"Ils ont perdu confiance dans les autorités sanitaires" : comment la défiance envers les vaccins s'est installée en France
Des polémiques sur la nocivité présumée du vaccin contre l'hépatite B dès les années 1990, aux réticences actuelles face à celui contre le Covid-19, la crainte des vaccins s'est développée l'hexagone.
Pourquoi la France, patrie de Pasteur, autrefois favorable à la vaccination, est devenue l'un des pays les plus réfractaires aux vaccins au monde ? Six Français sur dix déclarent pour l'instant refuser l'injection contre le Covid-19 selon un sondage Odoxa-Backbone consulting pour franceinfo, réalisé les 22 et 23 décembre et publié dimanche 3 janvier.
Pour se rendre compte de ces réticences, il suffit de passer la porte de ce cabinet médical parisien. Le docteur Richard Handschuh exerce depuis 42 ans, et en ce moment, il y est confronté tous les jours.
À la fin de la consultation, les jeunes et les moins jeunes me demandent systématiquement, que pensez-vous du vaccin docteur ?
Richard Handschuhà franceinfo
Il y a évidemment la question des effets secondaires, mais pas seulement. Le médecin vient par exemple de répondre aux inquiétudes de Geneviève, 95 ans et de sa fille Dominique, 63 ans : "Dominique me dit : 'Celui-là, j'ai compris comment il fonctionnait, mais je ne veux pas qu'on fasse de vaccin vivant.' J'ai pu répondre qu'il y a des techniques différentes, mais qu'on n'injecte jamais le virus vivant." La patiente repart confiante mais en salle d'attente, un commerçant trentenaire continue lui, de faire non de la tête quand on lui demande s'il voudrait se faire vacciner, et il expose ses doutes à son médecin. "En gros son discours c'est : 'ce vaccin ne peut pas être fiable puisqu'on a dit qu'il fallait au moins dix ans pour élaborer un vaccin, je n'ai pas confiance'", explique le Dr Handschuh.
Ce raisonnement qui prétend qu'un vaccin vite fait serait un vaccin mal fait est le plus répandu chez ceux qui doutent. Deuxième cause d'inquiétude, la technique utilisée : l'ARN messager. Là, c'est le mot qui fait peur, reconnaît la docteure Françoise Salvadori, maître de conférence en immunologie à l'université de Bourgogne : "Pour le grand public ce terme d'ARN est inconnu. Quand ils entendent ARN, ils pensent OGM et ils pensent manipulation génétique. Il y a une fraction de la population qui est très 'anti' mais j'ai envie de dire 'anti-tout'. Et cette population, on aura beaucoup de mal à la convaincre", admet Françoise Salvadori. "Mais ce n'est pas plus de 15% de la population. Ils ont perdu la confiance dans les autorités sanitaires, dans les politiques, en partie dans les chercheurs", analyse la scientifique.
De précédentes polémiques sur des vaccins
Déjà dans les années 1990, une première polémique naît au sujet du vaccin contre l'hépatite B. Des rumeurs l'associent à des cas de sclérose en plaque, ce qui sera démenti par la suite. En 2009, l'échec de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 va avoir des conséquences, explique Jocelyn Raude, enseignant chercheur en psychologie sociale à l'école des hautes études en santé publique de Rennes : "Ça commence par le fait qu'on va commander énormément de doses, et qu'au final on aura que 10% des Français vaccinés. Donc on voit émerger à ce moment-là une première critique sur l'utilisation des fonds publics. Rapidement cette critique va faire émerger une autre controverse qui était la question des liens d'intérêts."
Des conflits d'intérêts entre gouvernement et industrie pharmaceutique font l'objet de polémiques d'ampleur, notamment sur les réseaux sociaux. Twitter et Facebook se développent à la même époque, et avec eux les discours complotistes. Le gouvernement doit donc éviter que la vaccination ne devienne une question politique, ce qui a déjà un peu commencé.
D'une certaine manière la vaccination est train de devenir une sorte de référendum pour ou contre le gouvernement, pour ou contre le système actuel et la manière dont est gérée la crise.
Jocelyn Raudeà franceinfo
La réussite de la campagne de vaccination va donc dépendre largement de la campagne de communication. Le gouvernement y travaille, puisque selon le ministère de la Santé, le but est de vacciner jusqu'à 27 millions de Français d'ici le début de l'été.
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