"Je suis dans la peur que la maladie revienne" : les patients dont les opérations ont été déprogrammées à cause du Covid-19 se sentent abandonnés
Comme lors du premier confinement des opérations ont été annulées et repoussée dans les hôpitaux pour faire de la place aux malades du coronavirus. Ces déprogrammations sont difficiles à vivre pour les patients dits "non Covid".
Les malades "non Covid" sont-ils les grands sacrifiés de notre système de soins ? À cause de l’afflux de patients atteints du Covid-19, la pression est trop forte sur les hôpitaux, alors ils déprogramment à tour de bras des opérations pour faire de la place et pour libérer des soignants. Une situation difficile à gérer pour ces patients qui se sentent abandonnés.
Caroline a développé un cancer au sein gauche l’an dernier. On le lui a retiré ce sein mais elle est porteuse d’une mutation génétique qui la prédispose à un nouveau cancer au niveau de l’autre sein. Les chirurgiens devaient donc lui enlever aussi, de façon préventive, mais l’opération vient d’être déprogrammée. "Le risque de tomber malade est quand même important, donc aujourd’hui je vis avec mon risque, explique Caroline. Mais dans mon esprit, j’ai une bombe endormie dans mon corps. Ce sein me fait peur, à tout moment ça peut revenir et exploser. La colère est passée, je suis d'avantage dans la peur que la maladie revienne."
Je serai par contre très en colère si la maladie revenait parce que ma déprogrammation a eu lieu, et que je tombe malade sur mon deuxième sein.
Caroline
Cette situation, Ambre, âgée de 28 ans, l'a vécue lors du premier confinement avec une opération préventive annulée alors qu’elle était très à risque de développer un deuxième cancer. Ambre explique s’être alors sentie abandonnée : "On voit tout le temps le Covid à la télé et aux infos, les hôpitaux qui sont consacrés uniquement à ça et nous on est seul, personne ne vient s’occuper de nous ou nous appelle pour nous dire ce qu’il en est." La jeune femme le confie, "il y a beaucoup de colère, pas de la haine mais du ressenti par rapport à comment cette crise est gérée". Pour Ambre, "il n’y a pas beaucoup de moyens à l’hôpital. Je sais que c’est compliqué, à chaque fois que je vais à l’hôpital je vois que les infirmières n’en peuvent plus et je sens qu’elles sont à bout, mais c’est pas pour autant qu’il faut nous laisser tomber".
C’est malheureux, je sais que des gens meurent du Covid mais en fait il y a beaucoup plus de morts du cancer chaque année.
Ambre, 28 ans
Si on lui demande si elle a été sacrifiée au profit des malades du Covid, elle répond sans hésiter : "Ah oui complètement, j’ai un peu de mal à digérer le fait qu'on laisse tomber toutes les autres maladies mais qui sont aussi importantes. On n’a pas une simple grippe, on a un cancer quand même. Après le confinement et après avoir trouvé le vaccin contre le Covid, on aura toujours notre cancer et on sera toujours malade." Ambre a finalement pu être opérée trois mois plus tard.
L'ambulatoire comme solution
À l’époque du premier confinement, plus de la moitié des chirurgies de cancer ont été annulées. Pour cette deuxième vague, les hôpitaux tentent de maintenir un maximum d’opérations. À l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, le professeur Catherine Uzan est chef du service de chirurgie gynécologique. Elle a décidé de développer l’ambulatoire, c’est-à-dire que vous entrez le matin à l’hôpital, vous sortez le soir-même après votre opération. "Pendant la première vague, l’ambulatoire avait été fermé chez nous et était devenu une réanimation, explique Catherine Uzan. Cette fois-ci, en apprenant de la première vague, on a décidé de changer de stratégie et au contraire de développer au maximum l’ambulatoire car on sait que c’est une crise qui va s’inscrire dans le temps."
En favorisant ce type de circuit, on va sûrement être plus efficace pour prendre en charge plus de patient non Covid. On a même élargi nos horaires d’ambulatoire, et on fait même des chirurgies plus importantes.
Pr Catherine Uzan
"On peut faire une mastectomie en ambulatoire, c’est-à-dire retirer tout le sein", poursuit Catherine Uzan, mais cela est possible "sous couvert d’accompagner la patiente notamment avec des téléconsultations pour qu’on puisse regarder la cicatrice avec elle, avec des infirmières de ville qui nous donnent des nouvelles tous les jours des patients et la psychologue qui peut contacter le patient".
Une perte de chance de survie ?
Les chirurgiens tentent de maintenir un maximum d’opérations mais pour les patientes qui voient leur opération être repoussée de plusieurs mois se pose la question de la perte de chance de survie. Le Pr Catherine Uzan est, elle, catégorique : "Il n’y aura jamais de perte de chance."
Actuellement ce que l’on va plutôt repousser, c’est les patients qui étaient soit opérés pour des pathologies bénignes, soit des patients pour des gestes où il n’y a pas de perte de chance en les repoussant.
Pr Catherine Uzan
Céline Lis-Raoux est plus mesurée et plus dubitative. La directrice de l’association de patientes Rose-up se rappelle la première vague au printemps dernier : "Il y a eu dans des régions entières des opérations pour enlever des tumeurs qui ont été annulées. Donc évidemment aujourd’hui on ne peut pas dire que la sur-mortalité de cancer est de tant car les gens, heureusement, ne sont pas morts. En revanche dans cinq ans, sur la survie globale, on verra à mon sens une forte sur-mortalité due à cette espèce de dépression, de trou dans les traitements et la chirurgie."
Ce "trou dans les chirurgies", une étude britannique parue cette semaine a tenté d’en évaluer les conséquences. Les scientifiques estiment que si toutes les opérations de cancer du sein devaient être repoussées de trois mois, cela causerait au Royaume-Uni la mort de 1 400 femmes.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.