le coût de l’alimentation est 33% plus élevé sur l'île qu’en métropole. C'est ce que constate Stéphanie, une cliente, devant le rayon yaourts d'un supermarché de l'île. "Ici on a des compotes qui coûtent 2 euros 49 les quatre. Ça en France, ça ne dépassait pas 2 euros", déplore-t-elle. "Il y a des lots de 12 yaourts qui sont à 8 euros et quelque. Ce sont des choses que j'ai achetées à 4 ou 5 euros en métropole. C'est vraiment plus cher ici."

La nourriture mais aussi la téléphonie, tout est trop cher selon Becca. "Moi, j'ai le plus petit forfait : 46 euros pour Internet et téléphone fixe. Pour mon téléphone portable c'est 26 euros. Il y a deux ans je faisais le plein avec 70 euros mais ça augmente tous les ans : l'autre jour, j'ai fait le plein avec 95 euros", détaille Becca, bientôt coupée par son amie Sylvia qui renchérit : "Et le gaz ! Il y a un an, je payais 16 euros 55. Maintenant on le paye 28 euros." "Vraiment, là, on étouffe", reprend Becca. "Tout ce qui s'est passé en 2009 n'a servi à rien. Ils ont joué avec nous. Ils ont fait semblant."

Le "Bouclier qualité prix", une mascarade selon les associations

44 jours de grève pour rien, c’est aussi le sentiment d’Hilarion Bevis-Surprise, secrétaire générale de l’ADEIC, une association de consommateurs. Surtout quand il se penche sur le "Bouclier Qualité Prix" lancé en 2013, la garantie de produits à prix réduits vendus en grande surface. "Les supermarchés nous ont roulés dans la farine", dénonce-t-il. "D'abord, beaucoup d'entre eux n'ont pas respecté le prix réel. Et ensuite, ils s'arrangeaient pour que les rayons soient vides. Donc très souvent, quand le consommateur allait acheter tel ou tel produit qui était censé être moins cher, il le ne trouvait plus. La faille du système, c'est que l'Etat n'a mis aucune sanction contre le non-respect des engagements des supermarchés", selon lui.

Il juge qu'aujourd'hui il faudrait refaire une enquête sur les prix pratiqués dans les supermarchés "et les comparer avec les prix en France hexagonale. Ensuite, il faudrait que chaque Guadeloupéen ait son mot à dire sur ce que les consommateurs de l'île achètent." D'autant que selon l’Insee, 34 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté en Guadeloupe, contre 14% en métropole.

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